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dimanche 4 mars 2012

Les grandes manipulations scientifiques du Communisme...

L’affaire Lyssenko, ou la pseudo-science au pouvoir

« Comment peut-on parler de science sans citer une seule fois le nom du plus grand savant de notre temps, du premier savant d’un type nouveau, le nom du grand Staline ? »
Victor Joannès, responsable communiste, en 19481

« On pourra nous mener au bûcher, on pourra nous brûler vifs, mais on ne pourra pas nous faire renoncer à nos convictions. (…) renoncer à un fait simplement parce que quelqu’un de haut placé le désire, non, c’est impossible. »
N. I. Vavilov, éminent généticien soviétique, mars 19392.

L’affaire Lyssenko appelle sous la plume de ceux qui se penchent sur elle les superlatifs les plus réprobateurs : « l’épisode le plus étrange et le plus navrant de toute l’histoire de la Science  », selon le prix Nobel de biologie Jacques Monod3 ; « une régression, unique dans les annales de la science contemporaine  », pour les journalistes Joël et Dan Kotek4 ; et rien moins que la « plus grande aberration rencontrée dans l’histoire des sciences de tous les temps  »5, si l’on veut bien suivre le généticien Denis Buican.6
Il est vrai que 60 ans plus tard, celui qui parcourt cette histoire est rapidement frappé par le caractère délirant de certains aspects du lyssenkisme. Comment l’URSS, qui proclamait par ailleurs son adhésion à une vision scientifique du monde, a-t-elle pu confier son agronomie à un charlatan, tout en le laissant détruire un pan entier de la recherche soviétique, celui de la génétique, pourtant jusque-là plutôt bien portant dans ce pays ?

La génétique, science « réactionnaire » ?

Pour ce qui est de la France, l’affaire Lyssenko commence le 26 août 1948, dans le journal communiste Les Lettres françaises, avec un reportage qui se fait l’écho de la session d’août de l’Académie Lénine des sciences agronomiques. Son titre : « Un grand événement scientifique : l’hérédité n’est pas commandée par de mystérieux facteurs »…
Science fausse et fausse science
Ce texte de Jean Rostand, paru en 1958, contient la première étude critique consacrée à l’Affaire. L’essai traite notamment de l’affaire des Rayons N, de la radiesthésie, des médiums (domaine appelé à l’époque la « métapsychie »), et pour finir de la « biologie mitchourinienne ».
Pourtant, aucune authentique découverte n’est à signaler, et le seul fait avéré est alors le suivant : la session qui a débuté le 31 juillet 1948 a vu la prise de pouvoir par l’agronome T.D. Lyssenko, qui proclame la déchéance de la génétique et l’avènement de ses propres conceptions en matière d’hérédité. Son rapport vise à « bannir le hasard de la biologie » et se situe lui-même dans la perspective suivante : « Dans la période post-darwinienne, la plus grande partie des biologistes du monde, au lieu de continuer à développer la doctrine de Darwin, firent tout pour avilir le darwinisme, pour en étouffer la base scientifique. L’incarnation la plus éclatante de cette dégradation est donnée par Weismann, Mendel, Morgan, fondateurs de la génétique réactionnaire contemporaine »7.
La génétique, qui est ici qualifiée de « réactionnaire », est alors une science jeune8, qui, en quelques dizaines d’années, a mis à jour les mécanismes de l’hérédité en s’appuyant sur l’idée de transmission des caractères par le biais des gènes qui en seraient le support matériel exclusif. Et ceux qui sont accusés ici de dégrader le darwinisme sont les principaux savants ayant contribué à la percée de la génétique :
Le moine autrichien Johann Gregor Mendel est considéré comme le père de la génétique pour avoir publié en 1865 ses travaux, passés inaperçus à l’époque, sur les lois de l’origine et de la formation des hybrides, à partir de ses expériences avec des variétés de pois. Il constate, en étudiant les descendances d’hybrides, l’existence de lois statistiques régissant la distribution des caractères concernés par le croisement.
August Weismann est un biologiste allemand de la fin du XIXe siècle, qui a réfuté l’hypothèse très répandue à l’époque de la transmission héréditaire des caractères acquis, par exemple en coupant la queue à des générations de souris… et en constatant que les souris continuaient à naître avec une queue longue ! Il a également émis l’hypothèse d’un « plasma germinatif » qui contiendrait l’information héréditaire.

