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dimanche 17 novembre 2013

Ces Sociétés Transnationales qui colonisent le monde...



Comment les transnationales colonisent le monde
ÉCONOMIE : En avant-goût de la conférence de Susan George lundi à Genève, le professeur Juan Hernández Zubizarreta analyse le pouvoir des entreprises transnationales et les pistes de résistance.
On dit qu’elles dominent le monde, que les plus grandes pèsent davantage que nos Etats. Facteur de développement global ou prédatrices sans foi ni loi, les sociétés transnationales (STN) sont pourtant une invention récente – née de la dérégulation – et encore peu étudiées. Juan Hernández Zubizarreta, professeur de droit à l’Université du Pays Basque et membre du réseau altermondialiste Enlazando Alternativas 1, en a fait son objet d’étude et de militance. Pour Le Courrier, il passe au crible cet acteur symbole d’une globalisation qui marche sur la tête 2.
- Vous êtes professeur de droit. Qu’est-ce qui définit, selon vous, une société transnationale (STN)?
Juan Hernández Zubizarreta:
Dans les faits, c’est une grande société dont le siège juridique, la matrice, se situe dans un pays dit développé et exerce, depuis là, un pouvoir dans d’autres Etats, que j’appelle récepteurs, ou périphériques, à travers diverses formes juridiques (filiales, sous-contractants, etc.). Leurs pratiques et relations autour de cette chaîne juridique varient selon les secteurs, les entreprises pétrolières ne sont pas organisées comme les banques ou le textile, etc.
Leur point commun est l’utilisation de toutes les sortes de stratégies et de techniques que leur offre la globalisation pour se soustraire à leurs responsabilités. La mondialisation a rompu l’unité de l’espace et du temps, créant un environnement où les transnationales se meuvent comme des poissons dans l’eau. Avec leurs structures tentaculaires, elles multiplient les stratagèmes pour optimiser leurs flux et leurs intérêts. Dérégulée, la finance favorise ces va-et-vient opaques.
Or, malgré cette réalité transnationale, ces entreprises continuent à être adossées à des unités juridiques nationales. Cet appareil légal est manifestement dépassé, c’est pourquoi, avec d’autres, je milite pour l’extraterritorialité.

- Concrètement, faudrait-il encadrer juridiquement ces entreprises au niveau international ou dans leur pays d’origine, comme le propose la campagne suisse des ONG Droits sans frontières?
Vu l’impunité totale dont elles jouissent, je crois que toutes les pistes sont à explorer! Au sein d’Enlazando Alternativas, nous travaillons à un Traité international sur les STN, qui instituerait un tribunal des droits économiques. On en est loin, car les Nations unies, qui devrait être la structure protectrice des droits des populations va dans une tout autre direction. L’ONU a aussi été colonisée par les STN. Ses propositions –le Global Compact et les Principes directeurs de John Ruggie (lire ci-dessous)– ont le même défaut: ils relèvent du domaine de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui se base sur le volontariat et l’autocontrôle.
- Au niveau de l’ONU, ce sont les Etats du Nord qui se montrent les plus défavorables à la réglementation. Or, en termes de concurrence internationale ou d’évasion fiscale, ces démocraties auraient intérêt à un minimum de régulation, non?
Il n’y a pas qu’aux Nations Unies que ces pays refusent toute régulation. Pourquoi l’Union européenne refuse-t-elle de se donner des standards minimaux? Il y a une pleine complicité entre les gouvernements et les STN. Il y a une identification commune d’intérêts qui va au-delà du simple lobbying. Il ne faut pas oublier que ce sont des vases communicants! Plusieurs ministres de Mariano Rajoy proviennent des conseils d’administration des STN. Ils y retourneront un jour, accompagnés d’autres ex-ministres.
