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jeudi 19 janvier 2012

Die : L' eau : mythe et realité...

L’eau : mythe et réalité
Maintes fois les méandres de l’histoire en ont fait l’illustration : les éléments sacrés génèrent convoitises et conflits. L’eau n’échappe pas à cette règle. Cependant, au-delà des risques et des enjeux qu’elle suscite, quelques gouttes d’espoir perlent l’avenir. L’eau aurait-elle la vertu de rassembler les hommes ?
Un voyage au fil de l’eau qui ancre les paradoxes.
Les Latins avaient deux mots pour désigner l’eau : « aqua », l’élément et « unda », l’eau en mouvement, dans laquelle on reconnaît notre mot « onde ».
Ainsi, eau désigne un liquide naturel, incolore, inodore et transparent, un corps composé de deux volumes d’hydrogène et d’un volume d’oxygène (H2O) que l’on peut trouver à l’état liquide, solide ou gazeux (Le Robert – Dictionnaire historique et Dictionnaire de la langue française), ce qui la rattache d’abord au monde de la science et lui confère sa matérialité.
Mais, elle entre aussi dans une dimension religieuse et poétique, dans une symbolique que les hommes de toute civilisation et de tout temps ont utilisée. L’enfant nouveau-né en danger de mort est « ondoyé », c’est-à-dire qu’il ne reçoit, dans l’urgence, que l’ablution baptismale, sans les rites et les prières qui l’accompagnent ; le vieillard s’apprête à « passer l’onde noire » – le Styx dans la mythologie grecque -, à mourir : « Quand on passe l’onde noire, / adieu le bon vin, nos amours…  » (Molière, Bourgeois gentilhomme) ; le Christ propose à la Samaritaine, auprès du puits de Sychar, « l’eau vive », celle qui deviendra « […] source d’eau jaillissant en vie éternelle. » (Jean, 4, 14) ; le poète, l’assimile à l’image du temps qui passe, qui s’écoule : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine / Et nos amours / Faut-il qu’il m’en souvienne / La joie venait toujours après la peine… » (Guillaume Apollinaire, Alcools, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1965). Par la multiplicité de ses aspects l’eau est un lien unique entre le sacré et le profane, les religions, la philosophie, la science et la poésie, elle est source d’innombrables métaphores.
A l’eau calme, de l’étang ou de la mare, s’oppose l’eau rapide, celle de la cascade, impétueuse et fascinante ; à l’eau lustrale du baptême s’oppose l’eau épaisse, croupissante et limoneuse que la poétique d’Edgar Poe confond avec le sang ; à l’eau claire des sources et des fontaines, dispensatrice de vie, s’oppose celle des noyades, des inondations et des déluges, pourvoyeuse de mort.
Richesse du symbolisme de l’eau. L’eau germinale et fécondante, « Mère primordiale » des Germains, génitrice des enfants naturels des paysans français et allemands pour qui ils sont « fils des fontaines » ; l’eau médicale, l’eau vive dont le symbolisme se retrouve dans toutes les civilisations et à toutes les époques et se perpétue dans le thermalisme depuis la plus haute antiquité ; l’eau baptismale, « substance du bien », modèle de toutes les purifications, dont on retrouve les pratiques dans les rites par aspersion ou immersion chez les Grecs et les Romains, les Arabes et les Chrétiens, les Juifs ; l’eau diluviale, punition des dieux pour une humanité corrompue mais en même temps purificatrice et régénératrice, à l’origine d’une nouvelle humanité.
