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mercredi 4 juillet 2012

Jean Jacques Rousseau : initiateur des révolutions...


"Rousseau a nourri toutes les révolutions"
Issu d'un milieu modeste Jean-Jacques Rousseau s'est autant formé par l'expérience que par les livres. Cela explique en partie pourquoi la Révolution française a plus retenu son nom que ceux de Voltaire ou Diderot. Son œuvre est si riche et si subversive qu'aucun parti ne peut la saisir et la faire sienne, mais que tous peuvent s'en prévaloir. Tous les révolutionnaires s'en sont inspirés, explique Tanguy L'Aminot. Enfin le style de Rousseau est lui aussi très novateur parce qu'il mêle sa personne à ses idées, avec un souci de sincérité égal, dans sa pensée et dans sa vie.
Qu'est-ce que le nom de Rousseau évoque en 2012, année du tricentenaire de la naissance du philosophe, pour un honnête citoyen, au-delà des connaissances basiques, voire scolaires qu'il peut en avoir ?
Tanguy L'Aminot : Le nom évoque, à mon avis, pour le plus grand nombre la nature et l'écologie. Pour les plus politisés, la dimension politique reste vive sans doute. Pour les femmes, la première image qui surgit est celle du misogyne, du phallocrate. C'est cela la perception que peut en avoir le grand public aujourd'hui. Il y a également l'autobiographe, puisque c'est le thème proposé dans le cadre scolaire, avec Les Confessions et Les Rêveries.
Cette dimension de l'autobiographie renvoie à la fin de sa vie ou imprègne- t-elle toute son œuvre ?
Tanguy L'Aminot : Elle est présente à la fin de sa vie sans aucun doute, même s'il a produit quelques petits essais d'autobiographie auparavant. Il a eu en 1747 un projet de journal avec Diderot, Le Persifleur, dans lequel il se met en scène sous un jour léger, libertin presque, qui ne correspondra pas à ce qu'il est et à ce que sera sa vie. C'est un peu comme un jeu, mais c'est un texte de caractère autobiographique.
Dans quelle mesure est-il autodidacte ?
Tanguy L'Aminot : Oui, il se forme seul. Il en parle longuement dans Les Confessions, il dit qu'il a une éducation sur le tas. Son père est horloger, sa mère est morte après sa naissance, il est près de son père et lit les romans de sa mère à son père qui travaille dans son atelier.
Comment accède-t-il aux connaissances sur les arts, les sciences, la politique, l'économie, etc ?
Tanguy L'Aminot : Il y aura plusieurs étapes. La première que j'évoquais est celle de la découverte de la sensibilité à travers des romans précieux de la bibliothèque de sa mère avec La Calprenède ou Madeleine de Scudéry, c'est ce qu'il va lire en premier et qui va former sa sensibilité. "Je sentis avant de penser", dit-il. La deuxième intervient aux Charmettes, quand il est dans la maison louée par Mme de Warens ; c'est aussi une époque amoureuse pour Rousseau, mais pas seulement : il va passer l'hiver tout seul et ce n'est pas follement gai contrairement à ce qu'en dit une vision erronée de la vie de Rousseau. Donc, il passe l'hiver là, dévore la bibliothèque et va se faire ce qu'il appelle un "magasin d'idées" ; il va lire les grands philosophes de l'époque John Locke, Charles Rollin, Pierre Bayle, etc. Et il est assez doué pour effectuer ces lectures seul, c'est un peu cela aussi le génie de Rousseau.
Et puis il a une troisième phase dans sa formation : il va fréquenter des milieux très divers, contrairement aux philosophes de son époque qui viennent d'un même milieu, n'en sortent pas ou ne fréquentent que leurs collègues intellectuels. On parle du cosmopolitisme des philosophes, c'est vrai, mais c'est avant tout un cosmopolitisme mondain. Quand Diderot va en Russie, il y rencontre la noblesse russe et Voltaire de même quand il est en Prusse. Rousseau, issu d'un milieu populaire, va traverser des contrées sociales différentes et ne va pas rencontrer que l'élite. À Venise, il va fréquenter un monde interlope, fait d'espions ou de personnages singuliers, pas convenables selon les critères des gens bien.