Il n’est pas besoin d’imaginer un gouvernement de l’ombre ou des choses comme ça: dirigeants du public et du privés sont constamment en contact, aucune politique n’est décidée sans consultation. La première réunion d’un premier ministre espagnol élu, c’est avec les patrons de l’IBEX35 (plus grosses sociétés cotées à Madrid, ndlr). C’est là que se décident les procédures de consultation et même la composition du gouvernement. En retour, les partis sont largement arrosés pour mener de fastueuses campagnes électorales. Comment expliquer autrement qu’aujourd’hui, en 2013, il y ait encore des paradis fiscaux?
- Le G20 semble pourtant décidé à contrer l’optimisation fiscale. N’y croyez-vous pas?
Non! Il ne faut surtout pas les croire sur parole! Souvenez-vous de Sarkozy: «Il faut réinventer le capitalisme! On va instaurer une taxe Tobin. Il n’y aura plus de paradis fiscaux.» Que de mensonges! Ce sont des messages très habiles, distillés pour endormir la protestation sociale. «On est sur le point de sortir de la crise et après tout ira bien!» Ils nous occupent avec leurs discours mais concrètement, juridiquement, rien ne change. On l’a vu avec leurs listes noire et grise des paradis fiscaux. Finalement tous les pays en sont sortis mais les paradis fiscaux sont toujours là...
En réalité, ils se fichent qu’une part des revenus échappe à l’impôt. Leur priorité politique n’est pas d’augmenter les recettes mais de s’attaquer aux dépenses.
- Les STN ont-elles fait la globalisation ou n’en sont-elles que le fruit?
Elles en sont le fruit. Mais aujourd’hui elles sont devenues un acteur central. Les STN sont des personnes, elles ont des noms et des prénoms, un conseil d’administration contrôlé par ce qu’on appelait les classes dominantes. De par les liens que je décrivais ci-dessus, ces réseaux dominent également les Etats. La pratique des entreprises transnationales est impossible à isoler des comportements des Etats, matrices ou récepteurs. Il n’y a qu’à voir la vive réaction des Etats matrices quand des pays récepteurs osent toucher aux intérêts des STN. Immédiatement, ces gouvernements vont rejoindre l’"axe du mal"!
Le quatrième acteur de la globalisation, constitué par les organisations monétaires internationales, FMI et Banque mondiale, n’est pas moins imbriqué aux autres.
- En investissant dans les pays récepteurs, les STN créent de l’emploi et contribuent au développement du Sud, non?
Ca, il faudrait le mesurer! C’est ce que disent les défenseurs du modèle. Quand la riche Repsol va chez les pauvres latino-américains, elle leur apporte le développement. Et en plus, elle apporte de la richesse au Nord. Ce serait donc win-win! Eh bien, je dis: mesurons-le! Qu’ont apporté les transnationales au moment de ce qu’on a appelé le second débarquement, durant les années 1990, et combien de profit en ont-elles tiré? Combien d’emploi ont-elles créé et combien en ont-elles détruit?
L’idée que l’installation d’une STN constitue forcément un bien pour les populations est un mythe. Les études réalisées par l’Observatoire des transnationales en Amérique latine (OMAL) montrent que ce n’est pas vrai. D’ailleurs, le contraire serait étonnant, ces entreprises sont extrêmement voraces, leur but est de faire un maximum de profit dans le moins de temps possible. De plus, elles bénéficient d’une protection juridique inversement proportionnelle à l’appareil juridique censé les limiter. Le droit commercial international est composé d’une série de mailles qui –
mêlant règles de l’OMC, traités de libre-échange ou de protection des investissements, cours arbitrales comme le CIADI– enserrent les Etats. Le cas de Repsol, éconduite d’Argentine, est effrayant. La compagnie a porté l’affaire devant un tribunal privé et réclame non seulement le remboursement de ses investissements mais aussi des profits qu’elle avait prévu d’engranger dans le futur! Une vraie tromperie juridique. Mais Repsol a aussi attaqué le gouvernement argentin devant un tribunal de New York et à Madrid. On est face à un tel déséquilibre que quand une population affectée, comme les Mapuches, veulent attaquer Repsol, ils n’ont aucun tribunal pour le faire. Ils ne peuvent l’attaquer à Madrid, ni à la Cour interaméricaine des droits humains, qui ne condamne que les Etats. En revanche, la STN a déjà pu ouvrir trois procédures juridiques contre l’Argentine...
- Que pensez-vous des clauses sociales que l’UE fait inclure dans ses traités de libre-échange?
C’est de la rhétorique. Ces traités n’incluent jamais de mécanisme rendant ces droits environnementaux et sociaux réellement applicables, effectifs, au contraire des normes de protection des brevets, des investissements et autres droits commerciaux juridiquement encadrés. L’idée d’une politique plus sociale de l’UE dans ce domaine est un mythe, ses traités sont durement négociés. Et dans une opacité totale! Finalement, en reconnaissant dans son droit l’extraterritorialité de leurs firmes, les Etats-Unis sont plus avancés que l’Europe.
- Que vous inspire le Traité atlantique en négociation entre les USA et l’Europe?
Des craintes, forcément. Imaginez: on a eu vent de quatorze réunions entre les lobbies patronaux et les négociateurs, sans que les élus n’aient été inclus, pas plus que les syndicats et les mouvements sociaux!
On peut supposer que les Etats-Unis vont tenter d’affaiblir les normes sanitaires et environnementales pour mieux pénétrer le marché européen. Une intention affichée par les Européens m’amuse: «l’amélioration du système arbitral». C’est, en creux, l’aveu que celui qu’ils imposent aux pays du Sud est unilatéral et qu’ils craignent de subir cette même domination de la part des Etats-Unis.
En tant que juriste, je constate que ces tribunaux, en statuant uniquement sur les dimensions commerciales, violent de fait le droit international, puisqu’au cœur de cette législation se trouvent les droits humains. En droit, le reste des dispositions relatives aux transactions commerciales doit être subordonné à la déclaration des droits humains et aux pactes onusiens.
Juridiquement, on a la tête à l’envers. On continue de penser que les droits fondamentaux, notamment sociaux, sont facultatifs, qu’ils seront concrétisés quand l’argent coulera enfin à flot... C’est du droit déclaratif.
- La Suisse fait du dumping fiscal pour attirer des STN. Une politique largement soutenue à gauche, qui y voit des ressources pour les politiques sociales et un créateur des emplois. Qu’en pensez-vous?
Je pense que cette gauche-là se fourvoie. Non seulement ces entreprises créent peu d’emplois mais surtout, étant très mobiles, elles licencient très facilement. Elles ne laissent tomber que des miettes. Je pense que ça vaut la peine de bien calculer ce que ces entreprises vont engranger et ce qu’elles vont, au final, laisser ici.
Mais plus fondamentalement, ne regarder que la manne fiscale apportée par ces sociétés est assez désespérant de la part de gens qui devraient se montrer solidaires des victimes de ces entreprises. Le capitalisme est déjà suffisamment redoutable sans qu’on ait besoin que la gauche se préoccupe de lui offrir un asile.
- Comment peut-on s’opposer à la toute-puissance des STN? Par exemple, pour empêcher le chantage aux délocalisations?
Les Etats nations – ou mieux, l’Union européenne – pourraient sans beaucoup de difficultés mettre des règles désavantageant les délocalisations. Un Etat pourrait par exemple exiger l’entier du remboursement des aides publiques perçues par l’entreprise qui s’en va. Ou soumettre la délocalisation à l’accord du comité d’entreprise. Ou instaurer une taxe de départ. Ou imposer différemment les sociétés qui vendent des produits importés de celles qui vendent des produits réalisés dans le pays de vente. Etc. Toutes ces mesures seraient parfaitement légales, ce n’est qu’une question de rapport politique.
L’autre axe est bien entendu de développer une conscience et une pratique internationales du syndicalisme. Mais là, on est très loin du compte, on reste dans une logique nationale, tandis que les confédérations syndicales internationales, qui regroupent des millions de travailleurs, sont totalement bureaucratisées, incapable d’en appeler aux moyens de lutte des travailleurs, dont la grève. Elles ne fonctionnent que dans une logique de concertation qui n’a plus grand-chose à donner. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible en Europe de sensibiliser un comité d’entreprise d’une STN sur une lutte menée dans un autre pays. La solidarité internationale, ce n’est pas juste verser une cotisation à l’aide au développement, c’est constituer des agendas de lutte et des objectifs communs.
Enfin, cela passe par des alliances avec les associations de consommateurs et le développement de la consommation responsable, écologiste et solidaire. Le boycott peut devenir une arme puissante. Mais elle doit être utilisée avec les travailleurs, en dialogue avec les salariés des entreprises visées. Et encore faut-il s’accorder: qui viser? Et dans quel but?
- En Amérique latine, un important mouvement social et politique remet en cause la domination des STN. Sont-elles aujourd’hui plus fortes ou moins fortes qu’il y a quinze ans?
Plus fortes, à l’exception peut-être de l’"axe du mal" (Equateur, Bolivie, Venezuela), qui demeure soumis aux mêmes pressions mais est parvenu à mettre des garde-fous. Comment s’est redéployé le pouvoir des transnationales? On est passé de la logique du consensus de Washington, centrée sur les privatisations, la logique financière et la répression, au «consensus des commodities (CC)», (basé sur l’exportation à grande échelle des biens primaires, notamment les richesses naturelles, ndlr) ou modèle néo-extractiviste, qui présuppose, comme le souligne (le géographe) David Harvey, la dépossession davantage que l’exploitation. Sous la pression des prix mondiaux, les principales sources de profits des STN aujourd’hui proviennent des mines, des hydrocarbures et de l’agro-alimentaire, grands dévoreurs de terres et de territoire. Le phénomène est particulièrement sensible en Amérique.
Or, en parallèle, on a assisté aussi à une très forte organisation du mouvement social latino-américain. Indigènes et paysans ont conquis un rôle inédit dans l’histoire. Dans de nombreux pays, la vieille gauche a été balayée.
Enfin, la constitution de blocs régionaux, parfois composés de gouvernements progressistes, est extrêmement positive. Face à la globalisation, l’alternative se trouve dans la région. Il y a donc de bonnes raisons d’espérer!
La question centrale est celle-ci: les gouvernements de gauche qui ont choisi de participer au néo-extractivisme pour financer leurs politiques le font-ils de façon transitoire le temps de bâtir une alternative ou est-ce là, dans cette vieille stratégie développementaliste, que se situe leur modèle?
- Le maintien des STN, malgré des discours très critiques comme ceux d’Evo Morales en Bolivie, laisse entendre que l’on ne peut s’en passer.
Ce n’est pas le cas. Il est clair que ce n’est pas facile du jour au lendemain. Quand Evo arrive au pouvoir, la société bolivienne YPF-Repsol est une coquille vide. Repsol n’avait fait que pomper sans jamais investir. Or Evo avait beaucoup de fronts ouverts, avec la droite sécessionniste notamment. Il a préféré rediscuter les contrats. La question est: YPF pourra-t-elle se passer à terme de Repsol? Et l’argent que rapportent les hydrocarbures permettent-ils de préparer une économie différente, indépendante des STN. C’est affaire de volonté politique et de planification. Evidemment, ce serait plus facile pour des Etats comme le Brésil ou l’Argentine que pour la Bolivie ou l’Equateur. Mais la volonté de changer de modèle n’y existe malheureusement pas. Hugo Chávez l’avait bien compris, il a tout essayé pour entraîner ces deux pays dans un pôle régional. Avec son charisme et ses incessants voyages, il était parvenu à des résultats. Malheureusement, sa disparition pourrait sonner le glas de l’intégration régionale, ce qui aura de graves conséquences. Je suis presque certain que l’Equateur ne tardera pas à rejoindre ses anciens partenaires commerciaux (Pérou, Colombie) en signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne...
Benito Perez
2. Lundi soir à Genève, Susan George poursuivra cette réflexion avec sa conférence «La montée de l’autorité illégitime, les transnationales contre la démocratie» à la Haute Ecole de travail social (HETS), rue Pré-Jérôme, 20h.

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