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vendredi 10 janvier 2014

Les évènements de Bretagne : vraies crises et vraies manipulations...



Les événements de Bretagne : vraies crises et vraies manipulations
Les événements de Bretagne sont un cas d’école quant aux mutations nécessaires de notre système de production et de distribution pour sortir des crises sociale, économique et écologique sous-jacentes aux troubles actuels. Mais ces événements ont aussi été des moments propices, en agitant un tant soit peu les racines et les drapeaux locaux, à des manipulations et récupérations indignes. Ils sont, enfin, les révélateurs des dangers, auprès d’une opinion en quête de sens autant que de pouvoir d’achat, de mesures mal préparées, mal expliquées, considérées au mieux comme accessoires, au pire comme des contraintes d’une politique sans vision.
Manipulations
Si elle révèle sans nul doute une crise sociale, la première manifestation, à Quimper, n’est pas une révolte citoyenne spontanée : elle est surtout l’instrumentalisation d’un désarroi par ceux qui en sont largement responsables, parce qu’ils poussent à ses limites un système qui correspond à leurs intérêts.
Il y a instrumentalisation politique parce que la manifestation a eu lieu à l’appel de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA), qui a depuis toujours refusé une perspective agricole axée sur la qualité et non sur les volumes, avec moins de pesticides, moins d’intrants, qui a toujours profité des aides de la Pac (alors même qu’on savait certaines d’entre elles condamnées lors de la révision des accords). Cette fédération agricole était alliée à certaines branches du Medef et à la grande distribution, et à quelques syndicalistes fourvoyés. Le syndicat FO national s’est du reste démarqué de ce regroupement confus jouant sur le poujadisme de la rivalité Paris-province, toujours présent et, sous l’influence de divers courants régionalistes, sur la fierté de jacqueries ou chouanneries historiques hors de propos.
Des études robustes montrent l’importance des redistributions interrégionales du budget de l’État. L’Ile-de-France verse nettement plus qu’elle ne reçoit et est la seule contributrice nette (les raisons en étant principalement la structure de l’emploi francilien et sa proportion de cadres, ainsi que la concentration régionale des patrimoines). Deux régions ont un solde à peu près équilibré : Rhône-Alpes et l’Alsace. _ Toutes les autres sont nettement bénéficiaires, et notamment la Bretagne, contrairement aux slogans entendus à Quimper. Généralement, la revendication d’autonomie fiscale émane, en Europe, de régions riches dont certains représentants ne voudraient plus payer pour les régions pauvres : la Catalogne ou le Pays basque en Espagne, la Lombardie en Italie, la Flandre en Belgique notamment. Dénoncer « l’impôt parisien » spoliateur en Bretagne est donc absurde au plan des faits, mais politiquement payant.
Dans une telle confusion, le portique de l’écotaxe est ainsi devenu le symbole du « ras-le-bol fiscal ». Chacun devrait pourtant comprendre que le prélèvement de l’impôt et des cotisations sociales n’est pas une simple soustraction, il finance en retour les équipements, les services collectifs et la solidarité (famille, chômage, maladie, vieillesse).
Crises
Il faut en effet affronter trois crises imbriquées : sociale, économique et écologique.
Certaines entreprises industrielles implantées en Bretagne dans les années 1970 sont aujourd’hui concurrencées par d’autres régions et pays du monde, dans la construction électronique ou la construction automobile, par exemple. Une partie de l’agriculture et de l’agro-industrie devait son équilibre aux subventions européennes : une réforme de la politique agricole commune peut la mettre en danger. Un modèle de production atteint ses limites, en termes économiques et sociaux, avec en outre un bilan environnemental très négatif (de nombreux cours d’eau sont gravement pollués, etc.).
Pour autant, pour l’ensemble des activités, l’Ouest de la France a mieux résisté que d’autres territoires à la crise économique. La cristallisation d’une crise politique en Bretagne, associant employeurs et employés dans une même fronde contre l’État central, est utilisée pour remettre en cause la stratégie économique globale du gouvernement de M. Ayrault.