La première fois qu'il arrive à Paris en 1731, il le raconte dans Les Confessions, il traverse le quartier de Saint Martin, le plus pauvre de Paris, et c'est la première image qu'il a de cette ville. Cette perception du monde va se retrouver dans son œuvre où il ne cessera d'évoquer les capitales qui ruinent un pays parce qu'elles attirent toutes les énergies et les richesses et appauvrissent les campagnes et les provinces. La formation de Rousseau, n'est pas simplement livresque, mais aussi faite d'expériences et de choses vues.
Quelle est la véritable relation de Jean-Jacques Rousseau avec les philosophes ?
Tanguy L'Aminot : Il n'est pas de leur clan. C'est surtout avec Diderot qu'il va bien s'entendre ; ils ont à peu près le même âge, Diderot est un peu plus jeune. Ils ont des projets en commun et s'entendent bien avant de devenir des frères ennemis. Et la détestation sera forte pour diverses raisons. Rousseau a gardé de ses origines genevoises certains traits de caractère. Sur le plan religieux il ne s'entend pas du tout avec les athées comme d'Holbach ; il n'apprécie pas les discours ou les plaisanteries du milieu encyclopédiste. Il reste sur sa réserve et même se fâche et menace de partir si l'on s'obstinait à blasphémer, lors d'un fameux banquet chez Mlle Quinault, en 1754. C'est le fondement et les raisons d'une rupture qui interviendra en 1756. Et le fait que Diderot et d'autres veulent intervenir dans son amour pour Sophie d'Houdetot, amie de Saint-Lambert, le choque. Ce milieu, cette ambiance, cette manière de vivre des philosophes gêne Rousseau, le calviniste. Cette morale qui se défait le détourne d'eux.
Comment s'élabore sa réflexion, et en quoi est-il subversif ?
Tanguy L'Aminot : La Révolution française a plus retenu le nom de Rousseau que ceux des philosophes. Pendant la révolution tous les groupes vont se réclamer de lui : les aristocrates, les contre révolutionnaires, les Bourgeois, les Girondins, les Montagnards, les Jacobins ou les Enragés même. Tous vont à un moment ou à un autre se référer à Rousseau ou l'invoquer pour attaquer les autres. Un pamphlet édité par un certain Lenormand, sous la révolution, s'appelait même Jean-Jacques Rousseau aristocrate.
Il est subversif parce que son œuvre est si forte qu'aucun parti ne peut la saisir et la faire sienne. Il peut juste y puiser. Rousseau ne propose pas une doctrine reposante que l'on peut ranger sur un rayonnage ou dans un livre une fois la lecture terminée, sans suite aucune. On ne s'étonnera pas qu'il ait également nourri les révolutions du monde entier : en Russie, en Pologne au XVIIIe siècle. En Amérique latine, il a influencé Simon Bolivar, le libérateur du continent sud américain. Mais également en Asie, au Japon à la fin du XIXe on découvre son importance. Il va toucher le mouvement socialiste et anarchiste japonais et cela va se répandre dans tous les pays proches parce que le Japon en est alors la puissance dominante. C'est Nakae Chômin qui l'a traduit et donné à comprendre. Sa traduction n'est pas simplement académique ; Rousseau est adapté, récupéré, détourné, trahi pour les besoins de causes, d'enjeux d'une époque, d'un pays. C'est en cela qu'il est vivant et toujours agissant. L'œuvre de Rousseau permet cet accaparement, et cela aussi c'est subversif.
L'extrême droite n'en a-t-elle pas fait un de ses auteurs de référence ?
Tanguy L'Aminot : C'est complexe : il a une authentique aura dans de nombreux milieux, même à l'extrême droite. Marcel Déat, un ancien socialiste, va écrire en 1942, pendant la guerre, un texte intitulé Jean-Jacques Rousseau totalitaire qui fait l'apologie d'un Rousseau socialiste et national et qui, écrit-il "s'inscrit parmi les précurseurs et les ancêtres de la révolution nationale, même si par ailleurs on le déteste". À l'inverse d'un Maurras, issu d'une droite plus classique, qui rejette Rousseau en tant que précurseur de la Révolution française.
Comment qualifiez-vous son écriture ?