Quant au généticien états-unien Thomas Hunt Morgan, il a pour sa part reçu le prix Nobel de médecine en 1933 pour avoir montré que les chromosomes étaient les supports physiques de l’information héréditaire. Ses expériences sur les fameuses mouches « drosophiles » du vinaigre ont confirmé l’application des lois de Mendel chez les animaux, en étudiant les descendances de mouches aux yeux blancs ou rouges croisées entre elles.
Ce sont toutes ces avancées que le lyssenkisme s’efforce de balayer. Et, dans le contexte du début de la guerre froide, alors que Jdanov a lancé la bataille idéologique sur le terrain culturel, le lyssenkisme est alors présenté par ses partisans comme l’exemple réalisé d’une « science prolétarienne » unifiant la théorie et la pratique et permettant par là-même de dépasser les horizons d’une « science bourgeoise » qui serait, elle, l’expression forcément limitative de l’idéologie d’une classe sociale aux abois… Au-delà de ces querelles purement idéologiques, Lyssenko annonce que sa compréhension nouvelle des mécanismes de l’hérédité va permettre de véritables révolutions agronomiques susceptibles de faire fortement progresser les rendements de l’agriculture soviétique collectivisée. Et c’est bien dans le domaine de l’agronomie, et non celui de la génétique, que le lyssenkisme a commencé sa singulière aventure…

L’ascension de Lyssenko

Lyssenko, l’agronome, se fait connaître en 1926-1927 par des expériences sur des cultures hivernales de plantes comme le pois. Il acquiert une certaine réputation avec sa technique de la « vernalisation » : il « découvre » que les variétés hivernales semées au printemps plutôt qu’en automne peuvent produire à condition d’avoir été préalablement exposées au froid. La vernalisation consistait à humidifier sous abri les semences de blé ou d’autres céréales, en les remuant sans cesse et en les maintenant dans des conditions déterminées. Les graines étaient semées alors qu’elles avaient déjà commencé à gonfler. Les fortes pertes de grains en Ukraine lors de l’hiver 1927-1928 provoquent un intérêt croissant pour la vernalisation, et Lyssenko reçoit le soutien du commissaire à l’agriculture Yakovlev, mais sa communication au Congrès d’agronomie de 1929 ne convainc pas les scientifiques réunis à cette occasion.9
Lyssenko se présente alors comme le continuateur des expérimentations du botaniste Ivan Vladimirovitch Mitchourine, qui a développé une pratique de croisements de variétés fondés notamment sur des greffes, et prétend avoir ainsi créé par « hybridation végétative » des centaines de nouvelles variétés. Mitchourine est parvenu dans les années 1920 à obtenir un certain soutien de la part du gouvernement soviétique, qui était initialement très sceptique, mais il est resté jusqu’à sa mort en 1935 largement déconnecté de la communauté scientifique, ce qui ne l’a pas empêché de devenir une sorte de héros populaire de la botanique, le prototype du nouveau scientifique intéressé par la pratique plus que la théorie. Lyssenko et Mitchourine ne sont alors que des pratiquants d’une agronomie plus ou moins fantaisiste prospérant en marge de l’agronomie scientifique privilégiée par le régime soviétique. Celle-ci est incarnée par la figure du généticien et botaniste Nikolai Ivanovitch Vavilov, président de l’Académie Lénine des Sciences agronomiques et membre du Comité Central. Il avait entamé un programme unique au monde d’importation systématique de variétés de plantes venues d’autres parties de la planète, et il avait initié l’étude de ces variétés dans le but d’améliorer les espèces.
Les attaques de Lyssenko contre Vavilov se développent à partir de 1931. Lyssenko estime que les progrès des rendements permis par les méthodes d’amélioration variétale de l’école de Vavilov sont beaucoup trop lents, et il affirme aux autorités soviétiques que l’application de ses propres méthodes à grande échelle permettrait d’atteindre les objectifs fixés pour le court terme, et ce d’une manière plus adaptée à la nouvelle agriculture socialisée. Les lyssenkistes remettent alors en cause les principes mêmes de la recherche scientifique incarnée par Vavilov : ils expliquent qu’il est absurde d’expérimenter dans des stations agronomiques spécifiques avant de généraliser l’usage des variétés obtenues, et que chaque paysan doit lui-même devenir un expérimentateur, la pratique primant sur les canons de la recherche scientifique10. Ainsi, au cours des années 1930, Lyssenko et ses disciples s’immiscent dans des questions d’ordre scientifique et en viennent à attaquer de front la génétique, dont les fondamentaux infirment leur propre approche de l’amélioration variétale, et notamment de l’hérédité des caractères acquis par les plantes au moyen de greffes.
En 1936 et 1939, lors de deux conférences sur le sujet, la majorité des scientifiques se taisent ou essaient d’apaiser Lyssenko par peur des représailles à l’encontre des « spécialistes bourgeois ». La discussion, engagée sur le terrain de la primauté du critère de la pratique, en reste au pur niveau de la théorie, sans référence précise à des données expérimentales11. La répression commence contre certains généticiens, dans un contexte de terreur généralisée à l’encontre de tous ceux qui sont accusés d’être des ennemis de l’intérieur. Le VIIe congrès International de génétique, qui aurait dû avoir lieu à Moscou en 1937, ne peut s’y tenir et se déroule finalement en 1939 en Écosse. Le généticien états-unien Hermann J. Muller, futur prix Nobel et sympathisant communiste installé au pays des Soviets, quitte l’URSS en 1937. Vavilov est arrêté et emprisonné en 1940, et meurt dans son cachot en 1943. Après son triomphe de 1948, Lyssenko est à la tête de l’agronomie et de la biologie soviétique, qu’il gère de manière dictatoriale en l’expurgeant de ses adversaires.
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Numéro 1, en janvier 1952, du bulletin de l’Association des amis de Mitchourine, principal artisan en France du « lyssenkisme expérimental ». Créée en 1950 et principalement animée par Claude-Charles Mathon, l’association a revendiqué au faîte de sa gloire 5 000 expérimentateurs, et a poursuivi ses activités jusqu’en 1963.