L’eau limpide est dans toutes les civilisations – jusqu’à l’apparition de la pollution que l’on connaît aujourd’hui – symbole de pureté. Elle est neuve, première. Dans la peinture, le modèle de la jeune vierge qui vient remplir sa cruche à la source ou au puits a été maintes et maintes fois repris : Nicolas Poussin, en 1648, exécute pour le banquier Jean Pointel, le tableau « Eliézer et  Rébecca », sur un sujet tiré de la Genèse (Ecole française, Musée du Louvre). De jeunes vierges, autour d’un puits, sont venues s’approvisionner en eau quand Eliézer, vieux serviteur d’Abraham, s’adresse à elles pour se désaltérer et abreuver ses chameaux. L’une d’entre elles s’avance, penche sa cruche et verse à boire au vieil homme envoyé par son maître pour trouver une épouse à son fils Isaac : « […] tu iras dans mon pays, dans ma parenté, et tu choisiras une femme pour mon fils Isaac » (Genèse, 24, 4). C’est Rébecca. Elle répond à Eliézer : « Bois, et j’abreuverai aussi tes chameaux ». Il sait alors que c’est elle que Yahvé a choisi pour épouse à Isaac : « elle était très belle, elle était vierge, aucun homme ne l’avait approchée. » (Genèse, 24, 15).
L’eau entre dans des processus initiatiques qui permettent le passage d’un état à l’autre, de l’enfance à l’âge adulte. Chez les Hopis, qui appartiennent au groupe le plus occidental des Indiens Pueblo et vivent sur les plateaux du nord-est de l’Arizona, le bain fait partie des rites d’initiation du jeune homme avant son mariage. Il est baigné par les femmes : « […] la mère d’Irène m’a baigné de la tête aux pieds. Toutes les femmes m’ont baigné, tour à tour, tandis que je grelottais de froid, et il fallait que j’ai l’air doux et bon et que je dise à chacune : « Je vous remercie beaucoup. » Elles m’ont assuré qu’elles avaient lavé toutes traces de jeunesse qui me restaient et avaient préparé ma chair à l’état d’homme marié. » (Soleil hopi, citation tirée du chapitre X, Don C. Talayesva, traduction de G. Mayoux.).
Les rites de l’eau dans les trois religions monothéistes tiennent une grande place dans la vie des fidèles : le baptême juif, par immersion dans le Jourdain – baptême du Christ par Jean le Baptiste -, le baptême chrétien dans la cuve baptismale avec l’eau baptismale ou eau bénite ; les ablutions rituelles de la religion musulmane.
Chez les Chrétiens, il s’agit toujours d’une régénérescence, d’un retour à la vraie vie, d’une libération du mal, de la faute originelle ; le baptême fait entrer le nouveau-né ou l’adulte dans la communauté des Chrétiens, l’Eglise. Avec l’eau purificatrice et lustrale nous ne sommes pas loin de l’idée de chasteté exprimée par saint François d’Assise, dans son Cantique du Soleil : « Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur l’eau, / Laquelle est très utile, humble, précieuse et chaste. » (Cantique du soleil, trad. H.-R. Chazel).
Dans l’Islam, le Croyant doit effectuer des ablutions rituelles, partielles ou totales, que le Coran rend obligatoires. La prière, le jeûne et le pèlerinage à la Mekke ne sont valables que s’ils sont accomplis en état de pureté légale : «  O vous qui croyez ! / Lorsque vous vous disposez à la prière : / Lavez vos visages et vos mains jusqu’aux coudes ; / Passez les mains sur vos têtes /  Et sur vos pieds jusqu’aux chevilles… » (Coran, Sourate V, verset 6). Les ablutions par immersion totale du corps sont obligatoires après des relations sexuelles, recommandées avant la prière du vendredi. L’utilisation de l’eau, comme moyen de purification rituelle dans la religion musulmane, établit un lien très fort avec les autres religions du Livre.
Y compris lorsque les récits font de l’eau l’instrument de la vengeance divine, le Déluge est toujours régénération, refondation, renaissance. Dans les récits mésopotamiens comme « L’épopée de Gilgamesh », « Le grand homme qui ne voulait pas mourir » selon la belle formule de Jean Bottéro, nous avons un premier récit du Déluge, conservé sur une tablette d’argile qui remonterait au XIIIe siècle avant J -C. Le texte, écrit en cunéiforme, rapporte qu’un homme, Utanapishtim, est prévenu par le dieu de la Sagesse que l’assemblée des dieux a décidé de détruire l’humanité : « Démolis ta maison pour te faire un bateau ! Renonce à tes richesses pour sauver ta vie ! Détourne-toi de tes biens pour te garder sain et sauf ! Mais embarque avec toi des spécimens de tous les animaux [...]. Six jours et sept nuits durant, bourrasques, pluies battantes, ouragans et déluge continuèrent de saccager la terre. » (trad. de George Smith – découvreur de la tablette d’argile, 1832).
