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samedi 9 mars 2013

La croissance, une addiction...

Comment guérir de notre dépendance à la croissance  ?
Phénomène relativement nouveau, la permanence de la croissance économique peut être datée à la fin de la seconde guerre mondiale. John R. Hicks, Prix Nobeld'économie en 1972, notait dans un article paru en 1966 ("Growth and Anti-Growth", Oxford Economic Papers 18-3) : "Il n'est en aucune façon nécessaire que les sciences économiques visent la croissance. Je me souviens personnellement d'une époque où elles n'étaient absolument pas orientées vers la croissance. Je me revois suivre un cours de principes [économiques]... en 1926-1927. Il n'était en rien question d'indice de croissance élevé. La stabilité de la majorité des secteurs économiques suffisait à nous satisfaire."
Un historien suisse, Christian Pfister, date la croissance des pays occidentaux des années 1950 et l'appelle "syndrome des années 1950" ("Das 1950er Syndrom. Die Epochenschwelle der Mensch-Umwelt-Beziehung zwischen Industriegesellschaft und Konsumgesellschaft", GAIA 3-2, 1994).
Selon lui, les principaux ressorts de ce syndrome ont été le pétrole bon marché, le besoin de reconstruction suivant la seconde guerre mondiale et le modèle "d'une société fordiste de consommation" qui s'est développé avant-guerre aux Etats-Unis pour être adopté après-guerre par les pays occidentaux. Depuis, les indices de croissance ont constamment décru sans que ce phénomène n'ait été pris en considération.
Simultanément, il devient évident que la croissance économique n'est plus la solution à nos défis majeurs tant en matière sociétale qu'économique.
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social établis, sous la houlette du Prix Nobel Joseph Stiglitz, par l'ex-président Sarkozy, témoignent de ce que le produit intérieur brut échoue à mesure le bien-être, comme il est évident que la croissance interfère négativement avec le bien-être dans les pays riches.
RÉDUCTION DE LA FRACTURE SOCIALE
De plus, dans la majorité des pays membres de l'OCDE, les écarts de revenus ont augmenté au cours des trente dernières années. Cela a amené les trois principales organisations économiques internationales, l'OCDE, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale à plaider en faveur d'une réduction de la fracture sociale.
Dans le même temps, le taux de chômage a constamment crû depuis les années 1970 et la proportion des jeunes (15-24 ans) chômeurs est de 20 % à 50 % dans bien des pays membres de l'OCDE.
Enfin, la dette publique est montée en flèche, amenant divers pays à la limite de la banqueroute. Les problèmes environnementaux empirent, mettant en péril la vie des hommes ainsi que celle d'autres espèces.
Tout porte à croire que ces problèmes sont aggravés par la croissance économique et les politiques la mettant en oeuvre, et que la crise économique, financière et budgétaire à laquelle nous sommes confrontés trouve sa source dans la croissance visée par nos sociétés et nos économies.
Malgré cela, politiciens, économistes et représentants du monde des affaires continuent à aspirer à la croissance économique. Cela est renforcé par les médias. En particulier, face à la crise actuelle, la reprise de la croissance est considérée comme le but principal.
LES OPINIONS DIVERGENT
La croissance est supposée remplir par le biais de l'impôt les caisses publiques, et rassurer agences de notation et marchés financiers. Elle devrait permettre de réduire le taux de chômage, d'accroître les revenus des ménages et donc destimuler la demande de biens.
Mais les opinions relatives aux façons de stimuler cette croissance lorsque les caisses sont vides divergent, si tous s'accordent cependant sur le fait d'amener la croissance à un niveau suffisant pour régler les problèmes évoqués plus haut. Les voix mettant en question la validité de cette hypothèse sont difficilement audibles voire ignorées au profit d'une exaltation des taux de croissance des pays émergents montrés comme modèles.
Qu'est-ce qui rend si forte cette fixation sur la croissance économique, et pourquoi nous y accrochons-nous ainsi ?
La réponse tient au fait que l'aide sociale, les entreprises, le secteur bancaire et financier, les marchés, l'industrie des biens de consommation et les individus sont réglés sur l'hypothèse d'une croissance constante. Et pour stimuler celle-ci, un large éventail de politiques, incluant les systèmes fiscaux, a été conçu.