L’écho international de l’affaire

La révélation internationale du coup de force de Lyssenko a été une sorte de coup de tonnerre dans un ciel serein. En effet, la situation précaire de la génétique en URSS après 1939 était mal connue dans le reste du monde, comme le montre la perception du cas Vavilov. Les biologistes ayant des sympathies communistes, comme par exemple l’anglais J.B.S. Haldane, tendent alors à considérer les rares informations ayant filtré à propos de la mort de Vavilov comme de la propagande antisoviétique, et ils continuent à croire à la liberté de discussion scientifique en URSS12. Le biologiste français Pierre-Paul Grassé raconte comment, lors d’un voyage en URSS en juin 1945, les participants cherchent à rencontrer Vavilov et s’étonnent des réponses évasives et embarrassées de leurs interlocuteurs, jusqu’à ce qu’ils finissent par découvrir la vérité13.
La France est le pays où l’écho de l’affaire a été le plus profond, en partie du fait du poids du Parti Communiste dans l’immédiat après-guerre. La polémique enfle immédiatement après la parution de l’article des Lettres Françaises. Elle est relancée notamment en octobre 1948 lorsque le poète stalinien Louis Aragon s’improvise spécialiste en biologie en consacrant un numéro de sa revue Europe à la promotion des thèses lyssenkistes144. L’historien des sciences Stéphane Tirard, auquel les analyses qui suivent sont empruntées, a dressé la liste des différentes contributions parues à ce sujet entre septembre et décembre 1948, et constate que le débat a agité avant tout la presse de gauche. Il examine ensuite en détail les réactions d’un certain nombre de biologistes, les prises de position de trois d’entre eux étant très significatives15 :
Jean Rostand16 fait part de ses doutes sur la réalité des annonces faites par Lyssenko et prévient : « Ne tombons pas dans le ridicule de politiser les chromosomes ». Il tente de maintenir la discussion sur le strict plan scientifique, et met en quelque sorte les lyssenkistes au défi de produire les preuves de ce qu’ils avancent. Il esquisse un parallèle avec un lamarckisme alors en déclin, suggérant que le lyssenkisme allait probablement connaître le même sort17.
Jacques Monod, qui est chercheur à l’Institut Pasteur et proche du Parti Communiste, réagit lui de manière plus radicale. Il ne fait aucun doute pour lui que les arguments de Lyssenko sont mensongers, et il s’interroge plutôt pour savoir comment celui-ci a pu l’emporter. Il place le débat sur le terrain de la liberté d’expression en URSS et affirme ainsi sa rupture avec le PCF : « En définitive ce qui ressort le plus clairement de cette grotesque et lamentable affaire, c’est la mortelle déchéance dans laquelle est tombée en URSS la pensée socialiste  »18.
Marcel Prenant est dans une position extrêmement délicate. Personnalité prestigieuse, il est membre du Comité Central du Parti Communiste, dont il est le biologiste le plus connu. Le titre que la rédaction de Combat19 donne à sa contribution traduit son embarras : « Selon le Pr Marcel Prenant Lyssenko respecte les bases de la génétique classique mais estime avoir obtenu la fixation héréditaire de caractères acquis  ». Des années plus tard, Marcel Prenant commentait : « J’ai écrit des bêtises, je le sais très bien, j’essayais de trouver une troisième voie. Je me disais, c’est pas possible que des gens qui ont la qualité d’esprit, de réflexion et de matérialisme qu’ont les soviétiques… car même du point de vue matérialiste et dialectique, l’histoire de Lyssenko est une folie (…). Il n’y avait aucune découverte, il n’y avait rien, rien. Pendant quelques temps, j’ai cherché une voie… Je me disais où est la faille ? J’ai essayé de faire avaler ça de toutes les façons.  »20 L’URSS jouit alors d’un grand prestige, et, dans les rangs communistes, il est impossible d’imaginer qu’il s’agit là d’une fraude. Marcel Prenant, de plus en plus conscient que c’en est une, est définitivement convaincu après sa rencontre avec Lyssenko en novembre 1949, et refuse de prendre la tête de la croisade lyssenkiste que veut mener en France le PCF. Il est donc exclu du Comité Central en 1950.
