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lundi 26 août 2013

Nos lectures de l' été : Zeev Sternhell...



Ni droite ni gauche, de Zeev Sternhell
J’avais précédemment parlé du fabuleux ouvrage de Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire. La précision de ce travail et l’audace de ses thèses m’avaient alors ébloui. Lorsque j’ai vu que Gallimard publiait une nouvelle édition de son œuvre suivante, Ni droite ni gauche, je me suis précipité dessus sans états d’âme. Coupons court à tout suspense : je n’ai pas été déçu, ne serait-ce que par la taille de cette quatrième édition revue et augmentée, plus de mille pages. La droite révolutionnaire se focalisait sur les années 1885-1914, qui ont vu le boulangisme, l’affaire Dreyfus, la montée (puis le déclin) du mouvement jaune et du syndicalisme révolutionnaire, avec des grandes figures comme Barrès, Déroulède, Sorel, Biétry et Guérin. L’idée principale de l’ouvrage était que le fascisme, en tant qu’idéologie, était né en France durant le tournant du XXe siècle, préparant l’arrivée des grands mouvements d’extrême-droite européens. Ni droite ni gauche (sous-titre : L’idéologie fasciste en France) reprend les choses au lendemain de la première guerre mondiale. Cette fois-ci, l’objet d’étude est un secteur méconnu de l’histoire politique française : le fascisme en France. C’est un lieu commun de dire que la France a échappé au fascisme, que le régime de Vichy était un avatar lointain d’une droite légitimiste et réactionnaire, et qu’aucun mouvement de masse digne de ce nom n’a émergé à la droite de la droite. Ces éléments contiennent chacun un degré plus ou moins grand de vérité, à l’exception du premier : la France a bel et bien connu une pléthore de mouvements fascistes durant l’entre-deux-guerres. Sternhell va s’employer à le prouver, tout en engageant une passionnante réflexion sur la définition du fascisme.
Ce long chemin commence par un retour sur la Belle Époque, avec l’étrange aventure des Cahiers du Cercle Proudhon, entreprise menée par Georges Valois, personnage essentiel, pour joindre la pensée de Charles Maurras avec celle de Georges Sorel. La haine de la démocratie bourgeoise avait poussé ce dernier à rompre avec le mouvement socialiste, ce qui l’a entraîné à dialoguer avec le mouvement le plus antidémocrate de son temps, l’Action française. Se dessine à partir de là une première ligne de partage, un premier critère du fascisme. Déçus par l’évolution de la politique française, un certain nombre de leaders socialistes ne conçoivent plus le prolétariat comme l’élément révolutionnaire par excellence, puisque ses velléités de changement semblent limitées… Ils se tournent donc vers une autre idée, capable de dépasser l’impuissance prolétarienne pour renverser l’ordre des choses : la nation. Le concept de nationalisme révolutionnaire fait doucement son chemin, mais n’aura pas vraiment de succès en France, jusqu’au lendemain de la Grande guerre. Par contre, il connaîtra une fortune bien plus grande en Italie, avec un Mussolini qui avait toujours été sensible aux idées socialistes et nationalistes du Cercle Proudhon. Mais c’est bel et bien en France que va surgir le premier mouvement purement fasciste en-dehors d’Italie : le Faisceau, fondé en 1925 par Valois. Ce dernier venait de rompre avec l’Action Française, et profita de l’appui de quelques grands patrons, dont le fameux parfumeur François Coty. Le but de Valois est clair : détruire les valeurs bourgeoises, renverser le capitalisme, recréer la grandeur française, grâce à une fusion entre la Nation et le Socialisme. L’expérience tournera court. Harcelé par ses anciens amis de l’Action Française, qui considère le Faisceau comme une menace mortelle pour son vivier d’adhérents, lâché par ses bailleurs de fonds, le parti disparaît en 1928. Georges Valois fonde dans la foulée le petit Parti républicain syndicaliste, qui finira par se fondre dans le Front populaire. Valois périra à Bergen-Belsen en 1945, après avoir rejoint la Résistance, à plus de soixante-cinq ans.
Zeev Sternhell aborde ensuite le cas, fort méconnu en France, des théories d’Henri de Man. Leader du Parti ouvrier belge, ce dernier a publié en 1927 un ouvrage essentiel, Au-delà du marxisme. De Man, après avoir fait partie de l’aile la plus rouge du parti, se convertit après la Grande guerre à un socialisme gestionnaire, pleinement compatible avec la démocratie représentative et avec l’ordre social existant. Son but principal est le dépassement du marxisme, puisque celui-ci est le produit d’une époque dépassée ; il réclame donc le remplacement du matérialisme inhérent au marxisme par un vitalisme hérité du freudisme, pour bâtir un socialisme qui soit véritablement moral. En termes plus clairs, de quoi s’agit-il ? Le moteur de l’Histoire n’est pas, pour de Man, la lutte des classes, mais la psychologie des hommes. Il remplace donc la dialectique des forces et des rapports de production par le volontarisme des leaders syndicaux et socialistes. Ceci pourrait apparaître comme une doctrine sociale-démocrate assez fade, mais la fusion entre socialisme et idéalisme aura de lourdes conséquences… Henri de Man est resté loin des doctrines fascistes, mais accueillera favorablement l’invasion de la Belgique en 1940, avant de s’exiler en Suisse.
