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mercredi 14 décembre 2011

La cause des peuples...

Danielle Mitterrand, la cause des peuples

Figure forte de la gauche et première dame atypique, la militante multifronts est morte, à l’âge de 87 ans. Sans jamais avoir renoncé à aucun de ses combats.
«Rester aux aguets, militer, me maintient éveillée. A partir d’un certain âge, on s’endort. Or, moi, je n’ai pas envie de mourir à petit feu, j’espère quelque chose de radical.» C’était il y a quatre ans, mois pour mois. Rencontre avec Danielle Mitterrand, 83 ans à l’époque, pour un portrait en dernière page de Libération. Prétexte : le Livre de ma mémoire qu’elle publiait alors.Décor : la maison de la rue de Bièvre, Paris Ve, que le couple Mitterrand avait achetée en 1973 et où l’ex-première dame de France continuait de vivre, avec son fils aîné Jean-Christophe, la compagne et le fils de celui-ci.
Du salon où eut lieu la conversation, on ne se souvient de rien hormis une collection d’assiettes murales passablement kitsch. Il faut dire que l’heure n’était pas au tourisme. Danielle Mitterrand n’avait pas la réputation de «cliente» facile. Plutôt apte à se cabrer et têtue revendiquée. D’elle, en revanche, reste cette image très vivace : silhouette bien droite dans un col roulé jaune poussin, regards de chat perçants, tout à fait d’attaque sous ses aspects de petit oiseau tombé de la branche. Quelque temps plus tard, le cinéaste anglais Ken Loach nous fera le même effet.
«J’espère quelque chose de radical.» Il est alors question d’ultime baisser de rideau, détaillé d’un ton quasi guilleret - «Ah non, pas d’église ! De toute façon, il ne me connaît pas. Et certainement pas d’incinération : je veux retourner à la terre, m’inscrire dans le cycle de la nature, et mon corps servira à nourrir qui il veut nourrir.» Mais au fond, l’adjectif «radical» pourrait bien valoir pour l’ensemble de la vie de Danielle Mitterrand, y compris le versant privé connu, celui de l’épouse restée indéfectiblement solidaire et adoratrice de «François» malgré la double vie, jusqu’à prendre l’enfant Mazarine dans ses bras lors des obsèques à Jarnac en 1996.
D’aucuns, dont les tenants du prisme de la faible femme qui subit, l’ont plainte, en ont conclu à l’abnégation. Mais dans les faits, jamais Danielle Mitterrand n’a présenté un profil de victime. Plutôt de médaille : fier et découpé, rien de flou ou d’effacé. Et c’est un choix réfléchi et assumé mutuellement qu’elle défendait, quand elle répondait sur le fait de ne pas avoir divorcé : «Au lieu de tout détruire sur un coup de tête, on a décidé de vivre autrement.» Dans le Livre de ma mémoire, elle se fend d’ailleurs d’une anecdote assez piquante de sa part, à propos du président Félix Faure, censément mort d’orgasme dans les bras de sa maîtresse : «Lorsque je descendais à la cuisine privée de l’Elysée […], j’avais une petite pensée pour lui et sa "connaissance" qui l’avait quitté si précipitamment… En dévalant ce petit escalier dérobé.»
De l’eau, et d’autres rocambolesques scénarios présidentiels ou néoprésidentiels, a depuis coulé sous les ponts. Aujourd’hui, et elle s’en serait sans doute réjouie, c’est la radicalité de l’engagement politique de Danielle Mitterrand qui retient. Une irréductibilité qui, depuis 1986 et la création de sa fondation France Libertés, ONG humanitaire issue de trois associations antérieures, faisait revenir le mot «pasionaria» dans tous les articles la concernant.
Sans frontières. Le mot est de Roger Hanin, son beau-frère : «Si vous lui demandez l’heure, elle vous répond 5 heures moins Kurdes…» Les Kurdes ont été LA cause de Danielle Mitterrand, celle pour laquelle elle s’est démenée tous azimuts, montant au créneau plus souvent qu’à son tour, en paroles mais aussi en actes, organisant la transplantation de réfugiés dans le massif Central, ouvrant des écoles… Elle frôlera (avec Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé et de l’Action humanitaire) la catastrophe dans le Kurdistan irakien, le 7 juillet 1992, quand un attentat contre son convoi fera sept morts. Mais son activisme était sans frontières et pléthorique. Citons, de tête et sans exhaustivité : anti-apartheid, anticolonialisme, antilibéralisme, anti-peine de mort, contre le sida en Afrique, pour l’alphabétisation au Bangladesh, pro-Amérindiens, pro-Tibétains, pro-zapatistes mexicains, pro-Saharaouis, pro-sans-papiers, pro-Fidel Castro, pro-sous-commandant Marcos… La liste de ses combats et de ses causes atteste une capacité d’indignation, de colère, ontologique voire systématique. Encore tout dernièrement, alors que l’accès à l’eau potable était devenu son fer de lance, Danielle Mitterrand s’était prononcée en faveur de l’éradication complète des gaz de schiste.
