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vendredi 10 août 2012

Et si cela nous arrivait demain ?


RETOUR DE GRECE
Finalement au bout de quelques jours après mon retour de Grèce je me risque à écrire ces quelques lignes car ne peux garder le silence. Je n’ai pas l’intention de faire un article de presse j’en suis d’ailleurs incapable, en plus je n’ai pas le coeur à l’écriture mais plutôt l’envie de crier ma colère. Je suis comme beaucoup de grecs au sang chaud beaucoup plus à l’aise dans l’expression orale qu’à l’écriture.
Ce que j’ai vu en Grèce pendant ces quelques jours me révolte. Certes la Grèce est restée un beau pays mais comme me l’ont dit beaucoup de grecs rencontrés là-bas « la Grèce était un paradis, ils en ont fait un enfer ! ».

Déjà qui se cache derrière ce « ils » ? Tout d’abord le pouvoir politique local. Ces hommes politiques corrompus « les vouleftes » c’est-à-dire les membres du parlement et du gouvernement de coalition qui adoptent jours après jours toutes ces mesures qui étouffent l’économie et qui saigne le peuple. Ces hommes politiques aujourd’hui détestés par tous les grecs n’osent même plus sortir dans la rue, se mettre en terrasse prendre un café ou aller dans une taverne. Pendant des décennies ces derniers ont bénéficié des largesses de nombreuses multinationales françaises, américaines, anglaises et allemandes trempant dans d’innombrables scandales comme celui du contrat de sous-marins à plusieurs milliards d’euros de la firme allemande Siemens. De même, des entreprises comme Carrefour, British Petroleum, Shell, Unilever, Coca Cola, Nestlé et bien d’autres ont été impliqué dans des affaires scandaleuses parfois condamnées par la justice pour ententes illicites, pratiques illégales, positions dominantes voire même corruption. Enfin les institutions internationales (Union Européenne, Banque Centrale Européenne et Fond Monétaire International) qui se regroupent derrière le mot de Troika ne sont en fait que le bras armé du capitalisme financier qui détient le vrai pouvoir en Grèce tout comme dans le reste de l’Europe. Et ne nous trompons pas car aucune de ces institutions malgré leurs milliards d’euros versés n’ont aidé véritablement la Grèce. Pas un seul euro n’est arrivé dans la poche des grecs. Il s’agit en réalité d’un immense marché de dupes car les euros versés sont retournés directement dans la poche des créanciers dont les banques. Ce système est une machine à appauvrir les peuples aux services de la puissance de l’argent.
Je ne tiens pas à vous parler aujourd’hui de ces chiffres que l’on vous abreuve, pas plus que de ces analyses macroéconomiques relayées par des pseudos spécialistes qui plus est n’ont jamais mis les pieds en Grèce et ne connaissent rien de la vie de tous les jours sur place. Ils vous assènent à longueur de journée dans leurs médias des analyses qui se révèlent être de mois en mois toujours plus fausses ! Ce que je tiens aujourd’hui c’est à témoigner de ce que j’ai vu et attendu là-bas durant mes deux semaines de séjour.