Plus célèbre est le cas de Marcel Déat. Normalien, agrégé de philosophie, l’homme rejoint la SFIO et commence une carrière fulgurante. Il devient rapidement l’un des leaders de la droite du parti socialiste. Son ouvrage Perspectives socialistes, paru en 1931, marque sa prise de distance avec le marxisme : ce dernier n’est pour lui qu’un outil de réflexion, qui doit être adapté à la réalité contemporaine. Il réclame aussi un mouvement en faveur des classes moyennes, mais aussi la réconciliation du socialisme avec la nation dans son ensemble. Déat ne va pas tarder à rejoindre le camp planiste, et va professer un étatisme conciliant le capitalisme privé et un socialisme de type national. Léon Blum se heurte de front à Déat et ses séides, d’une façon très claire : « un socialisme national ne serait plus le socialisme et deviendrait rapidement antisocialisme ». Les « néo-socialistes » sont exclus de la SFIO dès novembre 1933. Les aspects planistes de leur doctrine vont s’amplifier de plus en plus, avec in fine le fantasme d’un socialisme sans prolétariat. La question nationale va également prendre de plus en plus d’importance. Déat tentera sans succès d’empêcher la réussite du Front populaire, puis dérivera rapidement vers la droite, jusqu’à s’engager corps et âme dans la collaboration avec l’Allemagne nazie.
Thierry Maulnier, qui après la guerre deviendra académicien, s’était engagé, au travers de la revue Combat, dans un long affrontement contre le matérialisme qui selon lui dominait l’époque : le matérialisme de droite, libéral, consumériste, corrupteur ; le matérialisme de gauche, marxiste, violent, chaotique. Thierry Maulnier, tout comme Drieu la Rochelle et Brasillach, défend le spiritualisme, l’idéalisme, seul capable de donner du sens à l’existence humaine et capable d’expliquer ses penchants. L’homme est traversé par des pulsions vitales, de violence, de cruauté et de domination. Il faut donc lui donner un gouvernement qui sache reconnaître ces pulsions, et s’en servir. Ce gouvernement ne pourra être qu’un gouvernement fort, viril, nationaliste, qui ne se cache pas derrière la rationalité bourgeoise ou le prolétarisme… Sternhell consacre également de longs développements à Emmanuel Mounier, directeur de la revue Esprit, dont l’antimatérialisme offre de nombreuses similitudes avec les thèses fascistes. C’est là l’une des thèses les plus importantes de l’ouvrage : le fascisme est un idéalisme. Le fascisme révère l’esprit, mais pas la raison. Le fascisme est un vitalisme, une idéologie basée sur une interprétation réactionnaire de la psychologie humaine : les hommes sont cruels par nature. Ce n’est pas regrettable, au contraire… Il faut s’en réjouir. Ce qui est, on en conviendra, une pensée typiquement droitière.
Zeev Sternhell rappelle également le comportement peu honorable d’une partie des intellectuels français durant la guerre, comme celui d’Alfred Fabre-Luce et Bertrand de Jouvenel, proches du PPF de Doriot, qui se sont reconvertis après-guerre en libéraux bon teint. L’historien termine sur une longue tirade critiquant la position de Raymond Aron, qui s’est échiné à défendre l’indéfendable Carl Schmitt, passant sous silence ses innombrables compromissions avec le national-socialisme.
Ceci dit, quelles sont les thèses à retenir de cet ouvrage ? La plus importante, c’est que l’ensemble des mouvements socialistes qui ont quitté le marxisme ont dérivé, d’une manière ou d’une autre, vers le fascisme, soit en remplaçant le prolétariat par la nation, soit en abandonnant le matérialisme pour l’idéalisme. L’idée est audacieuse, voire même grossière, mais Sternhell fournit de nombreux éléments de preuve. Difficile de trancher, tant ces questions sont méconnues, mais le comportement de Déat, de Doriot, de de Man et de Valois fait lourdement pencher la balance du côté de l’auteur… Dans tous les cas, la démonstration de l’existence réelle du fascisme en France durant l’entre-deux-guerres est faite.
D’autre part, Zeev Sternhell nous offre toutes les clés pour parvenir à une définition digne de ce nom du fascisme, dont nous avons d’ailleurs bien besoin. Le fascisme est donc un mouvement politique nationaliste, professant un socialisme antimarxiste et organiciste, basé sur un idéalisme antirationaliste et antimatérialiste.
Le fait que cette description s’applique presque totalement à un certain parti contemporain n’est pas fortuit. Au contraire, c’est tout à fait logique.
S.C. pour APL

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