Le récit biblique du Déluge, est plus connu grâce à l’histoire de Noé (Genèse, chapitres 6 à 9), il est très proche des autres narrations mésopotamiennes. Tous puisent, sans doute, à une même source, la mémoire d’inondations catastrophiques dans la vallée du Tigre et de l’Euphrate. Quelques géologues y voient une trace de la mémoire enfouie du déversement subit de la mer Méditerranée dans la mer Noire, la faisant monter, il y aurait environ 7 500 ans, de 100m. Il y a toutefois dans le récit biblique une dimension unique, celle qu’introduit le sacré et « un enseignement éternel sur la justice et la miséricorde de Dieu, sur la malice de l’homme et le salut accordé au juste. » (Bible de Jérusalem, page 14).
Beaucoup plus tard, le poète Ovide (-47 à 17 ou 18), dans Les Métamorphoses (I, 253-312) reprend le thème du Déluge : Jupiter, après avoir métamorphosé le tyran arcadien Lycaon en loup, décrète que c’est toute la race humaine qui doit disparaître. Les dieux sont inquiets : ils ne veulent pas voir la terre sans humains. Alors, Jupiter leur répond qu’il va faire naître une nouvelle race d’origine merveilleuse mais, auparavant, pour punir les humains il choisit l’eau comme instrument de sa colère et provoque un déluge.
Le Déluge est également présent dans le Coran : « Nous l’avons sauvé, dans le vaisseau, / Lui et les siens, / Et nous avons englouti / Ceux qui traitaient nos Signes de mensonges. » (Sourate VII, 64, trad. D. Masson, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1967).
L’eau est associée à l’image du Paradis chez Ezéchiel « Au bord du torrent, sur chacune de ses rives, croîtront toutes sortes d’arbres fruitiers dont le feuillage ne flétrira pas, et dont les fruits ne cesseront pas : ils produiront chaque mois des fruits nouveaux, car cette eau vient du sanctuaire. Et les fruits seront une nourriture, et les feuilles un remède. » (Ezéchiel, 47, 12, Bible de Jérusalem.). Même image dans le Coran : « Voilà ceux qui obtiendront leur récompense : / Un pardon de leur Seigneur ; / Des Jardins où coulent les ruisseaux ; / Ils y demeureront immortels. / Comme est belle la récompense / De ceux qui font le bien ! » (Coran, Sourate III, 136, trad. D. Masson.).
Dans sa quête de l’immortalité Gilgamesh, notre héros sumérien, roi d’Uruk, part à la recherche de la plante qui lui donnera cette immortalité. Il la trouvera au fond de la mer, dans l’eau de jouvence, la fontaine merveilleuse qui réunit les vertus de toutes les autres sources : elle guérit, rajeunit et rend immortel. Dans la religion catholique on retrouve cette dimension de l’eau miraculeuse avec la source de Lourdes qui guérit les malades. L’eau thermale est la forme profane de cette eau sacrée investie de qualités remarquables. Dès les temps les plus anciens, chez les Romains en particulier, le thermalisme est à l’origine de la création ou du développement de nombreux sites et villes qui lui doivent leur existence mais aussi leur prospérité, parfois jusqu’à nos jours.
Sur la table de Peutinger, cette copie médiévale des itinéraires romains des IIIe s. – IVe s. on relèverait une centaine de noms de stations thermales. En Bourgogne, près de Vézelay, le site des Fontaines Salées conserve les traces archéologiques d’une station gallo-romaine où ont été mis à jour un sanctuaire gaulois et un établissement thermal édifié sur des sources salées aux vertus thérapeutiques. Ces sources ont été utilisées dès le néolithique final (vers 2300 avant J.-C.) comme l’attestent dix neuf captages en troncs de chêne évidés. En Savoie, Aix-les-Bains, est l’une des plus importantes stations thermales françaises. Dès la période romaine il existe une activité thermale qui donne à la ville une certaine prospérité comme en témoignent l’Arc de Campanus, construit en 25 avant J.-C., et le Temple dit de Diane, du IIe siècle après J.-C. Quant aux premiers thermes romains ils datent du 1er siècle de notre ère.