Les problèmes de la Bretagne sont profonds et ne se résoudraient pas par l’abandon d’une écotaxe qui, n’existant pas encore, ne peut être tenue pour responsable des difficultés constatées. Les aides de Bruxelles ont maintenu en vie (grâce au mécanisme de « restitution », dont la suppression a été annoncée dès 2005 et confirmée en 2008) un modèle élaboré il y a plus de 40 ans, qui a donné de belles réussites mais est aujourd’hui exsangue : celui de l’exploitation des effets d’aubaine de la Pac et des produits « tout-venant », dépendant en outre du prix d’importation du soja. Cette stratégie fondée sur l’augmentation du volume de production à bas prix ne tient plus. D’autres (les Allemands et les Espagnols, ainsi que les Brésiliens) l’ont adoptée, pour la production de porc par exemple, de manière encore plus compétitive. L’Allemagne n’a toujours pas de salaire minimum et emploie des travailleurs roumains détachés tandis que les salaires en Espagne baissent avec la crise et l’austérité terrible imposée à ce pays. Est-ce là le modèle de développement européen ?
En matière d’écologie – une des dimensions majeures de la durabilité d’une politique économique –, les feux sont au rouge depuis longtemps : algues vertes toxiques, eutrophisation des eaux des rivières et des nappes phréatiques (nitrates, phosphates, lisier). Où sont les circuits courts, la qualité, l’agro-écologie, sinon la production bio ? Pourquoi continuer à considérer les alertes environnementales comme des contraintes, plutôt que comme une chance et un levier de transformation ? Bien entendu, ces voix et ces voies existent en Bretagne, et leur situation économique est heureusement meilleure et plus stable.
L’Écotaxe en quelques mots
C’est avec l’écotaxe poids lourd que doit être appliquée en France la directive Eurovignette, qui prescrit aux États membres de l’Union européenne une tarification de l’usage des infrastructures routières par les poids lourds, en proportion des distances parcourues. Six pays de l’Union l’ont déjà adoptée à ce jour, sans compter la Suisse qui n’appartient pas à l’Union et où la redevance poids-lourd (RPLP) est en application depuis 2001 sans, apparemment, ruiner l’économie helvétique.
L’écotaxe fait l’objet d’une loi française de 2009, votée donc sous l’ancien gouvernement à la quasi-unanimité du Parlement (le Parti socialiste votant avec la majorité de droite, les écologistes s’abstenant) en application des accords du Grenelle de l’environnement. Il conviendrait que les responsables politiques qui l’ont proposée et votée en leur temps assument aujourd’hui leurs décisions.
L’écotaxe doit être perçue uniquement sur le réseau national non concédé (hors donc les autoroutes à péage) et sur quelques itinéraires départementaux parallèles, soit en tout 15 000 km. Pour mémoire, le réseau départemental total compte 377 000 km, sans compter le réseau communal plus long encore.
Sur ces itinéraires, le montant doit en être de l’ordre de 12 centimes par kilomètre en moyenne. Il connaîtra une triple modulation : par type de véhicule (poids lourds et ensembles routiers sont répartis, selon leur poids et leur taille, en trois classes) ; par niveau de pollution (les moteurs diesel les plus propres bénéficient d’une diminution de 25 % de la taxe moyenne, les plus sales d’une augmentation de 25 %, les véhicules électriques d’une diminution de 40 %) ; par région (pour compenser leur « périphéricité », l’Aquitaine et les Midi-Pyrénées bénéficient d’une diminution de 30 %, et la Bretagne de 50 %).
Ses recettes doivent aller à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFIFT), créée en 2004 et chargée de financer les infrastructures ferroviaires, routières et fluviales. Les autoroutes concédées, dispensées de la nouvelle écotaxe, versent déjà une partie de leurs recettes à l’AFITF.
L’objectif est, outre la récolte de ressources pour financer le système de transport, d’inciter aux économies d’énergie et au report d’une part du trafic vers d’autres techniques de transport que la route. Les expériences étrangères montrent qu’une large part des gains écologiques constatés tient à l’amélioration du transport routier lui-même, qui diminue les trajets à vide ou à chargement partiel de ses poids lourds et améliore ainsi son efficacité économique et environnementale, effaçant de ce fait le surcoût de la taxe.
