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mardi 13 mars 2012

Après la Chaine Humaine contre le nucléaire de ce dimanche...


La société nippone paie la fracture
Opacité nucléaire, classe politique discréditée, la catastrophe a mis en lumière tabous et tensions.
 «Rupture»,«fêlure» et «tension» : les mots reviennent en boucle dans les commentaires et les conversations. Mais ils n’ont rien à voir avec la tectonique des plaques qui ravage le Japon depuis des siècles. Ce sont les récents soubresauts au sein de la société nippone qu’ils désignent. Car depuis le 11 mars 2011, celle-ci est parcourue de lignes de fracture comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale quand le Japon a été défait par le feu nucléaire à Hiroshima et Nagasaki. «Cette tragédie a fait surgir la différence entre les régions, les générations et les vécus de l’histoire japonaise, note la traductrice et poétesse Ryoko Sekiguchi. Car le Japon n’existe pas, il est multiple.»
Au lendemain du 11 mars, face à l’ampleur des défis à relever, on a cru que la triple catastrophe - séisme, tsunami, accident nucléaire - allait ressouder la nation. «Dans les faits, on n’a pas assisté à une grande commotion nationale avec les sinistrés, et pas seulement en raison de la peur de la radioactivité», remarque Jean-Marie Bouissou, directeur de recherche à Sciences-Po. Spécialiste du Japon contemporain, il dresse le portrait d’un archipel aujourd’hui touché par une «grave crise de délégitimation».
Celle-ci frappe d’abord de plein fouet toute la classe politique. Déjà fort peu appréciée, elle est accusée d’avoir menti sur l’ampleur de la catastrophe et critiqué pour la gestion chaotique de l’après-tsunami. Durant cette année cruciale, le pays s’est offert le luxe d’une énième crise politique qui a conduit à la démission du Premier ministre, le septième en cinq ans ! «Cette fois, la confiance des Japonais dans leurs gouvernements est cassée, analyse Jean-François Sabouret, du CNRS. Il va falloir un sacré New Deal pour la retrouver.»
Energivore. Plus nouveau, la défiance s’applique aux grandes entreprises et surtout aux compagnies d’électricité, comme Tepco qui gère le site de Fukushima Daichi. «Tepco, c’était un Etat dans l’Etat avec une puissance financière extraordinaire, rappelle Jean-François Sabouret. Tout le monde en croquait.» Les politiques, comme les médias traditionnels qui profitaient des campagnes de pub de l’électricien. Les groupes de presse sont aussi la cible de critiques pour leur déni de la réalité et leur trop grande proximité avec les cercles du pouvoir et le lobby du nucléaire. Les réseaux sociaux se sont chargés de véhiculer une autre information. «Les Japonais ont commencé à comprendre qu’il leur faudra du temps et de l’énergie pour obtenir la vérité sur le mythe d’un Japon nucléaire 100% sûr», souligne le journaliste indépendant Masuo Yokota. Car ce discours maintes fois rabâché avant le 11 mars a volé en éclats.
Sur ce sujet également, la parole s’est libérée. Un mouvement antinucléaire, en partie porté par le Prix Nobel de littérature Kenzaburo Oê avant la catastrophe, a repris de la vigueur bien qu’il soit peu relayé par les médias. L’auteur de Notes d’Hiroshima s’est joint au mouvement Sayonara genpatsu («au revoir le nucléaire») promu par le journaliste et écrivain Satoshi Kamata. Leurs défilés et manifestations ont mis en lumière les paradoxes d’un Japon énergivore. Car le pays, victime de l’atome en 1945, était devenu le troisième producteur d’énergie nucléaire de la planète.
Depuis Fukushima, seules 2 des 54 centrales fonctionnent encore. «Dans les semaines qui viennent, ces deux réacteurs vont être stoppés pour des travaux d’entretien. Qui prendra la lourde responsabilité politique d’en redémarrer de nouveaux face à des populations locales vent debout contre les centrales ?» interroge Jean-Marie Bouissou. Fukushima Daichi fournissait l’électricité du grand Tokyo. Cette relation de dépendance a fait ressurgir les différences entre régions. Elle illustre l’écart grandissant entre deux Japon : «Celui de l’élite, des villes, des gens de Tokyo, et celui des petites gens qui rament», juge Jean-François Sabouret. Qui rappelle que les «habitants du Tohoku [la région de Fukushima, ndlr], des taiseux, ont été les sous-traitants bon marché du grand Tokyo».
Testaments. La traductrice Ryoko Sekiguchi se désole du mépris et des railleries de certains Tokyoïtes sur les accents des habitants du nord-est victimes de la catastrophe. Lors de ses allers-retours entre Paris et Tokyo, elle a noté des signes contradictoires chez ses concitoyens : une frénésie de consommation qui n’a rien d’un «effort patriotique mais tout d’une peur du lendemain», la multiplication d’ouvrages sur de probables événements apocalyptiques («big one» à Tokyo, réveil volcanique du mont Fuji) et la rédaction de testaments. Parmi ces funestes présages, elle relève des micro-actions de solidarité, des créations d’ONG pour venir en aide aux sinistrés, pour porter un débat sur l’avenir du pays. Manière de dire que les Japonais ne sont pas ontologiquement fatalistes et résignés.