Mais l’eau n’est pas que symboles, relation avec le sacré. Elle est aussi enjeux de pouvoir politique et économique et requiert, entre autres, des compétences multiples qui font appel à des « experts » en hydrologie, glaciologie, climatologie, en science politique et économique, etc. ; des diplomates et des militaires.
Les grands textes fondateurs ont conservé la trace de ces problématiques. Les textes égyptiens montrent comment Pharaon a su, en s’appropriant la terre et en imposant un pouvoir fort et centralisé, transformer les inondations dévastatrices du Nil en une eau féconde à l’origine d’une grande civilisation hydraulique, aux greniers remplis, à la population nourrie, aux grandes constructions qui traversent les millénaires et qui n’auraient pas pu être bâties sans un Etat riche et puissant : l’Egypte ce « don du Nil » ! (Hérodote).
Le livre de la Genèse a conservé la mémoire des luttes, qui opposèrent Isaac et les Philistins, pour le contrôle des puits en Palestine : « Tous les puits que les serviteurs de son père (Abraham) avaient creusés, les Philistins les avaient bouchés et comblés de terre. » Isaac est chassé par Abimélek, roi des Philistins : « […] Isaac partit donc de là et campa dans la vallée de Gérar, où il s’établit. Isaac creusa de nouveau les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son père Abraham et que les Philistins avaient bouchés après la mort d’Abraham, et il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés. » (Genèse, 26, 16-18). Isaac et les siens ne retrouvèrent la paix et la prospérité que lorsque cessa la guerre des puits : « Maintenant Yahvé nous a donné le champ libre pour que nous prospérions dans le pays. » (Genèse, 26, 19-22).
La première guerre connue pour la maîtrise de l’eau remonte aux environs de 2450 avant J.-C. Elle se déroule en Basse Mésopotamie et oppose deux cités-Etats, Lagash et Umma, pour le contrôle de canaux d’irrigation, alimentés par le Tigre. Une première guerre (vers -2450) donne la victoire à Lagash et l’on voit sur la stèle qui témoigne de la réalité de ces combats, le roi avec ses prisonniers qu’il retient dans un filet ; mais, vers -2150, Umma tient sa revanche et anéantit la cité de Lagash.
Cette connaissance des faits, aussi loin qu’ils remontent, nous rappellent que, dans cette région du Proche-Orient, la question de l’eau dans les enjeux stratégiques régionaux, est primordiale et plusieurs fois millénaires, qu’elle oppose peuples et Etats dans des conflits armés qui mettent régulièrement la paix en péril. La maîtrise des eaux du plateau du Golan nourrit le conflit entre Israël et la Syrie ; la possession des eaux de la partie amont du Tigre et de l’Euphrate – avec la construction de barrages pour l’irrigation et l’industrialisation de l’Anatolie – aiguise les tensions entre la Turquie et ses voisins : La Syrie et l’Irak. Cela montre que la paix, le développement économique et social des populations, la protection de l’environnement sont indissociables et interdépendants.
Alors l’eau, est-elle ce nouvel enjeu stratégique dont nous parlent de nombreux experts et organismes internationaux ? Après le « siècle de l’or noir » sommes-nous entrés dans le « siècle de l’or bleu » ? Au Sommet de Johannesburg, en 2002, l’accès à l’eau a été au cœur des débats, prioritairement pour les Etats ou les régions dont la population – en tout ou partie – est victime du stress hydrique, c’est-à-dire qu’elle dispose de moins de 1 700m3 par personne et par an ; mais aussi pour les pays riches où l’eau est un « facteur limitant » du développement agricole, industriel, urbain et touristique.