Un axe se dégageait pourtant : tiers-mondiste à gauche toute. Un caillou (trop acérée, trop tête brûlée, parfois maladroite) dans la chaussure de son mari ? Pas sûr, voire le contraire, analysent d’aucuns. Aussi impétueuse qu’il pouvait être florentin, Danielle, avec ses emballements, aurait servi de caution et conscience de gauche à François, et plus largement à une élite rose confite par les ors et le pouvoir. D’ailleurs, si le conseil d’administration de France Libertés a très vite rassemblé des hommes du Président (l’avocat Georges Kiejman, les anciens ministres Claude Cheysson et Georgina Dufoix, l’écrivain Erik Orsenna, Pierre Bergé), Mitterrand restait marmoréen face aux binz diplomatiques que pouvaient susciter les déclarations ou actions de sa femme franc-tireuse, antithèse de la première dame aimablement caritative.
Impassibilité. Les clash n’ont pas manqué. Avec la Chine, avec l’Algérie, avec le Chili et bien sûr le Maroc d’Hassan II, qui souffleta Danielle M. d’un «épouse morganatique» : de condition inférieure donc, en rien habilitée à se mêler des affaires d’Etat… Il en aurait fallu bien plus pour ébranler Danielle Mitterrand, qui savait à l’occasion opposer l’impassibilité d’un mur - pour défendre mordicus Fidel Castro, le passé de François Mitterrand («Il n’y a pas d’affaire Bousquet»), ou son fils Jean-Christophe lesté par l’Angolagate.
Les raisons de sa colère ? Danielle Mitterrand les reliait directement à son enfance. Née à Verdun, dans la Meuse, Danielle Emilienne Isabelle Gouze était la fille d’instituteurs résolument laïcs et républicains, avait grandi avec ses frère et sœur sur fond de convictions de gauche qui remontaient aux générations précédentes, du côté paternel comme maternel. Or, à 6 ans, la gamine habituée aux prix d’excellence est prise en grippe par une directrice d’école grenouille de bénitier. Si elle décroche le tableau d’honneur auquel ses notes donnent droit, elle est privée des bonbons qui l’accompagnent traditionnellement. «Je n’acceptai pas cette injustice qui, à mes yeux de petite fille, était intolérable. Alors je me rebellai et réparai le préjudice à ma façon.» Escalade d’armoire,«larcin». Qui, une fois découvert, lui vaut d’être exposée comme voleuse et menteuse devant ses camarades. «J’en fis une dépression nerveuse !»
Les rumeurs qui accusent ensuite le père franc-maçon adoré d’avoir mis le feu au gymnase de son propre collège, puis son éviction pour avoir refusé de dresser la liste des élèves juifs exigée par Vichy, bétonnent le penchant pour l’insoumission. L’entrée dans la Résistance, qui lui fera rencontrer à 19 ans «Morland», alias François Mitterrand, se fait naturellement, au côté de sa sœur, dans le sillage de leurs parents. Ceux-ci cacheront notamment le fondateur de Combat, Henri Frenay, et sa compagne, Berthie Albrecht - qui mourra à la prison de Fresnes en 1945, deux ans après avoir été arrêtée et torturée par la Gestapo.
La «petite fille blessée» qui voulait réparer toutes les injustices s’en est allée.
SABRINA CHAMPENOIS ET ECOLOGIE AU QUOTIDIEN
Parcours d’une engagée
1924 Naissance le 29 octobre à Verdun (Meuse)
1940 Son père, Antoine Gouze, principal de collège, est révoqué pour avoir refusé de recenser les Juifs
1941 Rejoint la Résistance
1944 Elle rencontre en janvier le «capitaine Morland», alias François Mitterrand, et l’épouse le 28 octobre
1946 Naissance de Jean-Christophe
1949 Naissance de Gilbert
1981 Election présidentielle
1986 Crée la fondation France Liberté
1995 Accueille Fidel Castro à l’Elysée et lui fait la bise
1996 Mort de François
2005 Soutient le non au référendum sur l’Europe
APL
Libre
Danielle Mitterrand était le dernier lien, fragile, ténu, avec une France qui n’existe plus. Avec des parcours politique, individuel, intime, forgés au temps de la Seconde Guerre mondiale et nourris par des combats qui, sous cette forme, ne seront plus jamais les nôtres. Avec un moment du socialisme qui désormais bascule pleinement dans l’histoire. Pour les Français, elle fut aussi pendant quatorze ans une drôle de «première dame». Comme il n’y en eut, d’ailleurs, plus depuis. Libre, très peu protocolaire, ayant sa vie propre, ses engagements, ses idéaux et ses combats, au sein de la très phallocratique Ve République. Elle était une figure pleinement politique, même si elle l’était différemment de François Mitterrand. Une femme de gauche, sans doute beaucoup plus que le Président lui-même. Une figure évidemment aussi complexe que son mari, déjeunant à l’occasion avec Bousquet mais restée toute sa vie fidèle à Castro. Affichant pour la galerie et les électeurs les apparences de la famille bourgeoise, mais vivant, en privé, les inextricables difficultés qui définissent parfois la relation d’une femme et d’un homme ; qui s’appellent aussi l’amour. Et dont les Français découvrirent la vertigineuse profondeur, et la beauté poignante, lors des obsèques de François Mitterrand. Etrangement, depuis, alors que nombre de mitterrandiens se transformaient en vétilleux gardiens du temple, elle prit le chemin inverse : regarder résolument vers l’avenir, se porter aux côtés des mouvements qui cherchaient à inventer une autre gauche, imposer de nouveaux sujets politiques, définir des armes militantes pour des luttes désormais globales. Quitte à agacer ou à lasser, avec toujours la même énergie. Comme si la parenthèse présidentielle refermée, la vie ne faisait que commencer.
NICOLAS DEMORAND

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