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samedi 6 octobre 2012

Paysannes



Vies de paysannes : de 1927 à 2010...
Le terme de paysan est parfois ressenti comme péjoratif. Pourtant, dans le dictionnaire, ce dernier est défini comme "une personne vivant à la campagne de ses activités agricoles"... Quelle est la place des femmes dans ce monde ? A l'occasion de la Journée mondiale des paysannes vendredi 15 octobre 2010, dijOnscOpe est allé chercher le témoignage de deux femmes qui connaissent ou ont connu la vie à la ferme, avec ses joies et ses peines...
Ginette Lemaire / âge : 83 ans / années vécues à la ferme : 47 ans
"Mes parents avaient une ferme qu'ils louaient au bout du village d'Arc-en-Barrois (52). Nous nous levions tôt le matin pour faire la traite des vaches, c'est pourquoi avec mes soeurs, nous ne sommes jamais sorties dans les fêtes le soir. Et même lorsque nous bavardions une fois au lit, notre père, qui nous entendait, nous rouspétait et nous disait de nous taire et de dormir ! Avec la traite, il n'y avait pas de repos le dimanche : c'était à faire deux fois dans la journée, comme les autres jours de la semaine. Je m'occupais aussi des champs, avec mes frères, et nous faisions le beurre également. Les clients venaient à la ferme chercher leur lait qu'on distribuait dans la cuisine - ma mère se servait de l'argent liquide pour faire tourner la maison. Et l'hiver, avec mes soeurs, nous brodions des mètres et des mètres de draps.