Deux difficultés majeures sont à prendre en compte : la ressource en eau est limitée et elle est mal répartie à la surface de la terre. 70% de la surface de la terre sont en eau mais 97,5% de cette eau (1,4 milliard de Km3 sous forme liquide, solide ou gazeuse) sont constitués d’eau salée impropre à la consommation humaine, à l’usage agricole et industriel sans opérations coûteuses de dessalement, technique grande consommatrice d’énergie. Il ne reste que 2,5% d’eau douce. 67,2% de cette eau douce sont stockés aux pôles ou dans des montagnes aux accès difficiles, 30% dans les nappes souterraines et 0,3% seulement dans les rivières, les lacs et les réservoirs (sources UNESCO). Les plus grandes réserves d’eau douce de la planète ne sont pas là où vivent le plus d’hommes – en Asie – mais aux pôles et en Amazonie, et la pression démographique continuera d’augmenter pendant plusieurs décennies jusqu’à la stabilisation de la population autour de 9 milliards d’humains. Cette pression sera importante en Afrique où l’eau est déjà une question cruciale.
L’approvisionnement en eau douce et potable de toutes les populations du globe, à un coût accessible aux plus pauvres, est bien le nouveau défi que nous avons à relever en ce début du XXIe siècle : 1,2 milliard de personnes n’a pas accès à un service régulier et satisfaisant en terme d’approvisionnement en eau douce potable ; 2,4 milliards d’humains ne bénéficient pas d’un réseau de collecte et de traitement des eaux usées.
En prenant conscience de la complexité des questions à résoudre – éducation des populations, lutte contre les égoïsmes, modification des comportements : en Occident ne pas gaspiller une ressource limitée et fragile, en Afrique, entre autres, libérer les femmes de la charge quotidienne d’aller puiser l’eau, le plus souvent loin de leur habitation (en moyenne 6 km, soit plusieurs heures de marche, avec une lourde charge sur la tête) et leur permettre ainsi de disposer de temps pour s’éduquer, avoir un travail rémunérateur, etc. - ; de l’importance des moyens techniques à mobiliser ; des gigantesques intérêts économiques qui sont en jeu et qui aiguisent des appétits impossibles à assouvir ; on mesure l’immensité de la tâche à accomplir quand on sait qu’un homme sur cinq n’a pas accès à l’eau potable et que l’eau contaminée est le premier facteur de mortalité dans le monde.
Dans ce contexte, des pays sont tentés de tirer seuls leur épingle du jeu. L’eau devient alors une source de conflits et peut conduire à la guerre. Il existe, ainsi, plusieurs foyers, principalement en Afrique et en Asie, qui présentent une dangerosité certaine et demandent la plus grande vigilance. Le plus souvent il s’agit de régions où un Etat, quelques fois deux, constituent de véritables « châteaux d’eau » et sont tentés de « confisquer », pour leur seul usage, l’eau qui pourrait servir à leur développement et à celui de leurs voisins.
Au Proche Orient, le Tigre, l’Euphrate et le Jourdain sont des zones à risques. L’eau y a déjà servi d’arme et de cible : en 1991, l’Irak détruit les usines de dessalement du Koweït ; les Américains s’attaquent aux capacités d’approvisionnement en eau de l’Irak. Actuellement, dans cette région du Proche Orient, le projet turc de Grande Anatolie (projet GAP) rend difficiles les relations de la Turquie avec ses voisins, la Syrie et l’Irak.
Les autorités turques misent sur l’exploitation des eaux du Taurus, véritable château d’eau, pour redonner au pays une puissance régionale assoupie – sur un plan économique et politique. Le projet est gigantesque : pas moins de 22 barrages, 19 centrales hydroélectriques, 1 800 000 hectares de terres irriguées et la construction de nouvelles infrastructures en vue d’un développement industriel ambitieux. Plusieurs conséquences sont à redouter : le déplacement des populations kurdes pour installer sur les nouvelles terres irriguées des populations turcophones – ce qui revient à une opération de colonisation -, la destruction de sites archéologiques, des conflits armés avec la Syrie et l’Irak qui sont privés d’une part importante des eaux de l’Euphrate. En se référant à l’année 1980, ces deux pays ne disposent plus que de 40% du débit de l’Euphrate : on imagine, sans difficulté, les tensions que peut faire naître un manque d’eau, d’autant plus important, que l’Irak est à reconstruire.
