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mercredi 25 juillet 2012

La fin d' un monde ...(2)


Tabula rasa
(Photo : de Roland Emmerich).
FIN DU MONDE (II) Art iconique et spectaculaire, le cinéma est le support privilégié des «écofictions», ces films catastrophe qui mettent en scène les divers scénarios de l’Apocalypse.
Cyclones gigantesques, pluies de grêlons aux proportions bibliques, raz-de-marée engloutissant les grandes capitales du monde, températures plongeant 150 degrés au-dessous de zéro, surface terrestre recouverte de glace, nous ramenant à des temps immémoriaux... Brusque réchauffement du noyau de la Terre, provoquant un déplacement des plaques tectoniques avec pour conséquence un enchaînement de désastres: éruptions, torrents de lave, séismes, tsunamis... Le cinéaste étasunien d’origine allemande Roland Emmerich est passé maître dans le blockbuster catastrophe à très gros budget (150 millions de dollars). Ses mises en scène saturent les sens, multipliant les tableaux apocalyptiques à grand renfort d’effets spéciaux numériques.

«Nous étions prévenus», clame l’affiche de 2012. Sorti il y a trois ans, le film a dépassé en ampleur Le Jour d’après (2004). Prenant à la lettre la prophétie du calendrier Maya, qui fixe prétendument la fin du monde au prochain solstice d’hiver, Roland Emmerich s’est employé avec un malin plaisir à la destruction virtuelle d’un monde condamné par l’arrogance et l’aveuglement des humains croyant dominer la Nature. Vulgaire prétexte à pulvériser le box-office ou écho amplifié d’une peur écologique bien réelle, même si refoulée? Difficile à surpasser, 2012 incarne la quintessence d’un genre couru depuis des décennies: le film catastrophe. Où le péril climatique remplace le gigantisme urbanistique non-maîtrisé (La Tour infernale), la menace nucléaire (La Planète des singes, Le Jour d’après de 1983, sans rapport avec Emmerich), l’éruption volcanique (Le Pic de Dante, Volcano), la tornade (Twister), la chute d’une météorite (Armageddon, Deep Impact) ou encore la pandémie bactérienne (L’Armée des douze singes, Contagion, la série TV ReGenesis).
Fascinante destruction
Ces œuvres grand public font abondamment référence aux mythes: celui de Prométhée, qui vola le feu de l’Olympe pour l’offrir aux humains, provoquant le courroux de Zeus. Celui, biblique, du Déluge et de l’Arche de Noé: dans Deep Impact, un échantillon de l’humanité est sélectionné par une loterie pour survivre dans des abris sous-terrains, alors que dans 2012, plus cyniquement, la place à bord des arches de secours n’est accessible qu’aux plus fortunés. Quant à Knowing, d’Alex Proyas, il a suscité la controverse en s’achevant sur un Eden version 2.0, où seuls ceux qui ont pris en compte les signaux catastrophistes sont sauvés par les extraterrestres. Certains y ont décelé une allusion à la scientologie.
Un essai récemment paru dresse l’inventaire de cet imaginaire à travers une foule d’œuvres en tout genre: Les Ecofictions. Mythologies de la fin du monde (Ed. Les Impressions nouvelles) est un ouvrage passionnant si l’on excepte le parti pris «écolosceptique» de son auteur (lire ci-dessous). Professeur de littérature à l’Université de Lorraine spécialisé dans l’imaginaire – il a consacré un précédent ouvrage à Jules Verne –, Christian Chelebourg a visionné des dizaines de blockbusters et de documentaires, dont ceux d’Al Gore, Yann Arthus-Bertrand et Nicolas Hulot. Il en tire la règle d’un «régime de médiatisation des thèses environnementalistes», d’une «heuristique de la peur» qui à la fois se nourrit des inquiétudes contemporaines, les met en scène et les amplifie. «L’écofiction n’est pas un genre littéraire ou cinématographique, c’est une manière d’entrer en résonance avec l’imaginaire d’une époque fascinée par sa puissance, et terrifiée par un avenir dans lequel elle ne sait plus lire que des promesses de déclin.»