Tanguy L'Aminot : Il y a également une subversion de l'œuvre, du style, qui a donné naissance au romantisme. Rousseau va permettre l'adhésion du lecteur à son œuvre. Dès le début son éloquence est soulignée par tous ses opposants. Les royalistes Joseph de Maistre et Antoine de Rivarol se plaignent qu'il soit si talentueux, ce qui permet à sa pensée de se diffuser et de convaincre. Son style est révolutionnaire parce qu'il mêle sa personne à ses idées ; les deux choses sont liées ce qu'on ne trouve pas chez Montesquieu ou chez les autres philosophes. Même un texte plus théorique comme Du contrat social comporte des phrases fortes qui brutalisent le lecteur et le font réfléchir. Raoul Vaneigem note la force de la phrase qui ouvre le livre "L'homme est né libre et partout il est dans les fers".
Même à l'étranger, dans de toute autre culture, il agit. Les lettrés égyptiens comme Taha Hussein ou Mohamed Heykal sont sous le charme lorsqu'ils le découvrent  vers 1920 ; les Chinois peuvent également lire la traduction du Contrat social faite par Yang Tindong vers 1900 et le mouvement romantique chinois qui va naître entre 1920 et 1930, va puiser dans Les Confessions et Les Rêveries ce qui correspond à la sensibilité nouvelle de la jeunesse qui a pris la parole en 1919, après les événements du 4 mai. Ils sont enthousiastes parce qu'ils voient en lui ce qu'ils appellent "la sincérité", cette correspondance entre la vie et l'œuvre.
Sa vie est singulière et son parcours atypique, quelles en sont les raisons ?
Tanguy L'Aminot : Ses ennemis ont voulu minimiser le complot, mais la souffrance dans l'exil, les poursuites policières, la suspicion, la haine des Encyclopédistes ont existé : il en a véritablement bavé. Il n'a pas été un philosophe de salon. Il a vécu dans des conditions financières difficiles. Lorsqu'il remporte le prix de l'académie de Dijon en 1750 il doit faire sa réforme comme il dit ; il a eu auparavant la fameuse illumination de Vincennes, un grand moment de sa vie qui lui a fait entrevoir tout son système de pensée. Sa fameuse réforme le conduit à renoncer à la fréquentation des riches et des puissants ; il renonce à réussir dans le monde, décide de vivre de son travail et devient copiste de musique dès décembre 1751. Vivre de ses mains ; cela sera le slogan de certains de ses disciples, comme les romanciers prolétariens dont Henry Poulaille et Michel Ragon sont les plus connus. Rousseau a vécu de son travail quotidien, pas comme un Voltaire qui avait des rentes et faisait des opérations financières.
Jusqu'à la fin de sa vie Rousseau a vécu modestement, même quand son œuvre lui a rapporté quelque argent. Sa fin de vie a été particulièrement difficile. Entre 1776 et 1778 il est à Paris et n'en peut plus. Son loyer a augmenté, il est vieux et fatigué, il lance un appel pour qu'on le protège et qu'on lui trouve une maison bon marché. Il finit démuni, et s'il va à Ermenonville ce n'est pas pour le paysage, mais contraint par la nécessité. Il a la protection du marquis de Girardin, tout heureux d'exhiber un philosophe dans son jardin tout en le sortant de la misère. Il n'y séjournera que quelques semaines, d'ailleurs, avant de mourir. Cela aussi va émouvoir ses lecteurs du monde entier, parce que c'est un destin qui sort du banal.
D'où vient la fascination pour le Rousseau aseptisé, représenté dans des gravures du type " Fêtes galantes " ?
Tanguy L'Aminot : En fait, chaque époque a créé un Rousseau à son image.
Il y a donc eu une suite d'images du philosophe ?