Quelque que soit le lieu, ils m’ont tous demandé de passer le message suivant aux français : « Nous ne sommes pas des fainéants, nous travaillons beaucoup », « Nous n’avons jamais profité de ces milliards d’euros qui font aujourd’hui la dette de notre pays », « Nous avons été sali par les propos tenus ou écrits en France et surtout en Allemagne par certains ». Comme a pu me dire Manolis qui tient une ouzeri sur l’ile de Chios, « ma femme et moi, nous levons à 5h00 du matin et nous couchons entre 01h00 et 02h00 du matin. Nous ne prenons jamais de vacances, avons du mal à gagner notre vie avec nos deux enfants à élever ». Malgré des années d’études supérieures, Nikos et Alexandra quant à eux ont dû, par manque de travail, quitter Athènes pour créer une petite activité agricole. « Au moins avec cela ici nous pourrons peut-être manger et vivr ». Alexandra ajoute « Quand j’appelle mes amis et mes parents à Athènes, ils me disent qu’il n’y a pas d’espoir, tout va de mal en pis ». Beaucoup de leurs amis ont quitté la capitale pour retourner à la campagne et les plus chanceux ont réussi à quitter la Grèce pour les Etats-Unis ou l’Australie. C’est une bien triste perspective pour la Grèce mais aussi pour l’Europe de voir sa jeunesse au demeurant super diplômée quitter le continent pour une vie meilleure ailleurs ! Voilà où nous conduit la politique libérale. A Pirghi dans le café où je discute avec Nikos et Alexandra, le patron un très vieux monsieur qui dans un autre pays serait sûrement assis dans son fauteuil devant sa télévision exprime toute sa rancoeur. « J’ai 82 ans, j’ai une retraite de misère et je travaille encore » et de rajouter « J’ai honte de voir des enfants en Grèce réclamer aujourd’hui à manger. Même pendant la guerre nous n’avons pas connu cela ». Enfin, pour lui comme pour beaucoup de grecs, la Grèce n’est plus une démocratie. « On nous impose un gouvernement que nous n’avons pas choisi ». Même si vu de France les grecs semblent réactifs et beaucoup bouger, les grecs quant à eux se qualifient même d’endormis : « Nous les grecs nous sommes aujourd’hui endormis mais je sais qu’on va se réveiller et cela va exploser » et de rajouter « Quand tu seras en France dis leur que je n’ai peur de personne, trop c’est trop ! Tous ces politiciens pourris à Athènes, il faut les virer ».
A Athènes justement, pour qui connaît la ville comme moi, on ne reconnaît plus rien. Beaucoup de gens ont quitté la ville comme Stélios qui a décidé de retourner dans le village de son père dans le Péloponnèse. Impossible pour lui de payer un loyer de 350 euros maintenant que le smic est de 470 euros net. L’ambiance est oppressante. On dirait qu’une chape de plomb est tombée sur la ville. Des milliers de magasins sont fermés, des immeubles ont brûlés et l’on sent même encore l’odeur lorsque l’on passe devant ces bâtiments comme ce néoclassique avenue Stadiou. Les bars et les tavernes sont vides. Le prix de l’essence flirtant avec les deux euros, la circulation automobile a nettement diminué. Même le soir les rues sont devenues désertes. Je ne parle pas de ces pauvres gens qui n’ont plus de toit et qui se contentent de cartons. La soupe populaire pour beaucoup le soir est le seul moyen de manger. Je vous rappelle qu’en Grèce il n’y a ni RMI ni RSA ! Alors marche ou crève ! Et tous ces gens qui poussent des chariots de supermarchés reconvertis ; de « nouveaux métiers » sont apparus : récupérateur de carton, de fer, de plastique… Aussi cette mamie qui pourrait être ma mère qui est assise dignement au coin de la rue avec ces quelques sacs en plastique remplis de toute sa vie et qui attends je ne sais quoi. J’ai la haine !
Vers la place Omonia des milliers de gens arpentent les rues désoeuvrés le regard vide, je n’ai jamais vu cela. Les grecs étaient si expressifs ! Bref la vision d’un autre monde d’un autre continent. Au marché à la viande et au poisson les gens crient leurs haines des hommes politiques et de l’Europe. Cette vieille dame qui me dit que sa fille médecin est maintenant au chômage et que son mari va lui aussi perdre son boulot ; ils ont deux enfants et c’est donc maintenant la grand-mère qui va devoir faire vivre toute la famille ! C’est une autre dame rencontrée par hasard sur le marché, une française, qui vit depuis plus de vingt ans en Grèce et qui me dit « Maintenant on débauche les gens au salaire de 1500 euros pour réembaucher dès le lendemain, soit les mêmes ou quelqu’un d’autre à 500 euros ». Voilà à quoi mène la politique de flexibilité du travail de l’Europe de Madame Merkel, de Monsieur Sarkozy et consort. Mon amie Maria, qui vit à Patras, professeur fonctionnaire de son état a perdu prés de 50% de son salaire. Même elle, à l’aise hier, ne peux que tout juste chauffer un peu son appartement non pas pour elle mais pour Irini sa petite fille de 3 ans. Tout cela en Europe en 2012. A Athènes les journées sont jalonnées par des occupations, des arrêts de travail, des manifestations quasi quotidiennes comme ces parents et adolescents de 14/15 ans qui manifestent devant le ministère de l’intérieur face à un cordon de MAT ultra armés (CRS grecs) réclamant le maintien des transports scolaires pour les villages éloignés de la capitale et l’arrêt des fermetures de classes et d’écoles. Dans le cortège, une manifestante, mère d’élève, m’informe « Il n’y a pratiquement plus de chauffage dans les écoles et la cantine c’est du passé ! Il faut savoir que la Troika exige que l’argent serve en priorité au remboursement de la dette et aux contrats militaires ; la santé, l’éducation et le reste on verra plus tard ». Ce sont aussi ces longs cortèges du PAM (syndicats proche du Parti Communiste grec KKE) qui sillonnent la ville en scandant des slogans hostiles à l’Europe et la TROIKA. Les syndicats manifestent devant le parlement ; et tous ces policiers armés jusqu’aux dents qui protègent les bâtiments publics, les banques et les demeures des puissants.
