Information Participative

Médias Citoyens Diois continu !

Retrouvez-nous sur notre nouveau site :

http://mediascitoyens-diois.info

mercredi 3 juillet 2013

La déconstruction lente du Droit de l' Environnement...



Les États généraux pour… déconstruire le droit de l'environnement
Alors que la présentation de la feuille de route des États généraux est imminente, Corinne Lepage, Députée européenne et Docteur en Droit, revient sur l'objectif même de cette simplification du droit de l'environnement : pérenniser les secteurs industriels conventionnels polluants et toxiques.
En relisant les déclarations des responsables de ces états généraux, ceux qui ont connu 1992 pourraient se croire revenus à cette date, celle des grands principes creux, que le droit a essayé de remplir en 30 ans et que les mousquetaires - ou les mercenaires - de ces Etats généraux ont reçu mission de détruire.
Pourquoi un tel jugement qui pourrait paraître excessif ou erroné à certains ? Parce qu'il faut regarder le contexte, les causes de l'inflation normative et l'application effective des grands principes du droit de l'environnement.
Développer l'efficacité économique court-termisme
Le contexte tout d'abord. Ces États généraux sont lancés quelques jours après la publication du rapport Lambert-Boulard qui constitue un véritable réquisitoire contre le droit de l'environnement et les normes qui rendraient impossible le développement économique. Il est donc impératif selon les auteurs de simplifier au maximum le droit de manière à faire disparaître ces entraves. C'est exactement l'objectif que Madame Batho a donné aux États généraux à savoir simplifier le droit pour développer l'activité économique et les emplois. Certes, il est question dans la communication de l'efficacité du droit de l'environnement, mais la réalité est bien que c'est l'efficacité économique court-termisme qui est visée. C'est également évidemment le principe de précaution qui semble avoir totalement disparu si l'on s'en tient au propos introductif des États généraux. Or, c'est bien le principe de précaution qui est dans le viseur à la fois du Medef et d'une partie de la communauté scientifique liée aux grands lobbys. Ceci au motif que ce dernier rendrait impossible la recherche, la découverte, la mise en œuvre. Or, au-delà du fait que le principe de précaution est un principe de recherche et non d'abstention de la recherche, il est devenu le parapluie de décideurs frileux et surtout le cache-sexe d'une industrie qui n'investit plus mais pour de tout autre raison.
La vérité est que le principe de précaution n'est pas appliqué, ni même du reste celui de prévention lorsqu'il s'agit du nucléaire, des pesticides, des produits chimiques (à l'exception très tardive et encore retardée du bisphénol A - BPA), du diesel, des nanotechnologies etc. La réalité est que le principe de précaution gêne ceux qui veulent se dissimuler derrière le risque de développement pour éviter de voir leur responsabilité mise en cause. Rappelons que le risque des développements exclut la responsabilité des producteurs lorsqu'ils peuvent prouver que l'état des connaissances ne leur permettait pas de connaître un risque. Or, la meilleure manière de ne pas connaître le risque est de ne pas le chercher. Or, précisément, le principe de précaution a pour objectif premier d'exiger la recherche lorsqu'il y a un doute. Dans ces conditions, chacun peut comprendre que l'objectif n'est pas du tout de rendre plus efficace le droit de l'environnement mais bien d'essayer d'éviter que ses principes et les règles qui en découlent puissent être appliqués.
Les vraies raisons de l'inflation réglementaire
Il n'en demeure pas moins qu'il est vrai que la France croule sous les normes. Mais encore faut-il comprendre pourquoi. Le droit de l'environnement est un droit à 80 % d'origine communautaire. Or, chacun peut reconnaître que la France ne brille pas par son attitude à transcrire dans les domaines qui la dérangent ses obligations communautaires. La récente condamnation par la Cour de Justice de l'Union européenne pour la non-application de la directive sur les nitrates qui ne date jamais que de 2009 en est une nouvelle illustration. Mais, la France ne se contente pas de ne pas transcrire. Elle cherche à transcrire souvent en évitant l'objectif visé par le texte. C'est ce qui explique des textes infiniment compliqués et alambiqués destinés en réalité à contourner le texte communautaire pour le rendre en réalité difficilement applicable et pour donner à l'administration française des pouvoirs d'opportunité non prévus à l'origine. C'est une des premières explications d'un code particulièrement touffu.