Ravaler au rang de croyances et de propagande des conclusions largement dominantes au sein de la communauté scientifique est un choix qu’on laissera à l’auteur. Sur le plan des représentations fictionnelles, en revanche, son analyse éclaire: à défaut de se saisir en conscience des enjeux auxquels il est confronté, l’homo economicus a priori rationnel n’est-il pas tenté d’occulter le danger, préférant s’abandonner au spectacle éblouissant et répétitif de sa propre destruction? La crédibilité des studios hollywoodiens en matière de conscience environnementale est évidemment toute relative: on n’ose imaginer l’empreinte écologique d’un blockbuster, entre sa conception, sa diffusion et son ballet promotionnel planétaire. De là à voir dans ce plaisir coupable l’expression d’un «anti-humanisme» accréditant l’idée que nous serions le «cancer de la planète»... On préférera voir dans ce type de récit une étape logique de la réinvention perpétuelle des ressorts narratifs: autrefois rouge ou extraterrestre, le péril dominant est aujourd’hui logiquement climatique.
Héroïsme sacrificiel
Aussi spectaculaires et jubilatoires qu’elles fussent, les écofictions échouent à dessiner des solutions, sinon crédibles, du moins porteuses d’enseignements. Mise en garde naturelle ou divine, la catastrophe au mieux se résorbe – happy end oblige –, au pire contraint l’humanité à la fuite dans l’espace vers un illusoire plan B, planète habitable ou «terraformée» grâce à la technologie. Quant au motif récurrent de «l’héroïsme sacrificiel», il place le salut de l’humanité dans les mains de quelques individus d’exception: les têtes brûlées emmenées par Bruce Willis dans Armageddon, pour dynamiter l’astéroïde géant qui approche de la Terre; la mission scientifico-militaire qui se fraie un chemin vers le centre de la Terre dans Fusion (The Core), pour relancer la rotation brusquement interrompue de son noyau au moyen de deux cents mégatonnes d’explosifs... Pas vraiment à la portée du citoyen lambda.

Le discours scientifique confronté au déni
Rédacteur en chef de LaRevueDurable, Jacques Mirenowicz n’a pas dépassé le premier chapitre des Ecofictions: «Comme Pascal Bruckner (auteur d’un pamphlet intitulé «Le Fanatisme de l’Apocalypse», ndlr), Christian Chelebourg occulte les données qui fondent le diagnostic environnemental et décrit l’écologie comme l’idéologie dominante depuis la chute du Mur de Berlin. C’est évidemment faux, si l’on songe au récent fiasco du sommet Rio+20, et plus généralement à la faiblesse patente des mesures environnementales depuis dix ans – depuis le Sommet de la Terre à Johannesburg en 2002. On vit dans un déni terrible alors que des solutions existent, notamment en Suisse avec la sortie programmée du nucléaire et l’objectif de la Société à 2000 watts (par personne et par an, contre 6500 watts actuellement, ndlr)
La publicité faite au climatoscepticisme irrite le journaliste: «Cela n’a rien à voir avec la science, c’est une idéologie réactionnaire face à une réalité établie avec une quasi-certitude depuis le témoignage du climatologue James Hansen devant le Congrès des Etats-Unis, en 1988. Cette réalité contrarie des acteurs économiques de premier plan, dont l’intérêt est d’exploiter sans relâche les énergies fossiles. Elle nous oblige à revoir profondément notre mode de production et de consommation.»
Prévisions alarmantes
Concrètement, sommes-nous près de la catastrophe? «Au-delà d’une hausse de 2°C par rapport au niveau préindustriel, on atteint un point de rupture. La quantité de gaz à effet de serre accumulée dans l’atmosphère entraînera des réactions en chaîne: davantage de réchauffement encore, la fonte des calottes glacières (Groenland et Antarctique), une hausse très forte du niveau des mers, la fonte du permafrost qui libérera sans doute des doses massives de méthane, l’embrasement possible des forêts tropicales, etc. En gros, l’avenir devient un cauchemar et se bouche.» Ces prévisions alarmantes provoquent-elles la prostration? «Je le conteste! Ceux qui disent cela ne font rien, et n’ont pas l’intention de changer.»
Peu friand d’écofictions spectaculaires, Jacques Mirenowicz est plus convaincu par un documentaire argumenté comme Une Vérité qui dérange, de Davis Guggenheim, avec Al Gore, ou plus encore par une œuvre plus modeste mais concrète telle que Nos enfants nous accuseront, de Jean-Paul Jaud (2008). «C’est un film exemplaire, ancré dans une histoire simple, celle d’une municipalité du Gard qui décide de convertir sa cantine scolaire au bio local. Les élèves plantent des carottes et sont sensibilisés aux pesticides. Ce film a toutes les vertus, à la fois narratif, non fantasmé et axé sur les solutions concrètes.»
