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jeudi 2 février 2012

Les ravages de l' économie capitaliste laisserons ils une place à l' économie Sociale....

Pourquoi l’oligarchie financière ne veut pas de l’économie sociale.
Les ravages du capitalisme financier remettent au goût du jour « l’économie sociale ». L’idée de créer des sociétés coopératives, où l’actionnaire ne prédomine plus, se répand de nouveau parmi les salariés. Les associations rassemblant consommateurs et producteurs se multiplient pour contourner les grands groupes. Les banques éthiques suscitent un regain d’intérêt… D’où vient cette « économie sociale » ? Peut-elle constituer une alternative au système économique actuel ? Entretien avec Jean-Philippe Milesy, délégué général de la coopérative Rencontres sociales.
(photo : Des salariés des aciéries de Ploërmel (Bretagne), une société coopérative et participative )
D’où vient « l’économie sociale » ?
Jean-Philippe Milesy  [1] : Historiquement, l’économie sociale se constitue en réaction au libéralisme économique de la Révolution française et des régimes suivants. La loi Le Chapelier (promulguée en juin 1791) interdit tout groupement de citoyens, d’ouvriers ou de paysans. Au départ, les formes d’économie sociale sont des démarches pragmatiques de citoyens, dans un quartier ou sur un territoire donné, pour mettre en commun le peu qu’ils ont : capacité de travail, outils, épargne, inventivité... Une des premières sociétés de secours mutuel s’appelle « Le sou du linceul » : des gens d’un quartier qui réunissent leurs maigres économies pour éviter qu’on enterre les leurs comme des chiens. Cela renvoie à la Chanson des Canuts. C’est l’essence de l’économie sociale : des réponses collectives immédiates à un besoin social non satisfait. Des artisans mettent en commun leurs outils, d’autres leur pécule pour pratiquer le crédit, alors réservé aux grandes entreprises. Autre exemple : dans les fabriques, le système de l’économat assujettit les travailleurs au magasin de l’entreprise. Les employés doivent y acheter les produits dont ils ont besoin – une manière pour le patron de récupérer leurs salaires. En réaction, des circuits courts sont mis en place, qui permettent aux travailleurs d’aller se fournir chez des paysans et industriels pour ne plus dépendre des prix fixés par le patron.
Qui sont les initiateurs de ce mouvement ?
L’économie sociale est alors portée par des militants, partisans du fouriérisme (de Charles Fourier et de son idée de phalanstère, ndlr), de Proudhon (qui incarne l’un des courants de l’anarchisme, ndlr), des socialistes utopistes, des chrétiens sociaux issus du mouvement ouvrier, et même des bourgeois, voire des petits aristocrates, en rébellion contre le capitalisme manufacturier et le libéralisme financier. Ces structures pragmatiques et dispersées vont assurer leur pérennité grâce à l’idée de fédéralisme lancée par Proudhon ou le penseur anarchiste Élisée Reclus. On assiste à des regroupements de caisses de crédit, d’associations de secours mutuel, comme la Société d’épargne de crédit mutuel des ouvriers relieurs à Paris avec le socialiste Eugène Varlin, et d’associations ouvrières de production. Des structures fédérées suffisantes pour peser, et qui annoncent la création des syndicats [2]. La liberté, l’égalité et la solidarité constituent leurs principes communs : la libre création, avec des citoyens qui, librement, se regroupent ; la démocratie, avec le principe un homme égale une voix, indépendamment de sa fortune ; et l’impartageabilité des résultats, vers des détenteurs du capital, par exemple.
Pourquoi les mouvements progressistes et révolutionnaires qui émergent au sein du mouvement ouvrier au XIXe siècle ne portent-ils pas pleinement cette économie sociale ?
Les deux courants majeurs du mouvement ouvrier – marxiste et anarchiste – adoptent des attitudes ambiguës envers l’économie sociale. Ils reconnaissent l’intérêt du mouvement mais portent des jugements très sévères sur la perte d’énergie qu’induirait, selon eux, l’économie sociale : le temps que les ouvriers passent à monter ces structures est autant de temps qui n’est pas consacré à la lutte contre le capital. En parallèle, l’État, dès Napoléon III, tente de capter ces structures, de les institutionnaliser. Certains courants du mouvement ouvrier, autour du socialiste Jules Guesde, par exemple, considèrent que seul l’État peut assurer la régulation, la laïcité… La conquête de l’État devient donc la priorité. Et c’est un débat qui perdure encore aujourd’hui. Le soutien à de nouvelles formes d’économie sociale n’est pas vu comme un levier principal du changement par la gauche.
Et ensuite ?
