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dimanche 4 juillet 2010

Débat à Grenoble : Crise sans issue ?


Après la crise, quelle gouvernance ?

Les controverses du progrès

Faillite des marchés financiers, équilibre environnemental menacé, multiplication des risques de conflits, essoufflement des systèmes démocratiques : la crise est protéiforme. Ce qui l’est moins tient dans l’incapacité générale des Etats à affronter des situations qui dépassent leurs compétences nationales. Pour appréhender ce contraste, nous avons profité des états généraux du Renouveau pour réunir Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et Aurélie Trouvé, coprésidente de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac France). Alors, après la crise, quelle gouvernance ?

Aurélie Trouvé, coprésidente de l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac France).

Pascal Lamy directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)

Pascal Lamy : Premier constat, la crise a effectivement révélé un défaut de gouvernance globale dans le système international et particulièrement dans le secteur de la finance. Les grands pays ont réagi et la création du G20, c’est-à-dire le passage d’un conclave des huit pays les plus développés à une structure à vingt pays, marque la prise de conscience du monde tel qu’il est devenu. Une page vient de se tourner. Deuxième constat : si la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Indonésie, le Mexique et quelques autres sont désormais à la table de la gouvernance mondiale, cela ne fait pas pour autant gouvernement. Il faut être lucide. Dans le monde actuel, il n’y a toujours pas de gouvernement. Il y a un système de gouvernance qui se dessine autour de trois pôles, le G20, les Nations unies, et les grandes organisations internationales.

Aurélie Trouvé : Je partage le constat d’un déficit de régulation. Personne ne s’attaque aux causes profondes de cette crise et chaque institution persiste dans la logique néolibérale. Poursuite du transfert des richesses du travail des salariés vers le capital, vastes plans de rigueurs, exploitation croissante des ressources humaines et naturelles au seul service de la rentabilité à court terme du capital… Ces solutions sont injustes et inefficaces et mènent à une régression et non vers une sortie de crise par le haut. La libéralisation des marchés de biens, de services et de capitaux est le credo des institutions internationales depuis des dizaines d’années. Mais que font-elles pour en amortir les effets néfastes ? Rien du tout.

P.L. : Les économies croissaient de 5% par an mondialement et le taux de rentabilité des entreprises s’échelonnait entre 5% et 8%. A côté, on a envie de dire parallèlement, l’industrie financière filait à un rythme de 15%. Ce n’était pas tenable. C’est cet hiatus qui n’a pas été résolu. Regardez ce qui a été mis en place à la suite de l’effondrement des subprimes américaines : les Etats ont emprunté 1 000 milliards de dollars pour sauver le système mais aucun ne s’est posé la question du remboursement. Et on s’étonne d’avoir un problème de dette souveraine ! Mais je ne suis pas d’accord avec vous sur le fait que c’est la libéralisation qui a amené tout ça. D’ailleurs, quand vous dites libéralisation, vous confondez deux notions très différentes que sont l’ouverture et la dérégulation. Ouvrir ne signifie pas déréguler. Ouvrir les échanges agricoles n’empêche pas de contrôler la sécurité alimentaire. L’OMC est une organisation de régulation mais nous sommes favorables à l’ouverture des échanges puisque l’histoire a montré que les pays qui se sont ouverts se sont mieux développés et, dans l’ensemble, ont mieux réduit la pauvreté.

A.T. : Ce n’est pas mon avis. L’ouverture du marché mondial s’est accompagnée d’une dérégulation généralisée et tous azimuts. L’OMC a d’ailleurs été aux avant-postes en portant des accords qui ont prôné la libéralisation et la dérégulation des services financiers. Cela s’intègre dans une logique globale, elle a promu un démantèlement des règles sociales et environnementales. Quand on ouvre les échanges, on nivelle vers le bas. L’une des conséquences de la libéralisation des échanges est l’augmentation depuis vingt ans des inégalités sociales entre les pays.

P.L. : Vous prônez l’idée d’une taxe miracle sur les banques qui aurait un effet positif sur le comportement de risque des établissements. Prendre de l’argent dans la poche des banques ne fera que répercuter le montant des taxes sur le consommateur. Ce n’est pas comme ça qu’elles feront plus attention aux prêts aux logements.

A.T. : Cette fameuse taxe miracle comme vous dites, c’était une idée plus globale de désarmement des marchés financiers, qui s’accompagne d’autres mesures pour contenir les comportements à risques, on n’y coupera pas. Je voudrai revenir sur l’agriculture et l’histoire de la régulation. Beaucoup de gouvernements africains se sont rendus compte de la nécessité de revenir à des cultures vivrières alors que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) les avaient poussés, via les plans d’ajustement structurels, à recourir aux importations ; au détriment de leur autosuffisance alimentaire. Pourquoi l’Inde - en 2008 - a-t-elle refusé l’accord en matière agricole qui se profilait ? Parce qu’elle ne voulait plus que ses protections douanières s’effondrent. On les comprend, l’agriculture représente plus de la moitié de ses travailleurs. Et on pourrait multiplier les exemples de ceux qui résistent et ne veulent plus se laisser faire. L’OMC est un des acteurs de cette dérégulation. Avant les Etats membres avaient de véritables politiques agricoles d’intervention sur les prix qui leur permettaient des prix rémunérateurs pour leurs paysans, ils avaient à leur disposition toute une série d’autres régulations publiques. L’OMC a poussé à les démanteler. Pourquoi ne pas mettre en place une relocalisation des activités, ce qui ne veut pas dire supprimer tous les échanges ? Si on veut qu’il y ait à nouveau une confiance entre les consommateurs et les producteurs, que les consommateurs puissent à nouveau se réapproprier leurs produits, il faut peut-être envisager une relocalisation des différentes économies.

