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lundi 29 mars 2010

Confessions de Phillipe Merieu, vice Pt de Région

"J'étais affecté de ne pas être aimé de mes adversaires"

Depuis dimanche soir, Philippe Meirieu est un élu de la République, pour la première fois de sa vie. Il dit qu'il en est "ému", "impressionné". Universitaire et pédagogue réputé, collaborateur de plusieurs ministres socialistes, il menait les listes Europe écologie aux régionales en Rhône-Alpes, avant de les fusionner avec celles de Jean-Jack Queyranne. Quelques jours après le premier tour, il porte un regard assez neuf, décalé, sur la campagne. Et sur les quatre années à venir. Un entretien dans lequel il assume son affectivité, ses faiblesses, et raconte sans pudeur excessive les mutations d’ un novice en politique.

Les débuts en campagne

"Le début a été difficile pour moi. Je n'étais pas assez préparé au type de relations qui s'établissent dans une campagne, aux petits et aux mauvais coups bas, aux débordements. J'ai été blessé par le mitraillage systématique sur Internet des geeks du PS. Ils se sont vantés d'être 150 à l'affût de tous les sites pour marquer à la culotte le concurrent. J'ai été choqué par cette liberté qui est donnée aujourd'hui, par l'anonymat sur les sites, de dire n'importe quoi sur n'importe qui. Mais cela fait partie du jeu et j'ai compris qu'il ne fallait pas trop s'en inquiéter."

L'affectif

"Au début, je vivais assez mal les meetings. Je n'étais pas sûr de moi, j'avais une vraie fragilité. J'étais affecté de ne pas être aimé par mes adversaires ! Puis j'ai compris que dans le débat public, je ne devais pas me laisser affecter. J'ai eu un vrai basculement entre le débat organisé par le Coup de Grâce et celui de l'ENS, en février. Beaucoup de gens m'ont demandé pourquoi j'étais à fleur de peau, j'ai compris ce qu'ils me disaient. J'ai décidé de ne pas devenir une machine sans affectivité, mais de ne plus mettre en jeu mon affectivité en fonction de celle de l'autre, de ses attaques. Il y avait une ligne de crête à trouver entre l'indifférence politicienne et le caractère écorché vif que je pouvais avoir. J'ai compris que je n'avais pas à être aimé de mes adversaires."

Le rôle de la presse

"J'ai été frappé par la difficulté de la presse à faire émerger les questions de fond, à donner au citoyen le matériel pour connaître notre fonds doctrinal, ce qui nous distinguait des autres partis. J'étais souvent poussé à détailler les questions de stratégie électorale, pas le contenu. Cela tient aussi à nous, à notre incapacité à rendre intelligibles nos propositions. J'aurais aimé que la presse nationale me propose une interview de fond plutôt que des portraits ou des reportages. Est-ce qu'il y a encore une place pour une presse d'explication politique précise ? Pour ma part, dans mes relations avec les journalistes, j'ai rencontré une petite difficulté. J'étais spontanément dans un registre de non calcul de mes réponses et certaines choses peuvent parfois être reprises de façon surprenante. Il y a des codes à décrypter pour comprendre ce qu'un journaliste peut faire de vos réponses. Les professionnels de la politique donnent moins de prise, d'aspérité, dans leurs réponses."

Négociations et médiation

"L'un des problèmes d'une campagne, c'est qu'on est dans une logique d'affrontement, pas de travail. On n'essaie pas de sortir par le haut d'un différend en cherchant des solutions acceptables par tous. Ce que j'appelle dans mon jargon la médiation par l'objet : aux parents qui ont des différends avec leurs enfants, je conseille de faire quelque chose ensemble, de préparer un voyage ou de jardiner. Il s'accrocheront mais la meilleure solution l'emportera. Sans cet objet autour duquel travailler ensemble, vous êtes dans le bras de fer mortifère. L'un doit prendre le pas sur l'autre. Dans un combat de coqs, à celui qui a la plus grosse. Dans les négociations de l'entre-deux tours, il y avait encore la tension de l'affrontement et la force que chacun voulait représenter, mais la rédaction d'un texte commun a commencé à changer les rapports. Nous étions déjà autour d'un objet commun permettant, par le travail, d'arbitrer les conflits."