Cet exemple montre que l’Etat nation n’est plus le bon niveau pour gérer l’eau des grands bassins versants qui irriguent plusieurs pays. A terme, c’est une nouvelle logique d’organisation des territoires qui s’imposera, à l’échelle régionale, et qui permettra une gestion plus efficace, d’un point de vue politique et économique, juridique, humain et écologique, tout en présentant beaucoup moins de risques de conflits. Tous les grands fleuves transnationaux sont concernés, à commencer par le Rhin, le Danube, le Nil, le Tigre et l’Euphrate, etc.
D’autres foyers de tensions existent dans le monde. En Afrique, autour du barrage d’Assouan, qui protège les Egyptiens de ses crues mais pas les populations du Soudan qui se trouvent en amont ; en Europe, avec l’Espagne et le détournement des eaux de l’Ebre, vers le sud assoiffé ; aux Etats-Unis, entre la Caroline du Nord qui veut garder ses eaux pour ses vergers et ses productions de légumes et la Caroline du Sud, subdésertique et surpeuplée.
Mais l’eau peut aussi rassembler et forcer les hommes à imaginer de nouveaux modes d’organisation : la gestion des eaux du bassin du Rhin a déjà rapproché les pays qu’il traverse – il est vrai qu’ils sont tous membres de l’U.E. depuis longtemps - ; la France et la Suisse ont en commun un programme pour les eaux du lac Léman. En 1979, le Nil est pour l’Egypte un enjeu national de sécurité. Le président Anouar al-Sadate, en réponse aux Ethiopiens qui ont décidé d’exploiter leur ressource en eau – ils contrôlent la partie amont du Nil – déclare que « Seule la question de l’eau pourrait conduire l’Egypte à entrer de nouveau en guerre ». Depuis, les relations se sont apaisées, le projet « Initiative du bassin du Nil » (IBN) a permis de mettre autour de la table des négociations les dix Etats concernés, dont l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie. Ils ont reconnu que « Le Nil dispose d’un énorme potentiel encore inexploité, (et convenu) que chaque pays peut prétendre à une part équitable du fleuve sans dommage pour les autres Etats. » C’est un début !
L’eau est une invitation au voyage, un pont à passer d’une rive à l’autre, un lien entre deux mondes. Au VIe siècle avant J.-C., le présocratique Héraclite pris l’eau (le fleuve) comme métaphore du temps qui passe : « Nous nous baignons et nous ne nous baignons pas dans le même fleuve » (Fragments, 12, trad. J. Voilquin). Au XIIIe siècle, le poète japonais Kamo no Chomei, rédigea dans son ermitage où il s’était retiré le Hôjôki, « Notes de ma cabane de moine », dans lequel il aborde ce même thème : « Le flot de la rivière coule sans fin et l’eau n’est jamais la même : les bulles qui crèvent la surface des étangs s’évanouissent, se reforment et ne durent guère : dans ce monde, les hommes et leurs demeures sont comme des bulles. » Chez les Egyptiens, le Nil nourrit l’Egypte mais emporte aussi les morts vers leur demeure éternelle. Gageons, qu’en ce XXIe siècle, l’eau – les fleuves et les rivières, les mers – conservera ce rôle de médiateur, de passeur que nos lointains ancêtres lui avaient attribué, pour nous conduire, non pas vers la mort mais vers la vie, sur l’autre rive, celle où les hommes sauront s’entendre, gérer et partager, aussi équitablement que possible le « premier  aliment de tous les êtres » (Michelet, « La Mer »).
Dominique Levet - (professeur en sciences politiques des problématiques environnementales et de développement durable dans le cadre du Master international ParisTech).
Publié par/pour Ecologie au Quotidien
DIE, Rhône-Alpes, France
Le Chastel 26150 DIE
Tel : 04 75 21 00 56       
Lundi  30 janvier                        Sobriété Energétique
14h L’Eau au Quotidien
Quelle eau, buvons nous ? Quelles économies ? La vie quotidienne d’un bien commun précieux et limité avec
Laurent Cluzel-Mairie Die, Chrystel Fermond et Julien Nivou-Syndicat Mixte Rivière Drôme, Yannick Gachet-Coucou Services et des usagers
Salle polyvalente de Die, Boulevard du Ballon 26150 Die.  

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