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lundi 26 novembre 2012

Les élus conplètement déconnectés du peuple...


«C’est la voix du peuple qui mettra fin au nucléaire»
Lors d'une manifestation à Tokyo ce printemps.
Lors d'une manifestation à Tokyo ce printemps. (Photo Issei Kato)
Interview Depuis la catastrophe de Fukushima, en mars 2011, les antinucléaires japonais restent mobilisés. Une première encouragée par le scientifique Ikuro Anzai qui réclame une loi pour entériner la promesse du gouvernement de stopper les centrales.
 
En mars 2011, il a pris sa retraite d’universitaire avant de créer son propre bureau de la Paix et de la Science niché aux abords de la gare de Kyoto. Depuis le séisme et la catastrophe de Fukushima, ce docteur en génie nucléaire, auteur de dizaines d’ouvrages, multiplie les débats et les publications pour informer sur la prévention des risques et sur la décontamination. Et appelle les Japonais à se mobiliser pour que la récente annonce gouvernementale de stopper la production du nucléaire soit rapidement ratifiée par une loi.
Vous avez été l’un des quinze premiers scientifiques japonais à travailler dans le secteur de l’énergie nucléaire qui a pris son essor dans les années 60. Puis en une décennie, vous avez radicalement changé d’avis. Pourquoi ?
Au début des années 60, quand j’étudiais dans le département de génie nucléaire à Tokyo, j’ai mis beaucoup d’espoir dans cette énergie. Le Premier ministre de l’époque, Hayato Ikeda, lançait le développement économique du pays qui connaissait alors une croissance très rapide. Mais celle-ci s’est vite accompagnée de nombreux problèmes de destruction, de pollution massive [comme à Minamata par les usines chimiques de la société Shin Nippon Chisso, ndlr], d’accidents qui impliquaient des ouvriers et des employés. Les gens ont commencé à prendre conscience alors des conséquences de cette politique de développement. Au milieu des années 60, en tant que responsable du département nucléaire au sein de l’Association des scientifiques japonais, j’ai eu de plus en plus de doutes sur la sécurité nucléaire.
Pour juger des bienfaits et des méfaits de la politique nucléaire, j’ai alors proposé que l’on établisse une liste de six critères allant de l’indépendance dans ce secteur de l’énergie à l’exigence de règles pour protéger les populations locales concernées et les ouvriers du nucléaire en passant par une plus grande transparence, et au refus d’une militarisation de l’atome. Dans les années 70, nous avons eu des débats sur la sécurité des employés de ces réacteurs tout comme nous discutions des risques accrus pour les populations vivant aux abords des centrales qui étaient alors en cours de construction à travers tout le pays. J’ai donc changé d’opinion à ce moment-là en prenant conscience de l’ampleur des problèmes de sécurité. Il y avait trop d’incertitudes et peu d’assurances pour garantir la sureté de ces installations. L’accident de Fukushima a tristement montré le bien-fondé de nos inquiétudes.
Vous devez être satisfait alors de la décision du Premier ministre, Yoshihiko Noda, qui a récemment annoncé vouloir arrêter les centrales d’ici à la fin des années 2030…
C’est une excellente chose qu’un Premier ministre indique cette direction pour échapper à la société du nucléaire. Mais le démantèlement des 54 réacteurs prendra une centaine d’années. Dans le cas de Fukushima, il est probable que ce processus nécessitera cinquante ans. Hélas, l’instabilité gouvernementale est trop grande au Japon. Noda risque d’être remplacé par le leader du Parti libéral démocrate (PLD), probablement partisan d’un autre choix. L’avenir de la politique nucléaire devrait être décidé par la voie parlementaire car on ne peut pas se contenter uniquement de déclarations. L’annonce du Premier ministre Noda a été en partie obtenue grâce à la mobilisation du peuple japonais qui a donné de la voix. Il faut donc maintenant que les Japonais fassent pression afin qu’un acte législatif soit voté pour mettre fin à l’énergie nucléaire.
Mais ceux qui souhaitent la fin du nucléaire au Japon peuvent-ils vraiment résister aux pressions du milieu industriel et de l’étranger ?
Malheureusement les habitants de ce pays ne sont pas pleinement conscients du pouvoir de décision qu’ils ont pour influer sur de nouvelles politiques. Au Japon, le principal ordonnateur de la politique nucléaire est Washington. En 1953, Yasuhiro Nakasone, un homme très influent du PLD, a été invité aux Etats-Unis à un séminaire organisé par Henry Kissinger pour promouvoir le projet «Atomes pour la paix» dont les grandes lignes ont été reprises au Japon et popularisées lors de campagnes de presse et d’expositions itinérantes à travers le pays.