Tanguy L'Aminot : L'image la plus connue est le Rousseau de la Révolution française. Il y a aussi le Rousseau romantique qui a nourri Chateaubriand, Hugo, Balzac, mais s'ils ont puisé dans son style, ils l'ont rejeté sur le plan politique, considérant qu'il y a des aspects de l'œuvre et de sa vie qui ne devaient pas être retenus, comme l'abandon de ses enfants et sa vision de la religion. Au XXe siècle, il fera l'objet de belles polémiques. Déjà à la suite de la Commune, Hippolyte Taine avait désigné Rousseau comme l'un des inspirateurs des troubles sociaux qui s'étaient produits. C'est ce qu'a fait Barrès en 1912 avec la Bande à Bonnot en désignant le philosophe comme l'inspirateur des attaques commises par elle. Il y a alors un mouvement haineux fort. Le discours de Barrès, à la chambre des députés, le 11 juin 1912, qui refuse de voter les crédits pour la commémoration du bicentenaire de la naissance de Rousseau, va provoquer des manifestations violentes et importantes de l'Action française et des Camelots du roi. Une centaine d'entre eux sont arrêtés à Paris, place du Panthéon le 30 juin 1912. Cette tendance se prolongea jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Même le régime de Vichy va apparaitre comme une suite du courant de l'Action française, la plupart de ses dirigeants étant des disciples de Charles Maurras.
La naissance de la critique moderne de Rousseau, est née après la guerre entre 1955 et 1960 avec les œuvres de Jean Guéhenno, Henri Guillemin, et évidemment Jean Starobinski ou Jean Fabre encore. Tous ces auteurs vont faire naître un Rousseau beaucoup plus académique. Avant il était un auteur pour tout le monde et il va devenir un auteur pour universitaires. Les colloques qui auront lieu en 1962 pour le 250 e anniversaire de sa naissance et le bicentenaire de la parution de Du contrat social, seront exclusivement l'œuvre d'universitaires. Rousseau n'est pourtant pas entièrement dans le seul monde de la pensée : des partisans de l'OAS le désignent alors, par exemple, comme le responsable de la perte de l'Algérie et des colonies.
Existe-t-il des écrits précis sur ce thème ?
Tanguy L'Aminot : Des membres de l'OAS, refugiés dans le Portugal de Salazar, diffusent leur propagande sur une radio dans une émission appelée "La voix de l'Occident". Ils publient des textes qui mettent en cause Rousseau comme étant celui qui a ouvert les portes de l'Occident aux barbares d'Afrique du Nord et d'Afrique noire. Dans le même temps les socialistes et les communistes, très puissants à l'université, écrivent plusieurs livres sur lui. Guy Besse, Jean-Louis Lecercle, Roger Barny sont parmi les plus connus. Ils écrivent à la fois des études fort sérieuses et encore valables aujourd'hui, et des textes plus partisans dans les publications du parti.
Quel est son rôle dans la contestation qui s'installe dans les années 1970 ?
Tanguy L'Aminot : Un Rousseau subversif apparait en 1968 avec de nombreux articles et ouvrages qui se réclament de lui. Un livre 1968, un bilan d'un auteur allemand, Wolfgang Kraushaar, paru en 2008, consacre un chapitre entier à Rousseau présenté comme une figure essentielle de l'époque. Il est présent dans l'aventure des hippies, dans la contestation sociale, les crèches pour enfants, dans le mouvement alternatif, écologiste, etc. Allen Ginsberg, Gary Snyder, Stephen Gaskin m'ont écrit combien il les avait influencés.
À la fin des années 1970, le mouvement punk et les Sex Pistols émergent et une revue parisienne, Façade, publie un article titré : "Je préfère le nucléaire au Rousseauisme", signé Yves Adrien qui conteste le Rousseau écologiste. Rousseau est toujours présent, il apparait dans des romans de SF comme Les Erreurs de Joenes de Robert Sheckley ou Un pont de cendres de Roger Zelazny, dans des mondes futurs et comme une figure de la contestation écologiste. En 1978, Marcel Schneider publie un Jean-Jacques Rousseau et l'espoir écologiste qui explore un thème qui aura de plus en plus de succès.
Les nouveaux philosophes, Bernard-Henri Lévy en tête lui reprochent d'être le père des totalitarismes modernes. La nouvelle droite d'Alain de Benoist considère qu'il est dépassé, parce que l'homme n'est pas bon mais mauvais, faisant appel à des courants de pensées comme ceux de Konrad Lorenz et d'autres comportementalistes pour le discréditer. Cela dit, rien n'est simple puisque la revue d'Alain de Benoît Éléments, avec son n° 143, lui rend hommage dans un dossier intitulé "Rousseau parmi nous" tout en jouant de nouveau sur les contradictions des sociétés. Un article "Rousseau et les anti Lumières" en fait une figure de la résistance aux pensées erronées des philosophes du XVIIIe siècle. "Rousseau conservateur révolutionnaire ?", est le titre d'un autre article qui montre que Rousseau présente des aspects contradictoires intéressants.