Durant tout le XXe siècle, l’économie sociale va s’isoler et s’institutionnaliser, malgré les « coopératives rouges » créées dans les années 1920 ou les coopératives ouvrières relancées sous le Front populaire en 1936. À la Libération, on peut dire que l’économie sociale « rate le coche ». Le Conseil national de la Résistance n’y fera guère référence. Si les gaullistes, les démocrates chrétiens et les communistes n’ont alors aucune idée de ce qu’est l’économie sociale, c’est aussi parce qu’une partie des notables du mouvement se sont compromis sous le régime de Vichy, en cédant au corporatisme et à la solidarité nationale. L’économie sociale va ensuite subir les remous de la guerre froide, la CGT y est marginalisée. Elle retrouve un peu de force dans les années 1970 avec l’arrivée de la deuxième gauche, porteuse des idées du christianisme social, notamment dans le monde rural, où la tradition de coopération est encore vivace. Les coopératives agricoles ne sont pas encore devenues des multinationales agroalimentaires, la vie démocratique y est alors présente. Des initiatives comme Lip jouent un rôle dans cette renaissance. La CGT s’ouvre aux coopératives de luttes.
Comment expliquer le regain d’intérêt actuel pour l’économie sociale, en particulier pour les sociétés coopératives (Scop), médiatisée par les tentatives de reprise des entreprises SeaFrance ou Fralib par leurs salariés ?
Aujourd’hui, la destruction de l’État providence, ou de l’État du compromis social, la dislocation des mesures héritées du Conseil national de la Résistance et la domination du capitalisme financier la remettent au goût du jour. Le fait que des entreprises pourtant bénéficiaires soient lâchées par leurs actionnaires invite à réagir. Mais il n’est pas toujours sûr que ces entreprises puissent demeurer rentables en dehors d’un groupe capitaliste, qui leur facilite les accès au marché.
Quelles sont les conditions d’une reprise en coopérative ?
Trois conditions sont nécessaires : l’engagement des salariés, la démocratie et une dose de réalisme économique. Il semble que ces conditions n’étaient pas réunies dans le cas de SeaFrance. Une Scop n’est pas un îlot de socialisme. Elle se situe sur un marché, doit produire quelque chose qui se vend, avoir la confiance de ses clients. Dans ce cadre, la transformation de PME en coopérative est plus réaliste. Les grosses entreprises, c’est plus difficile. Mais cela peut fonctionner : Chèque Déjeuner face à Sodexo, ou Acome dans la fibre optique. Ce n’est pas un modèle, mais chaque fois une aventure humaine recommencée. Les Scop ont besoin d’un soutien populaire. L’économie sociale est avant tout un élan collectif, ce que l’on a tendance à oublier. Ce n’est pas un leader charismatique, avec des gens qui suivent.
L’économie sociale peut-elle faire du travail un vecteur d’émancipation, dans un contexte où les conditions de travail et l’emploi se dégradent ?
Il existe une ambiguïté vis-à-vis des salariés. À part les Scop, au sein desquelles les salariés sont eux-mêmes sociétaires, toutes les organisations de l’économie sociale sont dans un rapport classique de subordination. La Macif ou la MGEN sont des mutuelles entre sociétaires – leurs adhérents –, pas entre salariés. Même s’ils y sont globalement mieux traités que dans une entreprise d’assurance privée, ils ne participent pas au processus politique de l’économie sociale. Les salariés d’un comité d’entreprise ne bénéficient pas forcément des avantages du CE. À l’intérieur de ces entreprises, la lutte des classes existe : il y a des syndicats, des institutions représentatives du personnel.
Le mouvement associatif est pourtant très peu syndiqué…
Dans le monde associatif, c’est plus compliqué. D’abord parce qu’une association est contrainte par ses recettes. Ensuite parce qu’une partie des dirigeants du monde associatif estiment – leurs structures agissant pour le bien commun – que les salariés doivent prendre une part de la souffrance de leur public. Du coup, on vit parfois dans une certaine économie de la misère : « Ne vous attendez pas à être bien payés », répète-t-on aux salariés. L’institutionnalisation des associations par les pouvoirs publics pèse aussi sur la gestion des ressources humaines. La contractualisation par appel à projets aggrave le phénomène et favorise le « moins-disant » social. Trop d’associations dépendent de la commande publique. C’est dangereux. Il suffit que le maire change et une association est obligée de se séparer brutalement d’une partie de ses salariés, sans avoir les moyens de mettre en place un plan social. Tout cela accroît la précarité. En l’absence de réserves ou de fonds de roulement, la sortie de crise est souvent catastrophique.
L’économie sociale ne peut-elle survivre qu’en marge du secteur concurrentiel ou peut-elle incarner une réelle alternative ?