ARNAUD VAULERIN

Un an après, «comment revivre ?»
Le Japon n’en finit pas de s’interroger sur les causes profondes d’une catastrophe qui a réveillé ses vieux démons.
La terre ne bouge plus et la neige a recouvert les stigmates de son linceul blanc. Comme pour apaiser la mémoire à vif des êtres encore meurtris. Mais ici, personne n’a oublié. Chacun se souvient de ces instants de terreur, il y a presqu’un an, le 11 mars 2011. Une quinzaine, une vingtaine de minutes tout au plus après le puissant séisme de magnitude 9 qui fit danser la terre à 14 h 46. Une journée tragique dont les Japonais parlent aujourd’hui, émus, comme de leur 11 Septembre.
La mer, alors, a déboulé. Une masse folle, un mur d’eau, haut ici et là de 7, 14, 20 ou 40 mètres, a tout détruit. Son eau noire, graissée de fioul lourd, parfois en feu après avoir rasé les installations portuaires, a blessé, noyé, tué en masse. Elle a charrié les êtres, concassé les corps, déchiré des familles, anéanti la nature, les animaux, la vie. Elle a brisé des usines, rasé des champs, avalé des terres, cassé des villes entières, avant de se retirer et de laisser les côtes dans l’état de désolation la plus extrême.
Ambiance Lunaire. Aujourd’hui, sur des centaines de kilomètres de bord de mer et terres mortuaires en sommeil, gelées par la rigueur de l’hiver, c’est une impression étrange. L’excès de calme suscite presque le malaise. Le bord de mer de Minamisoma, à 20 kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima Daichi, est un gigantesque no man’s land parsemé de cratères d’eau boueuse, de dalles de béton brisées, de poteaux électriques tordus par l’effet de «blast». Les tonnes de gravats qui gisaient cet été ont été déblayées. Ambiance lunaire. Pas une âme à la ronde.
La digue qui protégeaient la côte, haute de 8 mètres et pulvérisée en de multiples endroits, dit tout du choc. «Regardez, ma maison était par là !» Manami Shiga, 17 ans, est scolarisée au lycée de Minamisoma, sauvé du désastre, car loin de la côte. Entourée de ses copains et copines, elle montre sur son téléphone portable la photo couleur de ce que fut son district, en bord de mer. Elle sourit. Puis, désigne un autre cliché du même quartier. «Regardez, c’est la même photo, après !» Son regard s’hypnotise sur ce qu’il reste des maisons. Elle ne dit plus rien. Ses amis non plus. Même silence que sur la côte, quelques instants plus tôt. «Le tsunami a été une épreuve très difficile dans le lycée, explique Nobutsune Sato, le numéro 2 de l’établissement scolaire. Les élèves étaient en cours quand il a tout dévasté. De nombreux lycéens ont perdu leurs parents. Certains ne l’ont toujours pas accepté.»
Plus au nord, le contraste est saisissant entre le dynamisme ressuscité de Sendai, la capitale de la préfecture de Miyagi forte de son million d’habitants - où affluent des familles sinistrées en quête d’un toit -, et plus au sud de la ville, des carrés de milliers d’habitations vides. En haut, des arcades commerciales noires de monde, des gares et salles de jeux bondées, l’habituel brouhaha des villes nippones joyeusement animées, la jeunesse insouciante, les estaminets pleins, le soir, de salarymen buvant jusqu’à l’ivresse… En bas, le vide, le recueillement d’êtres esseulés priant dans le froid, dans des déserts de ruines, au milieu d’anciennes zones pavillonnaires où l’on croit que des pluies d’obus se sont abattues.
C’est le cas à Gamou, ex-district dont n’a survécu que le nom et quelques centaines d’habitants. Parmi eux, il y a cette dame tétanisée. C’est la patronne du konbini Mini-Stop (supérette ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre) de Sendai Shinko, près d’Atarachi Minato (le nouveau port). Elle bégaie, gênée. Les yeux embués. «Il y a eu l’alerte. J’ai sauté dans ma voiture. On s’est retrouvé coincé dans des embouteillages. Je m’en suis sortie in extremis. Je veux tout oublier. Je n’ai jamais revu les images.Je ne veux plus les voir. C’est impossible.» Comme un appel à l’aide, elle pointe du doigt un de ses employés. «Lui, il a perdu un parent.» Lui, c’est Tatsuya Suenaga, 23 ans, tout juste diplômé. Il raconte. «Ce jour-là, j’étais chez moi avec mes parents, ma sœur, mon grand-père. On a réussi à fuir. Mais pas notre grand-père. Le tsunami l’a emporté. Il avait 82 ans. La vague est montée si haut que je ne distinguais plus le toit de notre maison.» Le regard du jeune homme s’est éteint depuis. Il culpabilise. «Je n’ai pas réussi à sauver mon grand-père», répète-t-il par vagues. L’avenir ? «Je ne sais pas.» Des rêves ? «Je n’en ai pas…» Comme des dizaines, des centaines de milliers de gens sur la côte, Tatsuya reste plongé dans un trauma inextricable.
