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mercredi 9 novembre 2011

La santé marchandisée...

André Grimaldi : « Santé, Sécurité sociale, hôpital, nous devons tout remettre à plat »
Privatisation rampante et logiques mercantiles, fermeture d’hôpitaux, politique du médicament incohérente, augmentation des déserts médicaux… Où va notre système de santé ? Pour André Grimaldi, professeur de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière (Paris), il est urgent de tout remette à plat et de revenir aux valeurs de solidarité et d’égalité fondatrices de la Sécurité sociale en 1945. Il est co-auteur du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, signé par 123 personnalités du monde médical et de la société civile. Entretien.
Êtes-vous inquiet pour le système de santé français ?
André Grimaldi : Un vrai débat est nécessaire sur notre système de santé, qui reste globalement bon, mais devient de plus en plus inégalitaire. Nous assistons actuellement à un transfert continu des charges de la Sécurité sociale vers le privé : les mutuelles, les assurances privées et le reste à charge pour les patients. La Sécurité sociale se concentre sur les remboursements de soins pour les plus pauvres – la CMU – et les pathologies les plus graves. Elle se désengage des soins courants, remboursés à 50 %. Les patients sont contraints de prendre une assurance complémentaire, ce qui crée une double inégalité : les pauvres doivent y consacrer une part de leur revenu beaucoup plus élevée que les riches, et les personnes à risque, en particulier les personnes âgées, payent une surprime. 4 millions de Français n’ont pas de complémentaire santé ! Ce transfert sape progressivement les valeurs – la solidarité et l’égalité – sur lesquelles repose notre système. Ajoutons que les frais de gestion des mutuelles et assurances privées sont supérieures à 15 % de leur chiffre d’affaires, contre moins de 5 % pour la Sécu. Le transfert vers les assurances complémentaires accroît les inégalités et coûte plus cher !
Comment cela va-t-il évoluer dans les prochaines années ?
Lorsque les bien-portants et les plus riches constateront que la Sécu les rembourse peu tandis que leurs primes de mutuelle ne cessent d’augmenter, ils demanderont à sortir du système solidaire. Nous serions alors confrontés à une dérive à l’américaine avec une aide publique uniquement pour les plus pauvres et les plus malades. Une solidarité pour les plus pauvres devient très vite une pauvre solidarité ! Résultat : aux États-Unis, dans certains États, si vous êtes au chômage et que vous avez besoin d’une greffe d’organe, vous êtes fichu. Pour préserver le système, il faut que la solidarité bénéficie à tout le monde : l’équité doit s’exprimer par un prélèvement augmentant de façon progressive avec les revenus, tandis que l’égalité doit se traduire par une prestation de qualité égale pour tous, également remboursée.
Le déficit de la Sécurité sociale est important. Que proposez-vous pour maintenir un fonctionnement égalitaire dans cette situation budgétaire tendue ?
Il faut remettre à plat notre système de santé en revenant à l’esprit de 1945. Côté dépenses, il est nécessaire de revoir complètement la liste des soins, pour distinguer ceux qui relèvent de la solidarité nationale – et doivent être remboursés par la Sécurité sociale – et ceux qui ne relèvent pas de cette solidarité. Pourquoi rembourse-t-on les cures thermales alors que leur efficacité sur la santé n’est pas prouvée ? Pourquoi certains médicaments sont remboursés à 15 ou 30 % ? C’est absurde : s’ils ne sont pas efficaces, il ne faut pas les rembourser du tout ! Il existe également des différences de prix énormes entre certains médicaments qui sont pourtant remboursés sans distinction. Un exemple : pour une des formes de dégénérescence maculaire de la rétine (DMLA), il existe deux traitements qui ont la même efficacité, l’un coûte 1 200 euros et l’autre 30 euros l’ampoule. Celui qui est autorisé, c’est celui qui coûte 400 fois plus cher ! Enfin, quel prix sommes-nous prêts à payer pour une innovation thérapeutique ? Un médicament doit être jugé à une double aune : son rapport bénéfice/risque pour le patient, mais également l’évaluation de son bénéfice au regard du coût qu’il aura pour la société. Les médicaments génériques valent en France deux fois plus chers qu’en Angleterre ! Pourquoi ?
Comment mieux réguler la politique du médicament ?
En France, la dualité historique entre Sécurité sociale et État entraîne un jeu de ping-pong incessant qui nuit à la cohérence de la politique de santé. La Sécurité sociale paie, mais ce n’est pas elle qui négocie les prix. L’évaluation de l’Amélioration du service médical rendu (ASMR) est assumée par la Haute Autorité de santé, et le prix est déterminé par le Comité économique des produits de santé. Il faudrait fusionner ces deux instances et introduire plus de transparence dans les procédures pour éviter la pression des lobbies pharmaceutiques. On éviterait peut-être qu’un médicament comme le Mediator, dont la commission a estimé à deux reprises qu’il n’améliorait pas le service médical, soit quand même remboursé, pour un coût total pour la Sécu de 1,2 milliard d’euros !
Que proposez-vous pour augmenter les recettes de l’assurance maladie ?