Depuis cette époque, les conservateurs japonais ont décidé de développer cette énergie tout en s’inscrivant dans la politique stratégique des Etats-Unis qui nous vendait de l’uranium. Washington ne veut pas entendre parler d’un abandon du nucléaire, et il exercera à coup sûr une forte pression sur les autorités japonaises.
Au début des années 60, les Japonais se sont déjà divisés sur le Traité de coopération et de sécurité signé avec les Etats-Unis [qui plaçait l’Archipel sous dépendance américaine, notamment avec le déploiement de GI sur le sol nippon]. Nous devons nous débarrasser de cette influence dans un avenir proche. Ce ne sera pas simple de se détacher, mais c’est une nécessité. 
La classe politique japonaise aura-t-elle la volonté et la capacité de maintenir son choix d’un arrêt du nucléaire ?
Je ne sais pas, mais les hommes politiques ne peuvent pas négliger la voix croissante des Japonais opposés au nucléaire qui n’ont pas arrêté de manifester par milliers depuis un an et demi. Les élections législatives, qui doivent avoir lieu le 16 décembre, seront l’occasion pour le peuple japonais de s’exprimer. Dans notre constitution, il est bien précisé que le peuple exerce la souveraineté dans ce pays, pas le gouvernement, ni l’industrie nucléaire bien sûr.
 Il n’y a jamais eu de tradition de contestation sociale au Japon. Comment expliquez-vous alors que le mouvement antinucléaire, bien que minoritaire au sein de la population, reste fortement mobilisé depuis mars 2011 en organisant des manifestations régulières et en recueillant des millions de signatures pour l’arrêt des centrales ?
L’accident de Fukushima a de nouveau exposé les Japonais aux effets des rayonnements ionisants. C’est tout de même la quatrième expérience de ce genre qu’ils ont eu à subir en moins de soixante-dix ans : les deux premières ont eu lieu les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki, la troisième le 1er mars 1954, lors de l’essai nucléaire de Castle Bravo dans l’atoll Bikini [l’équipage d’un thonnier japonais, le Daigo Fukuryu Maru, présent sur les lieux, a été irradié, suscitant un forte contestation]. Le mouvement antinucléaire japonais a d’ailleurs démarré après cet essai dans le Pacifique. Dans le même temps, la Diète a voté en toute hâte un budget pour la construction d’une centrale. Bien sûr, entre Bikini et Fukushima, il y a eu l’explosion de Tchernobyl en Ukraine, en avril 1986, mais elle est intervenue à plus de 7 000 kilomètres. Les Japonais ont donc été parmi les premiers à savoir que la radioactivité dans leur vie quotidienne était un problème crucial et persistant: on voit aujourd’hui des mères japonaises préparer les repas de leurs enfants en prenant soin de ne pas utiliser des aliments contaminés. Je ne crois pas que ce mouvement va dépérir bientôt. Depuis 2011, je milite pour que ceux qui se mobilisent contre l’énergie nucléaire et les tenants d’une lutte contre les armes nucléaires travaillent réellement ensemble. Fukushima est pour les Japonais l’occasion de réfléchir sur les dangers de l’énergie nucléaire sur lesquels j’ai alerté depuis quarante ans, mais j’ai échoué. Je suis en partie responsable pour l’accident de l’année dernière.
Pourquoi responsable ?
Je n’étais certes pas l’un des artisans de la mise en œuvre de la politique nucléaire, mais je ne suis pas parvenu à empêcher cet accident grave. Les scientifiques japonais sont responsables de cela, moi y compris. En tant que spécialiste en radioprotection, j’ai honte de n’avoir pas réussi à convaincre notre gouvernement et le peuple japonais de ces risques. 
Vous évoquez les bombes de Hiroshima et de Nagasaki en 1945 et dans le même temps Fukushima alors qu’après la catastrophe de mars 2011, des voix se sont élevées pour dire qu’on ne pouvait pas comparer ces deux expériences.
Fukushima n’est pas en effet le résultat d’une arme nucléaire, mais une conséquence accidentelle de «l’utilisation pacifique de l’atome» selon l’expression consacrée des années 60. Ces deux événements ont toutefois en commun une origine identique, à savoir la diffusion dans l’atmosphère du césium 137 qui a été 500 fois plus importante à Fukushima qu’à Hiroshima. La contamination de l’environnement autour de la centrale du Tohoku est quelque chose de très sérieux qui va se poursuivre pendant plus de cent ans.  Comment peut-on expliquer que le Japon, frappé par deux bombes H en août 1945, ait décidé en moins de dix ans de se lancer dans l’énergie nucléaire en semblant oublier ce qu’il venait de vivre ?