P.L. : Il y a un risque de crise alimentaire sur cette planète, c’est un problème à la fois économique et agricole. Comme le dit Amartya Sen, le problème de la faim dans le monde, ce n’est pas un problème agricole, c’est un problème de pauvreté. La position indienne que vous avez évoquée ne se présente pas exactement de cette manière. L’Inde est un énorme producteur agricole. Pour l’essentiel, à destination de sa propre population même si elle exporte plus de denrées agricoles qu’elles n’en importent. Ça a coincé parce qu’il y a eu une bouffée imprévue d’importations agricoles, ce qui a impacté tous les équilibres indiens. Les autorités ont donc fait jouer les clauses de sauvegarde. C’est quelque chose qui doit trouver sa solution. Mais ne tirez de cet épisode la conclusion que l’Inde serait contre l’ouverture des marchés agricoles. Pourquoi ouvrir ? Parce que ça marche mieux que l’inverse. Si vous êtes préoccupée d’égalité entre les pays, de réduction de la pauvreté, il faut de la croissance, c’est-à-dire de l’efficience, de la création de richesses, ce qui passe par l’ouverture des marchés. C’est d’ailleurs pour cette raison que les pays en développement poussent à la conclusion des négociations actuelles qui aboutiraient à un cycle supplémentaire d’ouverture des échanges.

A.T. : La socialisation du système bancaire n’est pas la même chose que la nationalisation. On peut changer les règles, sans passer automatiquement par l’Etat. De multiples formes d’initiatives citoyennes peuvent entrer en compte, les formes coopératives bancaires, les initiatives locales, les initiatives de banques régionales, ce ne sont pas les idées qui manquent de remettre le système bancaire au service de la société… Attac n’est pas du tout favorable à la collectivisation. Nous parlons de socialisation, de démocratisation, de réappropriation de l’économie par les citoyens. Sur la question agricole, on a bien vu le problème quand un pays en développement est fortement dépendant des marchés internationaux. Depuis les années 80, les pays pauvres sont passés d’une situation d’exportateurs net à une situation d’importateurs net de produits alimentaires. On met ces pays-là face à d’énormes négociants agricoles. Plus globalement, les pays qui ont le plus souffert de la crise économique sont des pays qui sont fortement dépendants des marchés internationaux, parce qu’ils ont été touchés par la chute des investissements directs étrangers, par la chute des prêts bancaires… Imaginez qu’on supprime l’ensemble des aides agricoles en Europe, en Roumanie ou en Pologne, c’est une catastrophe sociale. Il faut revenir à des prix rémunérateurs, ce qu’empêche l’OMC. Les pays du Sud, à travers de nombreuses organisations paysannes, demandent le droit à la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit de protéger leur marché agricole selon leurs propres besoins.

P.L. : Si vous pensez que la sécurité alimentaire, c’est l’autosuffisance, vous faites erreur. La sécurité alimentaire, c’est quand l’alimentation est disponible et pas trop chère. Le commerce amène les aliments là où il n’y en a pas. En cassant cette courroie de transmission, vous allez rendre des pays affamés encore plus affamés. Concernant les subventions, si vous pensez que l’on peut les remplacer par des prix plus normaux, c’est-à-dire faire payer par le consommateur ce qui est payé par le contribuable, je ne suis pas sûr que cela soit très juste car les impôts sont, en général, plus progressifs que la consommation de biens alimentaires. Vous serez obligée d’ériger des barrières tarifaires gigantesques qui vont, une fois de plus, empêcher les pays en voie de développement de sortir de leur misère. Donc si Attac veut revenir au système colonial, ce qui n’est pas - je crois - son projet politique, il faut reconnaître que l’ouverture des échanges est supérieure à la fermeture.

A.T. : Pour la sécurité alimentaire, il ne s’agit pas d’arriver à une autosuffisance alimentaire totale de tous les pays. Les trois quarts des gens en sous-nutrition sont des paysans qui n’arrivent pas à vivre de leur propre production et qui n’ont pas des revenus suffisants pour acheter. On a vu en Afrique depuis vingt ans une baisse de la productivité agricole et des investissements. Il faut qu’ils retrouvent la capacité d’assurer une grande part de leur consommation. Sur l’affaire environnementale, il faut pouvoir prouver effectivement par a + b, mais vous ne reconnaissez pas le problème du principe de précaution. Par exemple sur les OGM, vous savez très bien qu’il existe une énorme controverse qui n’est absolument pas prise en compte par l’OMC. Concernant les subventions agricoles européennes, on est d’accord pour dire qu’il serait stupide de les supprimer sans rien de plus. Par ailleurs, ce système d’aides n’est pas durable, ça coûte 50 milliards d’euros par an à l’Europe et ne permet pas aux paysans d’avoir des prix rémunérateurs. La seule véritable solution demandée par de nombreuses organisations serait de pouvoir vivre de prix décents au-dessus des coûts de production, tout en contingentant les volumes, ce qui permettrait de ne pas avoir de dumping, tout en faisant en sorte que les pays du Sud retrouvent une capacité alimentaire suffisante, et tout en ouvrant les droits de douane aux pays les plus pauvres pour des produits, notamment tropicaux, que de toute manière nous ne pouvons pas produire. L’OMC devrait davantage être incorporée dans l’ensemble du droit onusien, et mettre en avant le mode de développement et non pas le libre-échange.

Débat animé par MAX ARMANET Retranscrit par YOANN DUVAL

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