Comme le demande la Cour des comptes, nous voulons la suppression de la majeure partie des niches sociales, ces revenus exonérés de cotisations sociales qui représentent 35 millions d’euros. L’ensemble des revenus doit participer au financement de la santé. Nous plaidons pour un transfert d’une part des primes d’assurance privées et des mutuelles vers l’assurance maladie publique. Il faudrait une grande négociation afin de rééquilibrer le système. Nous proposons un retour au taux de remboursement de 1945 par la Sécu : 80 %. Les patients seraient pris en charge pour l’essentiel des soins par l’assurance maladie publique. À long terme, ils n’auraient plus besoin d’assurance « complémentaire » et prendraient uniquement une assurance « supplémentaire » pour financer, s’ils le souhaitent, un meilleur confort ou des soins superflus. Pour en finir avec le « trou de la Sécu », une fois terminé le ménage des dépenses injustifiées, il faudra adopter une règle d’or : tout dépassement des dépenses devra être compensé par une augmentation automatique des recettes, c’est-à-dire des prélèvements obligatoires.
Vous proposez dans le manifeste de construire ou renforcer quatre services publics de la santé. Quels sont ces services ?
Le premier est le service public de l’assurance maladie, dont ne font pas partie les mutuelles et les assureurs privés (regroupés dans l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire – Unocam). Le second est le service public hospitalier, représenté par les hôpitaux publics et les établissements privés à but non lucratif, le troisième est celui de la médecine de proximité, avec les centres de santé et les maisons médicales, et essentiellement les médecins libéraux conventionnés en secteur 1, c’est-à-dire sans dépassement d’honoraires. Le quatrième service public est celui de la prévention et de la sécurité sanitaire, qu’il faut développer.
Le changement récent dans l’hôpital est très symbolique : le terme « service public hospitalier » a été supprimé de la loi HPST (Hôpital, patients, santé, territoires) de 2009 pour être remplacé par celui de « missions de service public » exercées par des établissements à statuts variables. Les cliniques commerciales s’en sont saisies avec un mot d’ordre : la concurrence. Elles ont même porté plainte à Bruxelles contre la France pour réclamer la convergence tarifaire entre le public et le privé.
Sur quelle justification ?
La fixation d’un prix de marché est la stratégie employée quand on veut faire basculer un système du public vers le privé. Mais comparons ce qui est comparable ! Le public et le privé n’ont ni les mêmes missions, ni la même activité, ni les mêmes patients. Le coût d’un acte n’est pas le même si l’hôpital a des urgences ou pas, s’il a 200, 400 ou 800 lits, s’il est concentré sur une seule pathologie – ce qui est rentable – ou s’il traite des pathologies variées. En dix ans, le nombre de passages aux urgences de l’hôpital public est passé de 9 à 16 millions par an ! Les activités des cliniques ne chevauchent que pour 30 % celles de l’hôpital. Les cliniques privées ne s’occupent pas de pédiatrie, de handicap, de maladies diabétiques compliquées. Elles font essentiellement de la chirurgie simple programmée.
Que proposez-vous pour renforcer la médecine de proximité ?
Elle repose sur des médecins libéraux et suppose un conventionnement respecté entre eux et la Sécurité sociale. Les professionnels du secteur 2, avec dépassement d’honoraires, ne relèvent pas du service public. Il faudrait aménager ce secteur, avant de le supprimer. Cela suppose de tout revoir, y compris la rémunération des professionnels du secteur 1, qui n’est peut-être pas assez élevée. Des chirurgiens spécialistes de la hernie ont un remboursement qui est complètement sous-évalué par rapport à leurs coûts. C’est une conséquence du lobbying : certaines spécialités ont su défendre leurs tarifs, comme les radiologues et les urologues, contrairement à d’autres, comme les chirurgiens généraux et digestifs.
Il faut pouvoir réguler les hausses des tarifs, que les médecins expliquent par l’augmentation du coût des assurances. Pourquoi ne pas mettre en place une assurance professionnelle publique au lieu de tout confier à la logique du capitalisme financier ? Il faut limiter les installations de médecins en secteur 2. Il y a des déserts médicaux en France… et pas toujours où on le soupçonne ! Si vous cherchez un ophtalmo en secteur 1 à Paris, vous êtes dans un désert médical. Pour certaines personnes, cela signifie renoncer aux soins. En France, plus de 15 % des malades renoncent à des soins pour des raisons financières. Ce n’est pas un gain mais un coût pour la société : ces personnes attendront d’être encore plus malades pour se faire soigner. Et le coût sera plus important ! Les inégalités ne sont pas un calcul rentable.
Il est nécessaire de donner aux médecins des moyens modernes pour travailler. On propose d’envoyer les jeunes médecins dans les déserts médicaux. Mais pourquoi iraient-ils dans une zone si on y a supprimé l’hôpital ? Il faut arrêter de fermer les hôpitaux de proximité : on va s’apercevoir avec du retard que c’est une folie, comme avec l’instauration du numerus clausus il y a une vingtaine d’années. Il faut des maisons de santé pluriprofessionnelles, avec une nouvelle répartition des tâches entre les paramédicaux et les médecins, et une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital.
Vous souhaitez aussi mettre en place un service public de la prévention…
Notre système est né comme système de soin, et non de santé. Il traîne cette défaillance originelle à chaque crise, jusqu’au dossier de la grippe A, dont la gestion a été caricaturale. Nous proposons de renforcer la prévention, qui est un élément essentiel de la politique de santé publique, en y consacrant 10 % du budget de la santé au lieu de 7 % actuellement.
Elodie Bécu
À lire : André Grimaldi, Didier Tabuteau, François Bourdillon, Frédéric Pierru, Olivier Lyon-Caen, Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire, éditions Odile Jacob, 200 p., septembre 2011

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