Droit de pétition : quand les citoyens bousculent la Commission européenne
Entrée en vigueur il y a un an, l’“initiative citoyenne
européenne” oblige la Commission à débattre d’une proposition dès lors
qu’elle a rassemblé un million de signataires de 7 pays différents. Le
premier texte à avoir réussi une telle mobilisation vise à s’opposer à
la libéralisation du marché de l’eau. La Commission semble tentée de
freiner des quatre fers, mais la démocratisation de l’Europe est déjà en
marche.
Pour l’esperanto dans l’hymne européenIl n’y a toutefois aucune chance que l’encadrement des salaires s’impose à l’ordre du jour. Car, pour être valide, le texte doit porter sur le champ de compétence de la Commission. Or les politiques fiscales et sociales en sont exclues. En revanche, l’environnement, l’agriculture, les transports ou la santé publique en font partie. On pourrait ainsi imaginer une pétition en faveur de l’interdiction contre les OGM – l’une d’elles a déjà circulé par le passé, hors cadre institutionnel.14 textes sont actuellement soumis à l’approbation des citoyens, notamment sur l’arrêt de la vivisection sur les animaux ou l’instauration de limitations de vitesse à 30 km/h dans toutes les zones urbaines de l’Union européenne. D’autres, plus farfelus, ont été recalés, comme ceux sur le bien-être des vaches laitières (soutenu par le fabricant de glaces Ben&Jerry) ou l’utilisation de l’esperanto dans l’hymne européen.
1,3 million d’Européens contre la privatisation de l’eau potable
La première proposition en passe de s’imposer à l’ordre du
jour de la Commission concerne le marché de l’eau. Porté par
Right2water, le texte vise à sortir l’approvisionnement en eau et la
gestion des ressources des règles du marché intérieur et à ce que les
marchés correspondants “soient exclus de la libéralisation”. La
pétition est partie d’Allemagne et d’Autriche, réussissant aujourd’hui à
rassembler 1,3 million de signataires. Qu’en fera la Commission
européenne, elle qui pousse in petto des pays comme le Portugal
ou la Grèce à privatiser ces services ? Peut-elle se désavouer, sous la
pression populaire ? Les pétitionnaires entendent poursuivre leur
entreprise de mobilisation jusqu’en novembre pour atteindre un poids
citoyen encore plus important. Et accentuer la pression sur la
Commission.Eau : la Commission peut-elle déjuger la Commission ?“Nous ne savons pas encore jusqu’où pourront aller ces propositions”, reconnaît Bruno Kaufman, président du think tank Initiative and Referendum Institute Europe. Il est vrai que les dirigeants européens se sont peu empressés de communiquer sur ce nouvel outil. José Manuel Barroso n’y a pas fait allusion depuis 2005, quand il vantait une nouvelle étape démocratique. La Commission a aussi traîné des pieds pour mettre à disposition un serveur, basé au Luxembourg, pour héberger les différentes pétitions en ligne. “Ni Manuel José Barroso, ni Herman Van Rompuy ne sont venus couper le ruban rouge” lors du lancement du dispositif, remarque, acide, Daniel Schilly, chef de développement à l’ONG Democracy International. Il y a fort à parier que la Commission européenne rechignera à partager le pouvoir d’initiative qui lui était jusqu’alors réservé. Mais pourra-t-elle repousser des propositions qui auront mobilisé plusieurs millions de citoyens ?Vers un référendum d’initiative citoyenne ?Évoquant les colères et manifestations populaires dans les pays du sud de l’Europe, Bruno Kaufman voit dans ce droit un “instrument proactif de démocratie”, bousculant les équilibres établis. Les promoteurs de l’initiative citoyenne européenne lorgnent sur 2015, quand le dispositif doit être évalué et amendé. Ils espèrent simplifier les procédures et obtenir une meilleure communication pour faire connaître ce droit de pétition aux Européens. Certains préconiseront peut-être l’organisation automatique d’un référendum à l’issue d’une mobilisation populaire, outrepassant la Commission. Il y a dix ans, lors des débats sur la Constitution européenne, certains avaient demandé qu’une consultation populaire soit lancée dès lors que 3 millions d’Européens soutenaient un même texte. À l’instar du cas suisse.
Fabien Fournier
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