A l’exception de ce type de documentaire ou encore de l’impressionnante BD-enquête de Philippe Squarzoni, Saison Brune – six ans de recherches et près de 500 pages consacrées au réchauffement climatique (Le Courrier du 12 mai dernier), Jacques Mirenowicz déplore le manque d’intérêt des milieux artistiques pour les questions écologiques: «Sauf à considérer les blockbusters hollywoodiens comme de la culture, ils passent complètement à côté du défi majeur de leur époque. On a besoin de récits fictionnels qui soient crédibles.»
La pédagogie face aux lobbies
Martine Rebetez est climatologue à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt (WSL) et professeure à l’Université de Neuchâtel. Les écofictions catastrophe rendent-elles justice au défi climatique? «Non, car si elles partent d’observations correctes, elles les présentent de façon exagérée ou carrément fausse. Le refroidissement du Gulf Stream par la fonte des glaces dans l’océan Arctique, son incidence sur le climat tempéré de l’Europe, sont une menace réelle mais pas de manière aussi brutale que dans Le Jour d’après. Les proportions et l’échelle de temps sont inexactes, l’étendue géographique aussi puisque dans le film, tout l’hémisphère nord s’en trouve affecté. C’est ennuyeux pour la pédagogie scientifique, déjà compliquée à faire entendre: amalgamée à des fantasmes, elle prête le flanc au climatoscepticisme.»
Divertissement avant tout lucratif, le blockbuster écofictionnel serait contre-productif? «La fiction n’est pas la première coupable, assure Martine Rebetez. Les agences spécialisées financées essentiellement par les intérêts pétroliers et miniers pratiquent une désinformation bien plus grave. Pas besoin de contester les faits, semer le doute suffit.» Le doute, n’est-ce pas la base de toute science? «On parle ici de doute résiduel, car les faits sont suffisamment établis. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) n’est pas monobloc: ce sont des milliers de scientifiques à travers le monde qui échangent leurs données, les comparent et en font la synthèse dans leurs rapports. Je contribue d’ailleurs à réviser les chapitres qui concernent mon domaine de compétence.»
Transition inévitable
La fiction et le documentaire écolo ont leur vertu s’ils incitent à débattre, juge la climatologue: «Le film d’Al Gore était remarquable, très documenté. On a pu mesurer son impact aux violentes critiques de certains lobbies. A l’inverse, la plupart des fictions se contentent de jouer la carte du spectaculaire et impriment une image déformée de la réalité.» Complexes, les enjeux méritent pourtant d’être expliqués: «Il a déjà fait plus chaud qu’aujourd’hui, le vrai problème est la rapidité du processus en cours. Il va se produire en un siècle l’équivalent du passage d’une ère glaciaire à une ère interglaciaire (ou inversement), ce qui a pris environ 10'000 ans! Et la Terre est aujourd’hui peuplée de 7 milliards d’êtres humains, il faut donc trouver un moyen de vivre ensemble au sens large. Ce n’est pas tant le nombre de gens que leur mode de vie qui pose problème. Pour être durable, il faudrait diviser la consommation énergétique d’un Suisse par six, celle d’un Américain au moins par quinze. L’empreinte écologique de la Suisse paraît raisonnable, car nous produisons surtout des services: mais nous achetons quantité de produits manufacturés en Chine, ce qui augmente la consommation énergétique et les émissions de ce pays. On voit bien la difficulté d’agir. On peut faire des efforts individuels et quotidiens, mais il manque la volonté politique et les outils techniques pour faire plus. On craint toujours le changement, et beaucoup d’emplois sont en jeu.»
La transition écologique n’est pas pour demain? «Elle aura inévitablement lieu, l’explosion du coût des énergies fossiles nous y obligera. Mais au rythme actuel, il faudra payer pour les lourds dégâts causés par les générations précédentes.» PROPOS RECUEILLIS PAR RMR
«Les écofictions reflètent la croyance en notre superpuissance»
Les représentations fictionnelles de l’Apocalypse anthropique (induite par l’activité humaine) font l’objet d’un essai richement documenté de Christian Chelebourg. Professeur de littérature, passionné par l’imaginaire et la science-fiction, il analyse dans Les Ecofictions. Mythologies de la fin du monde des dizaines d’œuvres littéraires, illustrées, et surtout cinématographiques: les studios hollywoodiens excellent depuis toujours à faire leur beurre des peurs collectives, dont le péril écologique n’est que l’avatar le plus récent. Questions à un écolosceptique pour qui le réchauffement climatique incarne la nouvelle «passion millénariste», et qui confesse avoir eu de la peine à trouver un éditeur vu son parti pris idéologique.