La seconde explication tient à ce que les grands lobbys qui en réalité font la pluie et le beau temps en France, influent sur le Parlement et surtout le pouvoir réglementaire de telle sorte que le droit protège leur activité et décourage ou rend impossible l'activité de leurs concurrents surtout lorsqu'il s'agit d'activités de l'économie verte. L'absurdité du droit de l'éolien en France, qui ne connaît aucun système comparable en Europe et qui n'est évidemment en rien justifié par le droit communautaire en est une parfaite illustration. C'est naturellement le lobby nucléaire qui est à l'origine de cette complexité volontaire. De la même manière, le recours à la normalisation pour interdire l'usage de tel ou tel produit ou tel ou tel process est plus que fréquent pour couler des concurrents, généralement PME et innovants, dans le but de laisser sur le marché des produits souvent toxiques ou onéreux. Cette floraison qui constitue un véritable détournement de procédure est à l'origine d'une grande partie des normes qui encombrent le paysage.
En troisième lieu, l'administration française a cherché tous les moyens possibles pour s'opposer aux principes de transparence de l'information, de participation du public à la décision et surtout de prise en compte des questions sanitaires à côté des questions environnementales. Pour avoir fait voter en 1996 l'extension des études d'impact au domaine de la santé, j'ai pu juger de l'hostilité que rencontrait cette préoccupation évidente. Enfin, il ne faut pas oublier que dans le domaine de l'environnement industriel, les normes ne sont pas faites par les juristes mais par les ingénieurs. Tout ceci explique la complexité de notre droit. Dès lors, il va de soi que rien ne s'oppose bien au contraire à ce que nous changions de système et que nous simplifions… À la condition que ce soit fait pour rendre le droit de l'environnement plus efficace c'est-à-dire davantage conforme à ses objectifs. Or, l'objectif fixé par la ministre est directement contraire puisqu'il s'agit de réduire tout ce qui pourrait encore apparaître comme gênant à ceux qui sont précisément à l'origine de la complexité.
Pour simplifier, supprimons le principe de précaution, la participation du public qui doit être prise en compte et la responsabilité du pollueur mais gardons la multiplication des procédures pour autoriser les éoliennes et la normalisation à tous crins pour empêcher l'arrivée sur le marché de produits écologiques !
Environnement : une hostilité chronique
Car en définitive, même si le chapitre qui précède est caricatural, ce sont bien les principes du droit de l'environnement qui sont remis en cause. Les règles pourraient être infiniment moins nombreuses si les principes étaient clairement affirmés et les responsabilités inéluctables. Mais en réalité l'objectif n'est pas du tout celui-là mais bien la remise en cause, sous prétexte de compétitivité, de ce qui fonde le droit de l'environnement et par voie de conséquence le droit à la vie. Tant que l'économie française ne comprendra pas que le droit de l'environnement par les contraintes qu'il impose permet en lui-même de prendre en compte la rareté des ressources, les déséconomies externes, la durabilité du marché et donc de l'entreprise, elle perdra du terrain par rapport à ses grands concurrents. L'hostilité des grands donneurs d'ordre français à un véritable changement du modèle énergétique est en passe d'acculer l'économie française dans son ensemble à un retard irrattrapable en particulier au regard de l'Allemagne mais également de la Chine, du Japon et des États-Unis (car il n'y a pas que les gaz de schiste aux États-Unis). De la même manière, ne pas comprendre que la crise sanitaire majeure que nous sommes en train de vivre en raison de l'explosion des maladies chroniques est liée à notre mode de production et de consommation est une hérésie. Plus vite ceci changera, plus nos entreprises seront sur des marchés prometteurs. Or, la feuille de route donnée par ces États généraux du droit de l'environnement va directement à l'encontre de ce qui précède puisque l'objectif n'est pas de s'inscrire dans l'économie verte et de mettre le droit en ordre de bataille pour la favoriser. L'objectif est de pérenniser les secteurs industriels conventionnels polluants et toxiques en faisant en sorte qu'il puisse continuer sans engager leur responsabilité.
Enfin, cerise sur le gâteau, la commission Jegouzo chargée de réfléchir sur l'indemnisation du préjudice écologique, semble n'avoir rien trouvé de mieux que de proposer un établissement public national chargé de réclamer et gérer le préjudice écologique. A l'heure où le gouvernement recherche à tout prix des économies, il est pour le moins curieux de vouloir créer de nouvelles dépenses publiques sauf à penser que le préjudice écologique pourra rentrer dans le puits sans fond du budget, ce qui rendra bien entendu impossible la réparation des dommages causés. Ainsi, les citoyens français seront-ils doublement perdants. D'une part ils seront privés du droit par la voix de leurs associations ou de leurs collectivités territoriales, qui ont créé la réparation du préjudice écologique reconnu par le juge, de réclamer ce préjudice. D'autre part, ils seront privés du droit de voir réparer les dommages qui auront été causés à leur patrimoine collectif.
Oui, malheureusement, la destruction des acquis juridictionnels du droit de l'environnement est engagée.
Corinne Lepage, Députée européenne, Docteur en Droit

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire