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samedi 10 mars 2012

Fukushima , une bombe à retardement...


Fukushima vit encore sur une bombe à retardement
FUKUSHIMA : Les habitants de la ville hésitent entre colère et résignation.
Fukushima, un samedi après midi de février. Des grappes de jeunes victimes de la mode font du lèche-vitrines devant les commerces de Paseo Street, la rue pavée du centre-ville. Ils croisent des couples derrière une poussette, une famille endimanchée pour un mariage, avant de s’engouffrer dans un centre commercial pour prendre un verre dans un des cafés bondés. Quelques habitants portent un masque de protection. Contre la grippe et le rhume.
Fukushima est une ville comme une autre… jusqu’à ce qu’une voiture passe avec un compteur Geiger plaqué sur le toit pour relever le niveau de radiation. Ou que l’on tombe sur une des nombreuses stations de mesure essaimées aux quatre coins de la ville. Comme pour rappeler que la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, qui a explosé le 11 mars 2011, n’est distante que d’une soixantaine de kilomètres. Et qu’elle n’a pas fini de cracher ses particules radioactives.
Un ennemi invisible
Un ennemi invisible, inodore, incolore, qui empoisonne les maisons, les arbres, les cours d’école…Un ennemi sournois, difficile à appréhender si ce n’est avec un compteur Geiger, un appareil de mesure qui a fait un tabac l’an passé. Shin-ichi Matsushita n’en a pas besoin. «Je suis les mesures dans les journaux et j’habite à côté du bâtiment des autorités locales où il y a environ 0,8 microsieverts/h», relève cet habitant de 56 ans, attablé à un café. Un niveau huit fois plus élevé qu’à Tokyo.
Pas de quoi alarmer ce mécanicien-ingénieur. Et encore moins de bouleverser sa vie quotidienne. «Je bois encore l’eau du robinet. Au supermarché, je ne fais pas attention aux achats. J’ai par exemple acheté la semaine passée des pommes produites dans la région. Je fais confiance. Si on les vend, c’est qu’elles ont été contrôlées.»
Comme lui, beaucoup d’habitants ont relâché leur vigilance au fil des mois. Ils vaquent à leurs occupations. Comme si de rien n’était. «On ne parle plus trop de ce problème», reconnaît Shin-ichi Matsushita. «Le gouvernement a dit que ce n’était pas si dangereux de vivre ici. Tant que personne ne meurt de cancer ou d’une autre maladie liée à la radioactivité, les gens resteront calmes.» Il ne croit pas pour autant les déclarations des autorités japonaises. «Je pense qu’elles cachent quelque chose sur le danger de la radiation. On n’a pas toutes les informations en main.»
Cette insécurité sanitaire a contaminé la population. D’ailleurs, sa femme Annerose, une Suissesse, a préféré faire ses valises et les poser dans le canton de Neuchâtel quelques jours après les explosions. Shin-ichi Matsushita espère la rejoindre d’ici quelques années. «Je n’ai pas réalisé le danger au début. Comme tout le monde ici. On entendait dire que le niveau de radiation était bas.» Alors il est resté. Pas le choix de toute façon: il ne pouvait quitter son travail. D’autant que la femme qui s’occupe de sa mère malade a plié bagages. Raison de plus de ne pas mettre les voiles. «Je m’occupe d’elle maintenant.»
Information confisquée
Nombreux sont ceux à avoir appris à vivre avec la bombe à retardement radioactive. Même ceux qui ont un bébé d’un an dans les bras, comme Hikaru et Mihoko Idogawa. «Nous faisons attention pour notre enfant. On est inquiets pour lui, moins pour nous. Car on ne sait pas si ce que dit le gouvernement est vrai à 100%. Mais on ne peut pas imaginer qu’il mente à son peuple.»
Vraiment? Le gouvernement et Tepco ont confisqué l’information, se contentant de sortir au compte-gouttes des bulletins rassurants relayés par les médias, et minimisant les valeurs de la radiation. Les limites de la dispersion des particules radioactives ne sont pas forcément celles que le gouvernement a tracées au compas. Sans parler de la désinformation. Autant dire que les habitants se sentent livrés à eux-mêmes.
Face à l’impéritie des autorités japonaises, les démarches citoyennes se sont multipliées pour mieux informer le public. Le Citizens Radioactivity Measuring Station (CRMS) a ouvert en juillet 2011 en ville avant de déménager au rez d’un centre commercial. Les habitants viennent dans ce laboratoire faire contrôler la dose de radioactivité encaissée par leur corps jusque-là. Et il y a parfois eu des files d’attente.
Depuis son aménagement,  jusqu’à fin décembre, près de 2000 personnes ont payé pour s’asseoir dans le «whole body-counter», une machine biélorusse qui analyse la quantité de radionucléides contenue dans l’organisme. Ce centre répond à une demande croissante de la population, à entendre le responsable, Yoshihiro Shimizu: «De plus en plus de gens dans le doute viennent ici car c’est un outil qui donne à chacun des informations essentielles pour prendre les bonnes décisions face à la radioactivité.» Le laboratoire est toutefois en mode pause depuis fin décembre, le temps de quelques ajustements.
Seiichi Nakate s’est soumis au test l’an passé. «Le résultat était trop élevé», avoue-t-il, à l’entrée du CRMS. Conscients de la menace radioactive à Fukushima, ce responsable d’une association d’aide aux handicapés ne va pas faire de vieux os à Fukushima. «Je ne veux pas voir les enfants mourir.» Il s’apprête à plier bagages pour Hokkaido où il rejoindra là-bas sa femme et ses deux enfants. «J’ai des responsabilités au niveau professionnel et je ne peux pas partir avant.»
Panique en silence
En attendant, il se démène pour pallier au laxisme des autorités avec le Réseau de Fukushima pour la protection des enfants contre les radiations qu’il a monté après la catastrophe. «L’Etat cache des choses. Il ne veut pas dire la vérité aux habitants», décoche Seiichi Nakate. Son association s’est faite un devoir d’informer la population via, par exemple, des mesures de radiation qu’elle diffuse sur internet. «Les gens doivent savoir ce qui se passe.»
Trop d’habitants vivent dans un déni de réalité. En particulier ceux qui n’ont pas pu fuir la ville. «Ils ont dû rester pour des raisons professionnelles, financières ou familiales. Et depuis, ils ne veulent plus parler de la radioactivité. C’est un sujet tabou, un sujet qui fait peur.» Une sorte d’auto défense pour ne pas céder psychologiquement. Dans un pays qui bannit l’individualisme, certains préfèrent encore paniquer en silence. I
Les femmes enceintes et les enfants d’abord
Fukushima, le désamour. En une année, 20 000 personnes ont décampé de la ville qui comptait alors 290 000 habitants à l’époque. Les gens sont partis un peu comme on quitte un bateau en plein naufrage: les femmes (enceintes) et les enfants d’abord. Les deux catégories de population les plus exposées à la radioactivité.
A la permière opportunité, Kanako Nishikata, mère de 34 ans, a mis les voiles en juillet 2011 avec ses deux enfants, aujourd’hui âgés de 9 et 11 ans, pour s’installer à Yamagata, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Fukushima. Même dans cette région épargnée par la radiation, cette femme divorcée a gardé les réflexes qu’elle avait après le 11 mars 2011. «Je ne prends aucun risque. Par exemple, quand je conduis, je n’ouvre pas la fenêtre s’il fait chaud. Je ne fais plus sécher les habits dehors. Mes enfants portent des casquettes, un masque et jamais de tee-shirts. Ils ont toujours des vêtements qui couvrent leur peau. Et je leur interdis de jouer dehors.» Un peu paranoïaque Kanako Nishikata? «Non, c’est de la prévention» réplique-t-elle.
Elle impose néanmoins à ses enfants de se laver souvent les mains et les cheveux avec de l’eau... du robinet, une eau contaminée. «C’est trop cher de le faire avec de l’eau en bouteille. On n’a pas le choix. C’est mieux que rien. Je lave aussi la maison avec de l’eau courante. Mais pour boire et pour cuire les aliments, on utilise de l’eau minérale.» Au supermarché, elle contrôle les lieux de production sur les emballages de tous les produits. Elle a déjà interdit de cuisine le poisson et les champignons.
Cette mère courage sait la chance qu’elle a d’avoir pu quitter la mal-aimée Fukushima. C’est pourquoi elle se bat avec des associations depuis une année pour faciliter le départ des habitants qui le souhaitent et pour protéger les enfants de la radiation. «Le gouvernement ne fait rien de correct», soupire-t-elle. «Il devrait admettre que des gens ne peuvent pas vivre ici et les aider à partir. La plupart des mères acceptent la situation actuelle. Elles arrêtent de lutter car le gouvernement ne les écoute pas depuis un an. Mais il ne faut pas abandonner le combat.»
Elle vient de publier un livre qui recueille les impressions des écoliers de Fukushima. «Ils vivent très mal ce problème. Ils ne veulent pas être séparés de leurs enfants et de leurs amis. Ils disent qu’ils ont déjà assez souffert comme ça avec l’accident nucléaire. Ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent payer les conséquences et pas les gens de Tokyo qui profitaient de la centrale accidentée (ndlr: ce sont des centrales au nord qui fournissent l’énergie de la ville de Fukushima).»
La protection des enfants et l’évacuation des habitants sont les deux sujets les plus sensibles en ville. A la mi-février, une soixantaine d’ONG japonaises se sont réunies à Fukushima pour définir un plan de bataille. «Des gens de tout le pays ont dit qu’ils voulaient aider la population à trouver un lieu de vie plus sain ailleurs», apprécie Aileen Mioko Smith, directrice de l’ONG Green Action. Encore faut-il que l’Etat aide financièrement les citoyens à partir. Ce qu’il refuse.
«Le droit à l’évacuation est pourtant un droit que chaque habitant devrait avoir», insiste Aileen Mioko Smith. «Le gouvernement a versé de l’argent aux exclus autour de la centrale nucléaire, mais rien à ceux de zones hautement contaminées, comme celle de Fukushima. Il doit le faire au moins pour les femmes enceintes et les enfants.»
Mais les autorités ne veulent pas voir la région se vider de ses habitants. «Le gouvernement fait beaucoup de propagande pour que les gens restent», assure la responsable de Green Action. A ses yeux, si l’Etat devait évacuer les gens de Fukushima, cela créerait un précédent. «Imaginons qu’un jour un accident nucléaire se produise à Oi, la plus grande concentration de centrales nucléaires du pays, à 60 km de Kyoto, il faudrait évacuer cette ville, c’est-à-dire 1,4 million d’habitants. C’est impensable!»
Pour décourager les départs, le gouvernement a entamé l’été passé la phase de la décontamination. Histoire de dire que la ville est sous contrôle et que les sols, maisons, écoles, routes et parcs seront assainis. Un grand nettoyage promis à un flop, à entendre Aileen Mioko Smith: «Ce n’est pas efficace. Cela réduit la contamination de même pas la moitié.»
VENDREDI 24 FéVRIER 2012
Thierry Jacolet

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