Dans tout ce chaos j’ai même pu entendre et je ne dois pas le cacher même si cela m’inquiète beaucoup des propos certes peu nombreux mais de soutien à Chrisi Avgi (Aube Dorée - parti néo fascistes) tout comme des gens qui me disent « Pendant la dictature certes on ne pouvait pas parler mais au moins on mangeait ». Un message à messieurs les politiciens sans culture historique : vos prédécesseurs avaient justement en 1981 fait entrer la Grèce qui sortait d’une dictature (1967 à 1974) dans l’Europe pour la protéger de tous retour en arrière. La Grèce, le chaos, un sentiment de fin de règne. J’ai l’impression que tous va exploser, la marmite boue, boue, boue ! Et nous peuple d’Europe que faisons-nous ? Se résigner, certainement pas ! Même si aujourd’hui le peuple grec semble épuisé par des mois de lutte, le jour viendra où il va se réveiller comme a pu le préciser Anna Vagenas une députée indépendante il y a quelque jours à ses collègues au parlement : « Méfiez-vous ! Je ne serais peut-être bientôt plus ici, c’est peut-être la dernière fois et même très probablement la dernière fois que je monte à cette tribune. Mais si vous avez encore un peu de sensibilité alors faites attention ! Parce que quand va arriver l’explosion… bien sûr, certains vont se cacher derrière les hauts murs des villas qu’ils ont construit dans la banlieue en pensant y être en sécurité mais ils ne le seront pas ! ». Même le président de la république Grec s’exprimant très rarement a précisé hier au président du parlement européen « Aujourd’hui les grecs n’en peuvent plus, ils ne supporteront plus de mesures supplémentaires ». C’est tout à fait mon sentiment.
En conclusion, un extrait de l’appel de Mikis Théodorakis adressé aux peuples d’Europe en 2011 et qui toujours d’actualité : « Nous ne vous demandons pas de soutenir notre combat par solidarité, ni parce que notre territoire a été le berceau de Platon et Aristote, Périclès et Protagoras, des concepts de démocratie, de liberté et d’Europe. Nous ne vous demandons pas un traitement de faveur parce que nous avons subi, en tant que pays, l’une des pires catastrophes européennes aux années 1940 et nous avons lutté de façon exemplaire pour que le fascisme ne s’installe pas sur le continent. Nous vous demandons de le faire dans votre propre intérêt. Si vous autorisez aujourd’hui le sacrifice des sociétés grecque, irlandaise, portugaise et espagnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bientôt votre tour. Vous ne prospérerez pas au milieu des ruines des sociétés européennes. Nous avons tardé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. Bâtissons ensemble une Europe nouvelle ; une Europe démocratique, prospère, pacifique, digne de son histoire, de ses luttes et de son esprit. Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en tiers-monde, qui monte les peuples européens les uns contre les autres, qui détruit notre continent en suscitant le retour du fascisme ». Nous aurons été prévenus …
TRIOMPHE DE LA CAMPAGNE NEOLIBERALE DE LA PEUR EN GRECE ET EN EUROPE
En Grèce, comme dans d’autres pays d’Europe, ce qui est mis en cause par les indignés ou par la gauche radicale, c’est l’ordre néolibéral dont souffre une majorité de grecs [et européens] sous la forme de réduction de salaires et de retraites. La social-démocratie et les partis conservateurs se sont pliés à ce modèle en appuyant les plans d’austérité, l’ « assainissement » du système auquel se réfère Angela Merkel quand elle utilise cet euphémisme pour se référer à la priorité sur les coupes.