«chats errants». Non loin, à quelques kilomètres, c’est Shichigahama, un village d’artisans et de pêcheurs connu pour ses cultures d’algues, et décimé il y a un an, tout comme le petit port de la baie de Yoshida Hanabuchihama. Ici, la terre se fissure encore à quelques endroits, sous l’effet des répliques sismiques certains jours incessantes. Derrière le port, où tout est si proche de la mer et si plat, presqu’aucune maison n’a tenu. Un an après, des bateaux de pêche sont encore retournés à l’intérieur des terres. Voire juchés sur des toits. L’impact a été si violent que les hommes des Jieitai (l’armée japonaise) ont mis des mois à recouvrer les corps. Et on compte encore des disparus. «Nous en avons eu des tsunamis dans ce coin, dans les années 30 et 60, se rappelle Takakura-san, pêcheur et survivant. Mais celui-ci, quand je l’ai vu venir, j’étais sûr que je ne lui survivrai pas», raconte le vieil homme, dont une nièce a péri dans la catastrophe. Et d’ajouter, les yeux rivés sur le port anéanti : «La pêche pour moi, c’est fini… Mieux aurait valu y passer !»
Plus au nord, difficile d’atteindre le port d’Ishinomaki et rejoindre ses 160 000 habitants. Les routes et voies d’accès sont engorgées de camions traçant à toute vitesse, s’en allant décharger leurs tonnes de gravats. Dans un coin du port, un tas de débris atteint au moins 20 mètres. Il y en a d’autres par ici, cachés par d’immenses bâches blanches ou bleues. Odeurs pestilentielles. Cauchemar écologique. On aperçoit deux bûcherons de l’autre. «D’habitude, on coupe du bois en forêt et on croise des ours, des renards, des sangliers. Depuis deux mois, on coupe les arbres déracinés par le tsunami et on ne croise que des chats errants. On a fait toute la côte. Le pire, c’était Rikuzentakata. Mais si vous continuez tout droit sur cette route, Onagawa, c’est pas beau non plus», lâchent Shin Takakura et son compère, Mitsutaka Umemoto.
Brume. «Pas beau non plus» le bord de mer d’Ishinomaki, estampillé «Ground Zero» du tsunami avec le port de Kesennuma, à 50 km au nord. Un an après, les voitures cassées charriées par les flots ont été érigées en pyramides face au lycée d’Ishinomaki, qui a perdu 74 de ses élèves et 10 professeurs. Un réservoir gît couché au centre d’une route. Mais la ville revient à la vie, peu à peu. Dévastée, l’usine Japan Paper, qui fabrique le papier destiné à la presse, a rouvert. Ses 2 000 ouvriers ont de nouveau un boulot. «Les gens sont encore choqués, témoigne Hosonome-san, un responsable municipal d’Ishinomaki. Beaucoup viennent nous voir à la mairie. Ils n’ont pas de travail, plus de toit, plus de famille. On leur apporte un soutien psychologique. Mais on ne peut faire plus. Nous n’en avons pas encore les moyens.» La manne de l’Etat, qui se compte en milliards d’euros, allouée à la revitalisation de la côte arrive au compte-gouttes. «Trop lentement», dit l’employé municipal.
Sur la route menant à Iwate, Minamisanriku (17 000 habitants avant le tsunami) surgit au milieu de la brume. Ville fantôme. Non pas en reconstruction mais en destruction. Le centre-ville a été rasé. «Il n’y a plus que 5 000 familles ici», explique Tomohiro Sasaki, mémoire vivante, ex-photographe de la ville qui avait publié, cet été, ses clichés «avant-après» dans Libération. Sa femme a ouvert une boutique de souvenirs dans le shotengai (artère commerçante). C’est un préfabriqué monté comme un Lego, à 7 kilomètres de la mer cette fois. «On y croit, on tient bon ! Minamisanriku va s’en sortir !» clame Tomohiro.
«S’en sortir»… Parvenus à Rikuzentakata et bientôt à Ofunato, là où le tsunami a atteint par endroits 40 mètres, les survivants se demandent plutôt «comment revivre». Rikuzentakata comptait 24 000 âmes avant le 11 mars. Le tsunami a rayé la ville de la carte. Elle a été soufflée. Comme atomisée. Dans des baraquements en préfabriqué, une cantine a été improvisée. On a regroupé des personnes âgées pour le déjeuner. Soupe de miso, poisson et riz au menu. Les regards semblent perdus. Comme ces bords de mer sur des centaines de kilomètres. ( Photos C.V.:  Chaine humaine dans la Drôme)
MICHEL TEMMAN Envoyé spécial dans la région de Tohoku

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