Mais ces institutions et ces politiques ont été façonnées à une époque de croissance économique soutenue et de croyance en sa perpétuité. Aussi suffit-il que la croissance marque le pas, voire tende vers zéro, pour qu'elles plongent dans une crise existentielle débouchant sur le désordre politique et social.
CROISSANCE DU CHÔMAGE ET DIMINUTION DES REVENUS
Considérons l'assurance-vieillesse. Si les fonds de pension ont des difficultés à dégager un profit suffisant du fait du ralentissement de la croissance, les pensionnés deviennent très nerveux. L'industrie des biens de consommation offre un autre exemple : lorsque la sécurité de l'emploi diminue, les gens réduisent leur consommation.
Il s'ensuit que l'activité de ce secteur industriel ralentit, entraînant une croissance du chômage qui se conjugue avec la diminution des revenus, etc. Bref, une situation que chaque politicien cherchera à éviter.
Mais cette addiction du système à la croissance économique ne suffit pas à expliquer pourquoi celle-ci est si ardemment recherchée. Qu'est-ce qui nous empêche de prendre des mesures pour nous débarrasser de notre addiction à la croissance ?
L'explication de John W. Kingdon concernant l'action politique (Agendas, Alternatives, and Public Policies, Longman Classi Editions, New York, 2002) pourrait être ici pertinente : pour que les politiques changent, il faut une conjonction entre la "notoriété publique" de la nécessité de changement et l'existence de solutions au problème rencontré.
Or les solutions font ici défaut. Cela peut aussi être la raison pour laquelle les problèmes liés tant à la croissance qu'à la dépendance à la croissance font l'objet d'un tel déni. Aussi longtemps que politiciens et société ignoreront comment restructurer nos économies et notre protection sociale pour dépasser notre addiction à la croissance, nous ne devons pas nous attendre à un abandon du paradigme de la croissance.
Ainsi, le défi est d'identifier les approches existantes qui nous permettraient de nous débarrasser de cette dépendance à la croissance, de développer des concepts nous permettant de restructurer ces systèmes et de les mettre en oeuvre. Un regard attentif porté sur les secteurs et les institutions, jusqu'ici dépendants d'une croissance perpétuelle, révèle qu'y existent déjà réflexions et expériences tournées vers les réformes.
ENLEVER AUX BANQUES D'AFFAIRES LA FACULTÉ DE CRÉER DE L'ARGENT
Par exemple, des années de discussions ont balisé dans le secteur de la santé des pistes permettant de viser la réduction des dépenses sans compromettre la qualité des soins. Nous pouvons aussi nous appuyer sur les expériences réalisées par des coopératives ou des fondations promues au rang d'entités légales dans le monde de l'entreprise et, en tant que telles, bien moins soumises à la nécessité de croissance que les entreprises cotées en Bourse.
On débat également de la possibilité d'enlever aux banques d'affaires la faculté de créer de l'argent, en remettant ce monopole dans les mains des banques centrales, et de permettre ainsi un meilleur contrôle de l'expansion de la masse monétaire.
Nous avons aussi une solide expérience en matière de réduction du temps de travail qui pourrait être utilisée pour une meilleure répartition des emplois. Des pays comme l'Allemagne, l'Autriche ou la Suisse ont démontré qu'un système étendu d'apprentissage permet de minorer significativement le chômage des jeunes.
Nous savons aussi qu'une réforme écologique de l'impôt permettrait de faire peser celui-ci sur les ressources naturelles au lieu de grever le coût du travail, et permettrait d'augmenter le nombre d'emplois.
Il n'est donc pas indispensable de réinventer la roue, même si la créativité, l'inventivité et la disposition au changement sont nécessaires. Le passage à la post-croissance est inévitable ; il serait préférable d'y arriver, comme le pointe l'économiste canadien Peter Victor, par la voie du dessein plutôt que par celle du désastre.
Irmi Seidl et Angelika Zahrnt, économistes
Irmi Seidl et Angelika Zahrnt
Irmi Seidl est économiste à l'Institut fédéral de recherches WSL de Zurich (Suisse).
Angelika Zahrnt est économiste, membre du Conseil allemand pour le développement durable.
La version française de cet article a été établie par Alain Koiran.

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