Nous étions sept enfants à la maison. Et pour sept enfants, mes parents n'ont touché que trois mois d'allocations familiales ! Nous ne roulions pas sur l'or mais nous n'étions pas pauvres. Pourtant, à l'époque, ils étaient nombreux les pauvres : on voyait beaucoup de gens dans la rue, comme aujourd'hui d'ailleurs. Je me souviens que les mendiants passaient à la ferme le soir et souvent, nous les faisions coucher dans l'étable où ils avaient chaud. Le nombre de personnes que nous avons nourri pendant la guerre ! Cela dit, nous avions quand même des soucis matériels : nous vendions notre blé rien du tout. C'était de l'agriculture biologique, sans engrais : parce que nous n'avions pas les moyens d'en acheter ! Alors nous n'avions pas de grands rendements. Je me souviens que mon père emmenait les pommes de terre à Dijon et les vendait 30 francs (4,5 euros) les 100 kilos ! Mais nous avions des parents en or et à la maison, l'ambiance était très familiale : à table, il y avait donc les sept enfants, mes deux parents mais aussi mes grand-parents paternels, sans oublier les employés de la ferme !
Ce sont les meilleurs jours de ma vie, même si le travail n'était pas facile. Nous vivions avec la nature : en voyant un nuage à droite, nous en déduisions une chose, s'il était à gauche, autre chose. Nos dictons se rapportaient à la nature : tout nous y conduisait. La vie dans les fermes était donc rythmée par la nature, le travail et par la religion. Et à un moment, aussi par la guerre : je me souviens d'avoir gardé les moutons et entendre le ronronnement des avions anglais qui allaient bombarder l'Allemagne. Allongée dans l'herbe, je les regardais passer...
"C'est une vie dure mais elle rend fort"
Mon père a été maire d'Arc-en-Barrois pendant 27 ans et conseiller général de la Haute-marne pendant 29 ans. Nous n'étions pas des illettrés, loin de là ; et même si ma grand-mère, qui était par ailleurs très pieuse, s'est opposée à ce que j'aille en pension, nous avons pratiquement tous eu notre certificat d'étude. Quand j'ai eu 27 ans, j'ai voulu apprendre un autre métier : mes parents ne pouvaient pas tous nous rémunérer et j'ai voulu aller travailler dans une clinique à Chaumont... seulement la même année, je me suis mariée et mon époux tenait la ferme la plus importante du département. Alors il a fallu s'en occuper.
C'était une ferme modèle, avec les moissonneuses-batteuses et plein d'autres matériels modernes. Moi, je ne m'occupais plus des champs ; nous comptions jusqu'à vingt personnes dans la ferme, mes trois filles et les employés compris : il fallait bien s'occuper de tout ce monde. Nous avons connu des moments très difficiles, avec deux énormes incendies où tout a été brûlé. Nous avons juste eu la chance de ne pas avoir de dégâts sur la maison. Mais c'était l'horreur. A chaque fois, nous avons recommencé... Cela jusqu'à mon veuvage, à 47 ans. Ensuite, j'ai fait toutes sortes de travail à l'hôpital. Et aujourd'hui, j'habite un appartement à Dijon où je me plais beaucoup.
Les paysans sont souvent représentés comme rustres. Et c'est vrai que certains étaient même vraiment grossiers. Mais ils ont une vie dure, pénible, ce qui ressort sur leur caractère. Quant aux femmes, je ne dirais pas qu'elles étaient maltraitées mais enfin, elles n'étaient pas considérées. Elles devaient faire à manger, des enfants... C'est donc une vie dure mais elle rend fort : je ne suis jamais malade, mes frères et soeurs non plus !"
Isabelle Olivier / âge : 40 ans / années vécues à la ferme : 15 ans
"Je ne viens pas du tout du monde agricole : je suis Dijonnaise, issue d'une famille de commerçants. Plus jeune, je voulais être reporter alors j'ai fait les études pour y arriver. Mais alors que j'étais à la faculté, je suis partie faire les vendanges. Et là, j'ai rencontré mon futur mari ; c'était en 1992. Lui est issu d'une famille d'agriculteurs de Concoeur, un hameau de Nuits-saint-Georges (21) qui compte soixante habitants. Très vite, il m'a proposé de venir travailler avec lui. Au départ, il pensait faire du fromage mais il est revenu dans l'exploitation de ses parents qui cultivaient du cassis. Lorsqu'on s'est rencontré, il faisait des foires agricoles pour vendre son sirop de cassis, qui est une recette de sa grand-mère. Un jour, il m'a demandé de tenir son stand à Florissimo et j'ai proposé que l'on fasse également des confitures. Là commençait notre aventure... J'ai tout laissé tomber : j'avais été prise au concours d'une grande école de journalisme mais je n'ai jamais répondu au courrier...
Ca n'a pas été évident, loin de là. Je n'avais pas vraiment les meilleurs atouts pour arriver dans une famille de paysans des Hautes-côtes ; j'avais l'image de la citadine qui me collait à la peau. Alors je suis partie faire une formation (l'Afrat) dans le Vercors, destinée aux ruraux et pas simplement aux agriculteurs. Et puis avec mon mari, nous nous sommes installés en prenant une partie des surfaces cultivées et nous avons développé notre activité. Mais je n'avais pas de diplôme agricole et je ne voulais pas simplement me cantonner au rôle de conjointe, alors j'ai fait une formation agricole. Au début, j'avais peur de me retrouver qu'avec des garçons qui me parleraient de blé... C'était presque le cas : la première question qu'ils m'ont posé était de savoir quel type de tracteur je possédais ! J'avais 24 ans. Cela a duré deux ans et j'en ai profité pour faire deux enfants. Après, c'était parti...
Au départ, nous avions deux hectares où nous cultivions du cassis, des framboises, des fraises, des groseilles, des cerises et des pêches de vigne. Nous vendions à la ferme et nous recevions beaucoup de groupes. Ca a bien marché au point de ne plus arriver à suivre, alors nous avons embauché ma mère à la vente et mon petit-frère pour la fabrication des confitures. Nous avons agrandi notre gamme de produits et aujourd'hui, nous travaillons sur douze hectares. Nous sommes tous à temps plein et récemment, nous avons embauché ma cousine plus deux autres personnes, sans oublier l'employé qui s'occupe de la boutique que nous avons achetée au centre-ville de Nuit-saint-Georges.
"Quand je passe dans un champ de cassis, je ressens s'il y a un départ de maladie ou non..."
Ce qui était le plus difficile au départ, ce n'était pas tant le travail physique que de faire ses preuves : quand vous êtes une fille dans le monde agricole, vous n'êtes pas prise au sérieux. Les confrères et même les clients vous cantonnent aux tâches du commerce ou de la comptabilité. Nous étions attendus au tournant avec mon mari, encore plus lorsque nous nous sommes mis à l'agriculture biologique. Mais notre enthousiasme nous portait : au départ de cette aventure, il y a quand même une histoire d'amour ! Cela ne m'empêchait pas d'avoir conscience des risques : nous dépendons de la météo et donc nous pouvons tout perdre en un rien de temps...
D'autre part, ce qui m'a beaucoup choqué pendant des années, c'est le fonctionnement du monde agricole : pour beaucoup, les gens n'arrivent plus à vivre de leur travail. Ils reçoivent des primes de l'Etat pour compenser les bas prix pour lesquels on achète leur récolte. C'est ça la réalité du monde agricole : ils vivent de primes ! On ne valorise plus les gens qui produisent la matière première. Les paysans sont désespérés et aujourd'hui, nombreux sont ceux qui conseillent de ne pas faire leur métier. C'est très grave car ce sont de beaux métiers. Pour ma part, je me suis aperçue que le rapport à la terre me faisait du bien alors qu'au départ, je n'étais pas du tout attirée par cette vie. Je me suis découvert une vraie passion. Et aujourd'hui, lorsque je passe dans un champ de cassis, je ressens s'il y a un départ de maladie ou non...
Les régions agricoles sont toutes différentes les unes des autres et ce que j'ai trouvé dans les Hautes-côtes, c'est une région un peu fermée sur elle-même. Pour les femmes, les familles ont l'ambition qu'elles soient institutrices, pour la sécurité de l'emploi et le temps de libre qui permet de s'occuper des enfants. Les rôles sont encore distribués selon les sexes : la cuisine et le ménage sont réservés aux femmes...
Mais à côté de cela, les gens réservent de bonnes surprises : ils sont un peu fermés au premier abord mais une fois qu'ils vous acceptent, les relations sont super après ! Et ce que j'aime beaucoup aussi, c'est le fait que les agriculteurs vivent avec les saisons, c'est un rythme sain. On apprend à relativiser du moment que l'on a accepté que notre travail puisse être détruit en peu de temps. C'est vrai que je voulais parcourir le monde alors qu'aujourd'hui, j'évolue dans un rayon de 5 km ! Mais je suis bien comme ça ; je ne pourrais plus avoir une autre vie...". 
DijOnscOpe

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