Un témoignage du généticien Philippe L’Héritier
On peut penser que dans ce récit le « type » en question est Claude-Charles Mathon, qui avait demandé à Marcel Prenant d’utiliser les salles de TP de la Sorbonne pour ses expérimentations. Georges Teissier, cité dans cet extrait, était zoologiste et biologiste et a été directeur du CNRS de 1946 à 1950. Membre du Parti Communiste, il appartenait également au comité de direction de la revue communiste La Pensée.
« Cette affaire Lyssenko avait mis Teissier dans l’embarras à cause de ses opinions politiques. Mais il n’y a jamais cru, pas plus que Marcel Prenant. Je me souviens d’une conférence à la Sorbonne où un type nous prêchait le “lyssenkisme” et argumentait en disant qu’en France si quelqu’un s’avisait de défendre des théories non mendéliennes, sa carrière était fichue. J’avais dû intervenir. “Ne charriez pas ! En 1937 Teissier et moi, c’est ce qu’on a fait avec notre sensibilité de la drosophile au gaz carbonique… et aujourd’hui, nous sommes tous les deux professeurs à la Sorbonne !”. Monod dans son coin se tordait de rire »
Cité dans Jean-François Picard, La République des savants : la recherche française et le CNRS 1939 – 1989, Paris, Flammarion, 1990, p. 139.
Si l’adhésion au lyssenkisme reste ainsi marginale parmi les biologistes, fussent-ils par ailleurs communistes, celui-ci n’est souvent pas dénoncé de front, comme d’autres fraudes scientifiques ont pu l’être21 – par exemple du fait de leur incompatibilité avec des théories existantes et déjà solidement éprouvées, comme c’était le cas pour la génétique. Il vaut la peine ici de se pencher un instant sur l’attitude adoptée à l’époque par les organisations rationalistes qui se fixaient pour tâche de défendre et de promouvoir l’esprit et la culture scientifiques. Si l’on se penche sur les prises de position publiques22, on constate que c’est surtout un silence gêné qui prévaut. L’Union Rationaliste, par exemple n’évoque jamais l’affaire dans sa publication principale, Les cahiers rationalistes. Et il faut même attendre le numéro 183 de décembre 1959 pour que soit évoquée la question de la génétique, avec un article intitulé « Problèmes de l’hérédité », qui est consacré en fait aux aptitudes intellectuelles et pas du tout aux questions posées par le lyssenkisme. Cette stratégie d’évitement s’explique aisément par la proximité de l’association d’avec le Parti Communiste : son président est alors Frédéric Joliot-Curie, et des personnalités comme Marcel Prenant ou son collègue et camarade Georges Teissier font partie du comité d’animation. Même si l’on s’éloigne de la galaxie communiste et que l’on va regarder du côté de la collection de La Raison Militante, organe de la « Fédération Nationale des Libres Penseurs de France et de l’Union Française », on trouve très peu de choses. La première mention de l’affaire Lyssenko se produit seulement dans le numéro 17 bis de février 1949, à travers un bref compte rendu du numéro spécial de la revue Europe, qui est qualifié d’«  extrêmement intéressant ». Une chronique, signée Paul-Henri Paillou paraît dans le numéro 19 d’avril 1949, sous le titre « Le coup de tonnerre de Lyssenko ». Là aussi, le ton est très prudent, bien loin