Notons enfin que, taxe territoriale, l’écotaxe s’appliquera à tous les véhicules circulant sur le réseau concerné, quel que soit leur pays d’immatriculation. Elle ne discriminera donc pas les entreprises de transport françaises confrontées par ailleurs au dumping social et fiscal de certains pays européens. Sans être un remède miracle, l’écotaxe est donc une mesure décidée par une très large majorité politique et contribuant, à son échelle assez modeste, à une évolution du transport vers plus de « durabilité ».
Quelle stratégie économique, sans renoncements ?
Au plan du développement durable, on savait que le nouveau paradigme d’un modèle de production/consommation plus soutenable serait difficile à enclencher, que les marges de manœuvre budgétaires seraient étroites pour trouver les ressources supplémentaires nécessaires à la gestion des transitions, mais il ne semblait pas que les renoncements toucheraient une « contribution » politiquement consensuelle parce qu’écologiquement juste et dont l’impact économique est à la fois nécessaire globalement, et relativement indolore au plan microéconomique.
À l’heure où Paris monte son dossier pour accueillir en 2015 la conférence sur le climat (COP21), les reculades sur la mise en œuvre d’une des décisions du Grenelle les moins controversées ne sont pas de bon augure. Il faut avoir le courage de réformer, avec des objectifs clairs, pédagogiquement expliqués et des méthodes socialement justes et équitables.
Au plan macroéconomique, à côté du soutien à l’emploi, l’objectif principal du gouvernement actuel consiste à desserrer la contrainte de la dette publique, dont le poids dans le budget augmente continûment au détriment des dépenses utiles.
À cette fin, le gouvernement a choisi principalement d’augmenter les impôts, en particulier sur les catégories les plus riches : diminution des « niches fiscales », élévation du barème de l’impôt sur le revenu, abandon de la taxation forfaitaire de certains revenus du capital, etc. Les dépenses publiques n’ont pas diminué (à la différence des pays où s’applique une politique d’austérité : licenciement de fonctionnaires et baisse radicale des salaires de ceux qui subsistent, diminution des retraites, restriction drastique des dépenses d’éducation et de santé, etc.).
Insistons sur le fait que cette stratégie est à l’inverse de celle des gouvernements précédents, qui avaient augmenté la dette publique de 50 % en cinq ans faute de mettre à contribution les revenus les plus aisés. C’est pourquoi elle fait, depuis le début, l’objet d’une critique très virulente de nombre de milieux économiques (qui s’expriment quotidiennement dans les pages du Figaro ou à la radio et la télévision, BFMTV par exemple). On entend ainsi que l’impôt devient confiscatoire, décourage l’initiative privée, contraint les grandes fortunes à l’exil, etc., tandis que la charge pesant sur les « classes moyennes » est mise en avant (avec, par exemple, le blocage des revenus de référence fixant le montant de l’impôt sur le revenu, ignorant l’inflation, ou l’augmentation prochaine de la TVA de 0,4 %).
La récente dégradation de la note de la France par l’agence Standard and Poor vaut brevet de politique anti-austérité : l’agence motive sa décision en reprochant au gouvernement français de ne pas réduire le déficit assez vite, de préférer l’impôt à la diminution des dépenses publiques et de solidarité, de ne pas engager de réformes structurelles (c’est-à-dire de ne pas assouplir radicalement le droit du travail).
Cette politique complexe et quelque peu contradictoire est lente à porter ses fruits (la récession est juste interrompue, le chômage est stabilisé à un niveau élevé, le déficit de la balance commerciale traduit une insuffisance d’efficacité productive). Le montant de l’impôt et des autres cotisations sociales en proportion du PIB est un des plus hauts d’Europe. Si l’impôt n’est pas une destruction mais un transfert, s’il est l’aliment de la solidarité sociale, les prélèvements ne sont légitimes que pour autant qu’ils sont justes (les citoyens paient en fonction de leur capacité contributive) et efficaces (pas de gaspillages dans les dépenses).
L’accomplissement de la grande réforme fiscale promise par M. Hollande pendant sa campagne présidentielle serait la bonne manière de « sortir par le haut » des frondes actuelles.
Michel Savy et Jean-Louis Galzin

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