L'enrichissement des élites au premier plan
Comment en finir avec les affaires ?
Tout le problème de la corruption des décideurs est le suivant : où se situe le soutien aux activités politiques d'un politicien ? Et quelle est la part de l'enrichissement personnel ? A supposer que, dans l'affaire des ventes de sous-marins Agosta au Pakistan, le contrat ait généré des rétrocommissions vers la France, les sommes allouées au réseau K de Ziad Takieddine s'élèveraient à 4 % de la valeur du marché de 826 millions d'euros, soit 32 millions.
On sait que de curieux versements en argent liquide ont abondé le compte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur, mais ces sommes ne s'élèvent qu'à 1,2 million d'euros, soit 5 % de la commission du réseau K. A supposer qu'elles proviennent de cette source, ce qui est difficilement démontrable sans témoignage direct, où sont passés les 95 % dont toute trace à disparu ? L'intermédiaire en a certainement conservé une part copieuse, mais on ne saura vraisemblablement où est passé le reste que s'il veut bien le dire . Et il est peu probable qu'il s'y risque...
La corruption est une gangrène que la convention de l'OCDE signée par la France en septembre 2000 n'a en rien enrayée. D'autres mécanismes ont été mis en place, de plus en plus sophistiqués, de plus en plus opaques, qui permettent toujours de fausser le jeu normal de la concurrence et des lois commerciales en favorisant les industriels corrupteurs.
Pour ne citer que les armements, les ventes annuelles des pays développés aux pays du Sud se montent bon an mal an à 50 ou 60 milliards de dollars. Un chiffre communément admis évalue à 10 % de ces sommes le volume de la corruption. Soit 5 à 6 milliards de dollars par an, dont une part impossible à chiffrer revient dans les pays vendeurs enrichir les décideurs. Souvent politiques, parfois industriels, même si le sujet est absolument tabou. Aucun des bénéficiaires de cet argent putride n'a été jusqu'ici assez sot pour laisser des traces permettant de remonter les voies des coupables rémunérations. Mais qui sait ? Un jour peut-être cela se produira-t-il !
On entend souvent dans les allées des pouvoirs qui se sont succédé en France - car il ne faudrait pas oublier l'affaire Luchaire, qui a sans doute financé le Parti socialiste dans les années 1980 - que la corruption est le problème des acheteurs, que c'est leur argent public qui se trouve reversé dans les poches personnelles de leurs dirigeants.
J'ai même entendu, à propos de la corruption en Arabie saoudite, qu'il s'agirait "d'une sorte de TVA", rien de plus grave. Que cet argent sali soit celui de l'acheteur, c'est parfois vrai. Mais pas dans le cas du contrat Agosta. Celui-ci aurait généré, tout compris, 10,25 % de commissions, soit 84,66 millions d'euros. Or la Cour des comptes a chiffré le montant des pertes du chantier naval DCN sur ce contrat à 9,2 % du marché initial. L'Etat a subventionné ces pertes.
Conclusion : à 1,05 % près, c'est bien le contribuable français qui a payé les sommes colossales versées au clan Bhutto et aux amiraux pakistanais, ainsi que les hypothétiques rétrocommissions en France. Sans doute, à l'époque, ces commissions - à tout le moins celles qui ne sont pas revenues à Paris - n'étaient pas illégales au regard du droit international ou de la loi française.
Cela les rend-elles acceptables ? Ou un moyen convenable de commercer ? Non plus... Aujourd'hui moins que jamais.
La situation est d'autant plus grave que les armements ne sont pas les seuls biens générant de la corruption. Tous ceux dont le pouvoir politique est seul à décider l'achat, tout en se trouvant sollicités par de multiples vendeurs, sont concernés. Il s'agit le plus souvent de technologies dites "de souveraineté", faisant appel à des savoir-faire évolués, comme les télécommunications, l'espace, l'aéronautique militaire et parfois civile, l'extraction et le traitement des hydrocarbures, le nucléaire civil, etc. Dans tous ces secteurs ou presque, des entreprises françaises ont été accusées de corruption dans de nombreux pays (Pakistan, Inde, Chine, Costa Rica, Nigeria, Libye, etc.). Ces pratiques ont-elles rempli les carnets de commandes ? Pas vraiment. Mais elles ont enrichi des élites, là-bas, et sous nos cieux. Aucun accès de vertu international n'y a rien fait. Il y a hélas fort à parier que ces coupables pratiques ne cesseront pas de sitôt. Les pompes à phynances sont insatiables !
Jean Guisnel, journaliste
Ouvrage : "Armes de corruption massive. Secrets et combines des marchands de canons" (La Découverte, 2011).
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