des prises de position tranchées de Rostand ou Monod : « Il est trop tôt pour se prononcer en faveur de Mendel ou de Lyssenko. Il convient d’attendre les vérifications pour savoir si l’expérience du savant soviétique a été correctement conduite. Quelles que soient nos convictions philosophiques, nous n’avons pas le droit en la matière de prendre parti contre Mendel parce qu’il était moine ni contre Lyssenko parce qu’il est communiste. Devant un si grave problème scientifique, l’homme doit imposer silence à ses passions. » L’article, qui est pour moitié consacré à rappeler l’abandon des théories de Lamarck, se termine par une évocation de l’invalidation des expériences d’hybridation de végétaux par la greffe menées par le français Daniel à la fin du XIXe siècle, expériences qui semblaient déjà à l’époque confirmer l’héritabilité des caractères acquis. On peut y voir une prise de distance d’avec le lyssenkisme, mais cet article reste isolé, et le problème n’est plus soulevé de toute la décennie suivante, même lorsque le PCF promeut activement la théorie des « deux sciences ». Là aussi, la raison de ce silence est d’ordre politique, les Libres Penseurs prônant alors l’unité de la famille républicaine face au danger incarné par l’Église et le MRP, et refusant donc de s’associer à tout ce qu’ils considèrent comme des campagnes anticommunistes23.
L’interprétation du lyssenkisme aujourd’hui
Aujourd’hui, le lyssenkisme est l’objet de différentes interprétations. Jaurès Medvedev, auteur de la première (excellente) synthèse sur le sujet, le présente comme un dommage collatéral du stalinisme et du « culte de la personnalité »24. Dominique Lecourt, quelques années plus tard, parle lui surtout du produit de la déformation du marxisme que représenterait le « Diamat », philosophie officielle des pays dominés par une bureaucratie stalinienne25. L’école historiographique la plus active en France depuis près de 30 ans, autour d’historiens comme Denis Buican ou Cédric Grimoult, y voit l’incarnation à la fois d’une forme de néolamarckisme tardif et du matérialisme dialectique marxiste26. À cette dernière interprétation, très idéologique, nous préférerons celle qui nous semble de loin la plus rigoureuse et compatible avec l’ensemble des faits, celle du socio-historien étatsunien David Joravsky27. Son ouvrage, déjà ancien, mais malheureusement jamais traduit en français, décrit l’aventure lyssenkiste comme celle d’une pure pseudo-science – ce que n’est pas le néolamarckisme, aussi réfuté ait-il été par ailleurs –, qui a pu profiter d’un contexte historique et social très particulier pour s’imposer, en écrasant pour un temps les authentiques scientifiques soviétiques, que ceux-ci aient été des « spécialistes bourgeois » mais aussi, bien souvent, d’authentiques militants bolchéviques de longue date. Même si l’« affaire » a pu prendre cette tournure en Occident, le lyssenkisme n’oppose pas fondamentalement le marxisme à ses adversaires idéologiques. Il oppose plus prosaïquement la pseudo-science à la science, et, sous la contrainte du réel, c’est cette dernière qui l’a emporté, en URSS comme ailleurs.
Le prestige du lyssenkisme est toutefois de courte durée. En 1950, Staline lui-même condamne la distinction science bourgeoise/science prolétarienne (dans un opuscule sur la linguistique), ce qui coupe court à la campagne du PCF. Lyssenko est ponctuellement remis en cause dans les années 1950 après la mort de Staline, et est définitivement limogé en 1965 après la chute de Khrouchtchev, son dernier protecteur. La génétique a alors triomphé et l’URSS est réintégrée dans ce secteur de la recherche scientifique à l’échelle internationale.
 Yann Kindo