Comment percevez-vous les célébrations du tricentenaire ?
Tanguy L'Aminot : C'est un produit suisse ; en 2007 Genève a lancé un appel pour être le fédérateur des célébrations, et cela arrange finalement tout le monde et les Français en premier. L'Assemblé nationale a fait de février à avril une exposition des manuscrits remis par la femme de Rousseau à la Constituante pendant la Révolution. Est-ce l'hommage national d'aujourd'hui ? 1912 avait fait mieux. Ce qui est organisé dans l'Oise, à Ermenonville, ou en Rhône Alpes, à Chambéry en particulier l'est sous la houlette de Genève.
La célébration est consensuelle, évite les polémiques, tourne autour de la botanique, de l'animation citoyenne ou de banquets plus ou moins gastronomiques. Et la campagne électorale n'a donné lieu qu'à quelques tentatives de récupération comme celle de Jean-Luc Mélenchon qui, dans un meeting à Nantes, a évoqué le Rousseau qui défend la souveraineté du peuple par l'exigence du vote citoyen. Une manière de rappeler que le texte sur la constitution européenne repoussé par les électeurs lors d'un referendum a été validé par un simple vote du Parlement.
La citoyenneté, telle que l'entend Rousseau, est simplifiée quand on veut la récupérer ; dans toute son œuvre et en particulier dans Emile quand il s'agit de choisir entre l'éducation d'un homme et celle d'un citoyen, il opte pour la première parce qu'il n'y a plus la possibilité d'avoir des citoyens. Rousseau explique qu'on est dans la cité du faux contrat social où il n'y a pas de citoyen, parce qu'il n'y a pas de réelles délibérations. Aujourd'hui le débat sur la citoyenneté, au sens où Rousseau l'entendait, n'existe pas. Et le mot citoyen est galvaudé à tous les niveaux.
Pensez-vous que la tendance est à le simplifier parce que le personnage et son œuvre sont trop complexes ?
Tanguy L'Aminot : La tendance est d'attirer l'attention sur certains aspects de Rousseau, surtout à notre époque alors qu'il ne peut pas être contenu dans un cadre rigide ou formel. Le coté promeneur solitaire, botaniste, musicien, autobiographique permet d'éviter les questions qui fâchent. C'est un produit de l'école, des programmes scolaires qui dans les années 1990 ont donné à lire Rousseau uniquement comme le père de l'autobiographie. Et quelle idée de Rousseau donne aux lycéens une telle lecture réduite aux livres I à IV des Confessions ? Celle d'un personnage grimpé dans un cerisier balançant des cerises dans le corsage des filles, un pleurnicheur et un petit cochon qui prend du goût aux fessées. Aucun manuel scolaire ou parascolaire ne mentionne la découverte de Michel Launay qui montrait dans sa thèse sur Rousseau, écrivain politique en 1968, que Rousseau avait passé son enfance à Plainpalais, à Genève, dans un milieu de militants contestataires épris de leurs droits et que cela avait eu une importance décisive dans l'élaboration de son œuvre.
Mais cet "oubli" permet d'éviter d'aborder la pensée politique du philosophe et ce qu'elle pourrait faire naître d'idées subversives dans les jeunes cervelles. Depuis 30 ans, les élèves sont formés à ce Rousseau-là. Même chose en philosophie, où on étudie seulement deux des quatre livres du Contrat social. Les deux derniers qu'on néglige sont ceux qui disent que tout gouvernement dégénère quoi qu'on fasse, que la corruption est liée à tout pouvoir et que la représentation nationale est impossible. Les élèves n'ont que le début de l'histoire, pas la fin. Cela revient à simplifier Rousseau et à le rendre conforme à la consommation "citoyenne" du moment. Maurice Barrès, d'ailleurs, disait "J'aime bien le Rousseau de La Nouvelle Héloïse, pas celui du Contrat social".
Propos recueillis par Alain Abellard
Tanguy L'Aminot est chargé de recherche au CNRS, directeur de l'équipe Rousseau à l'Université Paris Sorbonne. Il est directeur et fondateur de la revue Études Jean-Jacques Rousseau, et du site Rousseau Studies.

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