La coalition de gauche radicale grecque, Syriza, a introduit un élément nouveau dans la politique de son pays : elle a proposé de rompre avec le statu quo en se refusant d’accepter les conditions qu’on lui en impose à travers le Fonds Monétaire International et la Banque Centrale Européenne en échange de l’aide multimillionnaire. Le leader de Syriza, Alexis Tsipras, est rapidement devenu la cible préférée des gouvernements européens. Sa coalition de verts bigarée, verts, trotskistes, maoïstes et indépendants a proposé d’archiver le mémorandum signé avec l’Union Européenne qui implique de sévères coupes budgétaires qui devraient être mises en application pendant cinq ans d’ajustements, de récession et de davantage de crise. Syriza a aussi proposé de réformer le système d’imposition pour que les riches paient des impôts et de suspendre le paiement des intérêts de la dette. Ce n’est pas un hasard si Jean Luc Mélenchon, candidat présidentiel du Front de Gauche de la France, a jeté des ponts avec Tsipras. Autre, fut, la posture du flambant neuf président socialiste François Hollande, qui s’est enhardi à prévenir les votants grecs que « si l’impression est donnée que les Grecs veulent s’éloigner des engagements qui ont été pris et abandonner toute perspective de redressement, alors il y aura des pays dans la zone euro qui préféreront en terminer avec la présence de la Grèce dans la zone euro ».
Syrisa comprend que « austérité ou chaos » est un faux dilemme. Mais, précisément depuis l’Union Européenne, la BCE et le FMI on essaye par tous les moyens d’agiter le fantasme de la cessation de paiements et de la sortie de l’euro associé à l’ascension de la gauche. Merkel a lancé un avertissement à peine dissimulé à la veille des élections. « Il est extrêmement important que les élections grecques se terminent avec un résultat par lequel ceux qui se chargent de former un gouvernement disent ‘oui, nous maintiendrons les engagements’ », a dit la chancelière allemande. « Les grecs stocke de l’argent et de la nourriture face à la dérive politique », a titré, en apercevant l’Apocalypse, le quotidien espagnol El País dans son édition du jeudi 14 juin. C’était précisément la stratégie qu’ont utilisée les rivaux de Syrisa, les conservateurs de Nouvelle Démocratie. Son leader, Antonis Samaras, a apporté son soutien aux engagements scellés avec la troika (BCE, FMI, la Commission Européenne), bien que maintenant il nuance sa position après avoir souligné qu’ils négocieraient les conditions imposées en échange des deux sauvetages mis dans le pacte.
Mais le prêt de 240 milliards d’euros n’a pas servi à relancer l’économie [seulement 10% est arrivé jusqu’à Athènes, le reste est allé vers les banques étrangères]. Ainsi le vivent les grecs qui sont restés dans la rue, ceux qui n’ont pas de travail – le chômage a grimpé à 22 % – ceux qui ne touchent pas le salaire. Les seules politiques que dictent les centres économiques de l’Europe sont des ajustements, avec ceux-ci la demande se comprime, l’industrie stagne et la crise augmente. Le Prix Nobel d’Économie Joseph Stiglitz affirme que le sauvetage en Grèce, en Irlande et au Portugal, c’est en réalité « une protection aux banques (Allemandes, Françaises, etc) ». Stiglitz recommande la création d’un « fond solidaire européen » avec lequel on pourrait aider à ce que la Grèce restaure sa croissance. Cela ne semble pas être la solution que les leaders européens envisagent, surtout après le triomphe la campagne de la peur.
Mercedes Lopez San Miguel
Traduction de Estelle et Carlos Debiasi

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