1 Cité par Jean-Toussaint Desanti dans Dominique Desanti, Les staliniens, Paris, Fayard/Marabout, 1975, p. 362.
2 Communication à l’Institut pansoviétique de culture des plantes.
3 Préface au livre de Jaurès Medvedev (1971), p. 7.
4 Joel et Dan Kotek, L’affaire Lyssenko, Bruxelles, Ed. Complexes, 1986, p. 10.
5 Denis Buican, Lyssenko et le lyssenkisme, PUF, Que-sais-je ?, 1988.
6 Denis Buican, L’éternel retour de Lyssenko, Paris, Ed Copernic, 1978, p. 7.
7 T.D. Lyssenko, Agrobiologie, Éd en Langues Étrangères, Moscou, 1953, p. 532, cité par Denis Buican, Lyssenko et le lyssenkisme, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1988, chap. I.
8 Ce n’est qu’en 1945 qu’a été ouverte la première chaire de génétique en France, pays, il est vrai, alors particulièrement en retard dans ce domaine.
9 Jaurès Medvedev, Grandeur et chute de Lyssenko, Paris, Gallimard, 1971, p. 40-43.
10 David Joravsky, The Lyssenko affair, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1970, p. 56
11 Ibid., p. 97-109.
12 Joël et Dan Kotek, L’affaire Lyssenko, Bruxelles, Éd. Complexes, 1986, p. 117-118.
13 Pierre-Paul Grasse, La défaite de l’amour, Paris, Albin Michel, 1976, p. 76.
14 Voir par exemple son article d’ouverture au titre particulièrement mal choisi : Louis Aragon, « De la libre discussion des idées », Europe n° 33-34 (spécial Lyssenko), octobre 1948 p. 3-24.
15 Stéphane Tirard, « Les biologistes français et l’affaire Lyssenko à l’automne 1948 », Historiens et Géographes, n° 358, 1997, p. 95-106.
16 Jean Rostand est présenté par Joël et Dan Koteck p. 138 de leur ouvrage comme étant alors une sorte de compagnon de route du PCF.
17 Voir ses articles : « On ne renverse pas une théorie scientifique comme on renverse un ministère », Combat, 8 septembre 1948 ; « Le biologiste Lyssenko a-t-il découvert du nouveau sur l’hérédité ? », Le Figaro Littéraire, 2 octobre 1948 ; « Un grand débat sur l’hérédité », Le Figaro Littéraire, 13 novembre 1948 ; « Conclusions au débat sur l’hérédité. Comment les "mitchouriniens" soviétiques écrivent l’histoire de la biologie », Le Figaro Littéraire, 4 décembre 1948.
18 Voir sa prise de position dans Combat le 15 septembre 1948.
19 Édition du 14 septembre 1948.
20 Jeanine Verdes-Leroux, Au service du Parti. Le Parti Communiste, les intellectuels et la culture (1 944-1 956), Paris, Fayard-Minuit, 1983, p. 227.
21 Michel de Pracontal, L’imposture scientifique en dix leçons, Paris, La Découverte, 2001.
22 Seules les publications ont été consultées, je n’ai pas à ce stade mené d’entretiens ou d’enquête dans des archives internes.
23 Voir par exemple l’encart « Point sur les i » dans le numéro 22 de juillet-août 1949.
24 Jaurès MEDVEDEV, Grandeur et chute de Lyssenko, Paris, Gallimard, 1971, 317 p. Le manuscrit a commencé à être rédigé en 1961-1962. Sa publication aux États-Unis en 1968 valut à l’auteur d’être victime de la répression, à travers un internement en hôpital psychiatrique.
25 Dominique LECOURT, Lyssenko, histoire réelle d’une « science prolétarienne », François Maspero, 1976. Réed Paris, PUF, « Quadrige », 1995.
26 Voir par exemple Denis BUICAN, Lyssenko et le lyssenkisme, PUF, Que-sais-Je ?, 1988.
27 David JORAVSKY, The Lyssenko affair, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1970, 459 p.

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