Il existe une économie sociale de transformation et une économie sociale conservatrice à l’abri de ses statuts, comme certaines coopératives agricoles ou les coopératives de la grande distribution, tel le groupe Leclerc (une coopérative de commerçants) : des regroupements de patrons qui peuvent adopter le même comportement prédateur que certaines multinationales. L’oligarchie financière ne veut pas de l’économie sociale. Laisser se développer des entreprises fondées sur autre chose que la recherche du profit maximum des actionnaires n’est pas envisageable. En Allemagne, le tissu de PME subsiste pour l’instant grâce aux règles anciennes du compromis social. Si l’économie sociale se développait trop, le modèle du management unique – où le travail est la plaie et où tout retour sur investissement à moins de deux chiffres est jugé minable – serait remis en cause. Et le système des financiers serait vicié. Pour le patronat comme pour certains politiques, l’idée d’un pluralisme économique est donc intolérable. L’économie sociale est donc acceptée seulement comme une économie subsidiaire. Elle montre que l’alternative est possible, mais n’est pas en son état actuel l’alternative elle-même.
Cette économie sociale compte également des acteurs financiers importants (Crédit agricole, groupe Caisse d’Épargne-Banque populaire, Crédit mutuel…). Sont-ils si différents que les acteurs bancaires classiques, pointés du doigt depuis le début de la crise ?
Au sein du Crédit agricole, on assiste à une certaine tension entre les hypercapitalistes de Crédit agricole SA (société anonyme) face aux élus et aux équipes qui viennent de la Fédération nationale du Crédit agricole (l’instance de réflexion, d’expression et de représentation des Caisses régionales, ndlr). Idem au Crédit mutuel ou au sein du groupe Caisse d’Épargne-Banque populaire, où l’arrivée de François Pérol il y a deux ans a tendu la situation. Le Crédit mutuel et les banques populaires se sont mis à communiquer sur leur statut d’économie sociale. Ils ont donc conscience que s’en revendiquer favorise leur implantation et la fidélité de leurs clients. Ils ne peuvent pas affirmer que leurs sociétaires occupent une place dominante sans leur donner un peu de pouvoir. Quand la Maif choisit le slogan « assureur militant », cela change la donne et infléchit nécessairement, et dans le bon sens, les pratiques. Ils ne peuvent pas rester dans la schizophrénie. Et si revendiquer les principes de l’économie sociale peut être un avantage compétitif, pourquoi s’en priver ?
1 salarié français sur 10 travaille dans l’économie sociale (2,3 millions de salariés). Pourquoi ses structures représentatives sont-elles si peu présentes dans le débat public, à l’image du Ceges (Conseil des entreprises, employeurs et groupements de l’économie sociale), invisible face au Medef ?
Au sein du collège patronal, où il se présentait pour la première fois aux élections prud’homales de 2004, l’AES, un groupement d’entreprises de l’économie sociale, réalise 9 % des voix, avec seulement trois syndicats d’employeurs et sans les grandes instances de l’économie sociale. Le Medef n’a pas apprécié. En 2008, l’AES, avec cette fois l’appui du Ceges, passe de 9 % à 19 %, et ce, sans le secteur agricole et sans les banques coopératives qui restent au Medef. Cela signifie que des entrepreneurs capitalistes ou des artisans votent en faveur des listes de l’économie sociale pour marquer leur opposition au Medef. Il serait donc légitime que les employeurs de l’ES détiennent 20 % des sièges patronaux dans tous les dispositifs paritaires dans lequel l’État est impliqué. Or, le Medef refuse obstinément et revendique le monopole de la représentation patronale.
Selon vous, l’économie sociale est-elle davantage présente dans le débat politique, en particulier à l’occasion de l’élection présidentielle ?
Quelles que soient les arrière-pensées politiques, la reconnaissance de l’économie sociale progresse. À gauche, les équipes de chaque candidat qui travaillent sur le sujet se sont renforcées. La vision que l’État devait tout régler est en train d’évoluer, y compris au Front de gauche. Même l’UMP compte un délégué à l’économie sociale, ce qui n’était pas le cas auparavant. De leur côté, les collectivités locales ont tendance à regarder plus attentivement ceux qui travaillent sur le lien social, face au démembrement des services publics. Cela les force à interroger le modèle étatique.
Quel est le rôle de Rencontres sociales dans ce contexte ?
Rencontres sociales est une boîte à outils pour susciter les coopérations entre les diverses maisons de l’économie sociale, et les secteurs du mouvement social et syndical, avec une vision d’une économie sociale transformatrice de la société. Pour prendre deux exemples, nous travaillons sur de nouvelles formes de restauration collective sociale, à partir d’un travail avec la CCAS (Caisse centrale d’activités sociales des industries électriques et gazières) et avec un certain nombre d’acteurs qui cherchent à échapper au cartel constitué par les grandes sociétés financières qui œuvrent dans le secteur de la restauration collective (Sodexo, Elior et Compass). Avec la mutuelle Chorum, nous travaillons à mettre en place des activités de loisirs et de vacances sociales et culturelles pour les salariés d’associations, de TPE et de PME qui ne bénéficient pas de comités d’entreprise.
Ivan du Roy
Notes
[1] Délégué général de la coopérative Rencontres sociales.
[2] La Fédération parisienne des sociétés ouvrières constitue le noyau de la future CGT, créée en 1895.

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