Après la Seconde Guerre mondiale, les Japonais ne pensaient pas utiliser l’énergie nucléaire. A l’époque, 80% de la consommation du Japon provenait de l’énergie hydraulique fournie par une seule compagnie d’électricité. En 1951, les Etats-Unis ont décidé de la scinder en neuf entités régionales au motif qu’il s’agissait d’une démocratisation économique. Il s’agissait en fait de placer ces sociétés sous la dépendance de Washington. Elles n’avaient pas toutes les ressources en eau nécessaires, et certaines ont commencé à développer des centrales au gaz, au charbon et au pétrole. Mais lors de la guerre du Kippour, en 1973, les industriels japonais ont eu les pires difficultés à se procurer du pétrole et ont décidé de se tourner vers le nucléaire.
Le Japon était alors dirigé par Tanaka Kakuei, un Premier ministre très populaire, originaire de la préfecture de Niigata, où est installée d’ailleurs Kashiwazaki-Kariwa, la plus grande centrale nucléaire au monde. En décembre 1973, il a fait un discours pour insister sur la nécessité de développer l’énergie nucléaire sans tarder et sans débat. En 1974, une taxe sur l’électricité a été créée pour financer cette politique. Et chaque région qui souhaitait accueillir des centrales recevait des aides colossales du gouvernement pour bâtir des infrastructures et des équipements, comme à Fukushima, à Futaba ou à Ohi [c’est là que deux réacteurs ont été relancés en juin et juillet derniers, les deux seuls en fonctionnement actuellement au Japon, ndlr]. Les habitants étaient également encouragés à se mobiliser au sein de groupe citoyen pour «construire une région ou une ville radieuse». Les survivants de Hiroshima et Nagasaki ont protesté et alerté sur les risques des rayonnements ionisants, mais ce genre d’information n’a pas été vraiment relayé, enseigné aux Japonais. Donc, la population ne savait pas tout et n’avait pas franchement conscience des dangers. Cela a véritablement changé depuis Fukushima. 
Que dites-vous aux Japonais lors des rencontres publiques  que vous organisez depuis la catastrophe de 2011 ?
Je commence par ce qui s’est passé à Fukushima, j’évoque ensuite les effets des rayonnements ionisants sur la santé, la nourriture. Je replace cela dans le contexte de notre relation stratégique avec les Etats-Unis, et j’insiste sur les conséquences sociales. Nous avons subi l’enfer nucléaire après Hiroshima et Nagasaki, mais cet enfer n’a pas été complètement expliqué au reste du monde parce que les Etats-Unis ont largué deux bombes sur ce pays, parce que les Etats-Unis ont occupé ce pays, parce que les Etats-Unis ont développé leur politique de domination du monde grâce à leurs armes nucléaires. Ils ont verrouillé, contrôlé l’information sur l’ampleur de ces bombardements et sur les hibakushas [les survivants victimes des bombes d’août 1945, évalués à plus de 210 000 personnes par le gouvernement japonais]. Entre 1945 et 1952, quand les Etats-Unis occupaient le Japon, ils ont interdit les reportages et les publications via un code de la presse très strict. 
Dix-huit mois après Fukushima, le Japon est-il maintenant hors de danger ?
Heureusement, la quantité de radiations reçue aujourd’hui par les habitants de la zone de Fukushima n’est pas si élevée. J’y suis allé très souvent depuis l’accident, et les chiffres indiqués par les écrans de contrôle indiquent des taux compris entre 0,3 et 0,7 microsievert par heure. C’est moins que lors d’un vol Osaka-Helsinki où l’on est exposé à des niveaux de 1 microsievert par heure dû aux rayons cosmiques.
Les rayonnements externes, notamment causés par l’émission de rayon gamma émis par le césium 137, sont évidemment plus importants à Fukushima que l’irradiation interne provoquée par des aliments contaminés. Beaucoup de  tests et d’analyses sont menés pour mesurer cette contamination de la nourriture et finalement, les résultats ne sont pas très élevés. En avril, le gouvernement japonais a d’ailleurs renforcé la vigilance en abaissant les seuils de tolérance à des niveaux bas, inférieurs à la plupart des pays occidentaux. C’est heureusement très différent de Tchernobyl.
Le gros chantier sera la décontamination des sols et de l’environnement qui exige le grattage, peu à peu, de vastes superficies de plaines, de collines de zones urbaines et ensuite l’enfouissement d’énormes quantités de gravats hautement contaminés. Il faudra évidemment opérer un strict contrôle des déchets qui doit être pris en charge par le gouvernement, puis poursuivre les mesures et les contrôles. Cette opération colossale demandera beaucoup d’efforts constants, de temps et d’argent. 
ARNAUD VAULERIN

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