Vous débutez votre livre en mettant en doute les causes anthropiques du réchauffement climatique et en décrétant que l’écologie politique est «liberticide» et «antidémocratique». Vous tendez le bâton pour vous faire battre?
Christian Chelebourg: Je ne me prononce pas sur la réalité du réchauffement climatique, ce n’est pas mon rôle. Mais en tant qu’épistémologue, j’ai un problème fondamental avec les consensus. Je remarque comme Michael Crichton (auteur de «Jurassic Park» et d’«Etats d’urgence», thriller anti-écologiste controversé, ndlr) que le discours sur le changement climatique, depuis l’effondrement du Mur de Berlin, s’est présenté comme la réponse globale aux problèmes de gouvernance posés au monde occidental. En outre, les penseurs de l’écologie radicale que j’ai lus pour écrire ce livre, Hans Jonas (Le Principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, 1979), James Lovelock (La Terre est un être vivant. L’Hypothèse Gaïa, 1979) et plus encore Jean-Christophe Mathias (Politique de Cassandre. Manifeste républicain pour une écologie radicale, 2009) l’écrivent noir sur blanc: une action politique efficace en matière d’écologie ne peut être démocratique. Le peuple aura forcément une vision à court terme, liée à son confort personnel. D’où leur idée de s’appuyer sur des instances supranationales qui ne soient pas soumises au contrôle démocratique.
Mais ces penseurs ne sont pas au pouvoir. Et visiblement leurs idées n’ont pas beaucoup d’influence, vu l’absence de politiques contraignantes et le fiasco du sommet Rio+20.
– C’est vrai, mais ces ouvrages existent et ils ont pignon sur rue. Evidemment, les Verts, lorsqu’ils se présentent devant les électeurs, ne se promènent pas avec ces livres sous le bras.
Venons-en au cœur de votre analyse. Qu’avez-vous cherché à montrer à travers la profusion d’«écofictions» produites ces dernières années?
– J’explique qu’il y a un moment historique où la science-fiction cesse d’être tournée vers l’anticipation pour prendre la forme d’une prédiction. Ce moment coïncide grosso modo avec la chute du Mur de Berlin. Les œuvres étudiées sont donc essentiellement tirées des années 1990 et 2000. Je tiens compte évidemment des œuvres précédentes, notamment Printemps silencieux de Rachel Carson (best-seller paru en 1962, qui a introduit le discours écologique auprès du grand public, ndlr) et je m’intéresse à l’ensemble des œuvres qui prophétisent l’Apocalypse. Avant 1989, c’est la bombe atomique qui joue ce rôle. Aujourd’hui, la peur a changé de mobile: le motif dominant est la super-tempête qui apportera une glaciation soudaine, thèse du climatologue James Hansen reprise par Roland Emmerich dans Le Jour d’après. Ces fictions se font l’écho des peurs contemporaines, mais elle contribuent aussi à les formater.
Comment expliquez-vous cette fascination pour la mise en scène de l’extinction de l’humanité?
– C’est le complexe du «surhomme mélancolique»: au fond, ces fictions de la faiblesse sont des fictions de la surpuissance. L’homme occidental croit tellement à sa puissance qu’il est convaincu de pouvoir se détruire. L’argument scientifique n’est que l’habillage contemporain de mythes ancestraux. Jules Verne a décrit l’épuisement des ressources naturelles, la pollution, la prédominance de la force sur la paix, etc. Sans oublier Rousseau, qui a tenu un discours visionnaire à propose du séisme de Lisbonne, en attribuant l’ampleur de la catastrophe à l’urbanisation non-maîtrisée (en 1755, ce séisme suivi d’un tsunami et d’incendies ravage la ville et fait entre 50 000 et 100 000 victimes, ndlr).
D’où vient l’héroïsme sacrificiel, récurrent dans les écofictions hollywoodiennes?
– Il est le reflet des structures anthropologique de l’imaginaire. Le héros collectif n’a pas de sens pour l’imagination. Il y a toujours un héros qui apporte la lumière, ou qui rétablit le climat en l’occurrence. Mais le filon surexploité de l’écofiction va se tarir. Surtout quand on aura constaté qu’il ne s’est rien passé le 21 décembre 2012 (rire).
PROPOS RECUEILLIS PAR Rodéric Mounir

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