La gestion de l'union des gauches

"Après 2004, le rapport de force s'était étiré entre les Verts et le PS. Mais je suis confiant pour cette fois. Nous ne sommes plus dans la même configuration. Nous représentons 37% de la gauche qui arrive au pouvoir ; le centre de gravité a changé. Nous ne sommes plus dans une position de village gaulois qui résiste au sein de la gauche. Nous n'aurons pas une vingtaine d'élus fonctionnant en commando, mais un groupe de 37 élus, presque autant que l'UMP. C'est un beau défi de construire un mandat plus équilibré. C'est essentiel que nos partenaires entendent que ça leur apporte quelque chose, que cela ne leur enlève rien. J'espère que nous pourrons travailler ensemble. Je crois qu'il y a une puissance du travail, de l'intelligence, qui permet de dépasser le rapport de force. J'aime beaucoup cette phrase de Lévinas: "L’humanité ne se révèle que dans une relation qui n’est pas de pouvoir". C'est utopique mais je continuerai à avoir cet horizon comme ligne de comportement.

Travailler de façon transversale

"Au conseil régional, il faut sortir du fonctionnements en tube. Il faut faire le forcing, se donner des priorités, pour parvenir à une gestion plus transversale sur les sujets les plus importants. Il faut par exemple que formations initiale et continue fonctionnent ensemble, que les lycées bénéficient d'une ouverture plus grande pour profiter à la formation continue, aux associations. Sur la question du foncier aussi, il faut avoir une approche très transversale. J'ai découvert dans cette campagne son importance. Elle s'est imposée comme centrale partout où j'allais. Il y a une spéculation terrible sur les terrains autour des villes et dans les stations de montagne. Car on bitume et on bétonne partout. Je me suis fait à l'idée qu'il fallait investir le foncier. Quand un agriculteur qui part en retraite préfère vendre à Casino plutôt que de céder ses terres à la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural) pour une bouchée de pain, il faut être en mesure d'acheter ces terres pour les louer à des agriculteurs. Autour d'Annecy, c'est le seul moyen de sauver les bords du lac, où les prix ont augmenté de 720% en quatre ans. Le seul moyen d'éviter qu'ils deviennent totalement inaccessibles. Il faut lever un emprunt obligataire pour entrer dans les Safer et investir. Cette question du foncier, dans sa transversalité, touche aussi bien les villes, le bâti, l'aménagement du territoire, l'agriculture, le tourisme. Dans d'autres secteurs, il faudra être transversal en abordant ensemble santé et l'environnement, ou en affrontant la question de la reconversion de l'emploi."

Articuler le travail pour le rendre lisible

"Je pense qu'une de nos priorités doit être de mieux articuler le travail entre l'exécutif (les vice-présidents, NDLR), l'administratif et le délibératif (l'ensemble des conseillers régionaux, qui votent en assemblée). C'est essentiel pour rendre lisible notre travail, éviter que les citoyens ne sombrent dans le poujadisme. L'abstention me renforce dans cette conviction. Aujourd'hui, il y a une véritable opacité. Certains directeurs généraux adjoints dépendent de plusieurs vice-présidents, et le travail de certains vice-présidents relève de plusieurs DGA. Il y a un empilement administratif, des strates nouvelles ajoutées sans supprimer les précédentes. C'est une vraie maladie administrative française. C'est Feyzin : on branche, on ajoute un tube, on le raccorde de l'autre côté à un autre tube. De l'extérieur, on ne comprend plus rien à ce fonctionnement et cette opacité est très sélective socialement. Seuls ceux qui possèdent les codes peuvent s'orienter, accéder aux subventions par exemple. J'ai milité pour que l'on réduise le nombre de vice-présidents, qui auraient travaillé avec deux ou trois conseillers délégués, et un directeur général adjoint. Au lieu de juxtaposer des missions aux contours différents, cela faisait une équipe de quatre ou cinq personnes ayant une responsabilité collective et la capacité de travailler en transversalité. Cela n'a pas été possible pour l'instant mais je ne renonce pas. Il faudra prendre le temps de convaincre, de rassurer les fonctionnaires. Si leur travail devient plus lisible, ils gagneront beaucoup en légitimité et en plaisir. Or en prenant du plaisir, on est toujours meilleur dans son travail.

Olivier BERTRAND et Anne-Caroline JAMBAUD

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