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lundi 10 octobre 2011

Les arbres ne se cachent pas pour mourrir...

Après les ormes, les marronniers meurent à petit feu
Vous l'avez peut-être remarqué, dans plusieurs régions, les marronniers des cours d'école (et d'ailleurs) dépriment : feuilles marronnasses et recroquevillées, tronc attaqué, branches chétives.
Un prédateur agressif et une bactérie ravageuse, complices dans l'affaire,
pourraient signer la disparition de nos marronniers, comme ce fut jadis le cas des ormes.
La mineuse, chenille assoiffante
Le premier tueur est un papillon dont la chenille creuse des galeries à l'intérieur des feuilles, et obstrue les canaux qui acheminent des éléments nécessaires à la survie du marronnier. On appelle cette chenille la « mineuse ».
La maladie se traduit par un brunissement des feuilles et par leur chute prématurée dès les premiers mois d'été.
Les arbres, ainsi privés d'alimentation et d'eau, sont contraints de puiser dans leurs réserves. Ils sont alors soumis à un grand stress qui les épuisent. Ils pourrissent de l'intérieur, se fragilisent, et c'est alors « la porte ouverte à tous les champignons », explique Jean Mahaud, docteur en sciences de l'environnement et directeur des espaces verts de la ville du Havre.
Ils peuvent dans certains cas s'écrouler sans prévenir, et représentent alors un vrai danger pour l'homme.
C'est pourquoi la direction des végétaux édite régulièrement des avertissements visant à mettre en garde contre la plantation des marronniers. Le service de protection des végétaux dépendant du ministère de l'Agriculture confirme : « Nous n'encourageons pas la plantation de marronnier. »
Le chancre suintant, bactérie tueuse
Le marronnier est également la victime du chancre suintant. Issu de la pseudomonas, une bactérie tueuse, il se manifeste par une boursouflure couleur rouille qui s'étend et remonte rapidement le long des vaisseaux du bois.
Dans ces cas-là, le marronnier meurt en deux ou trois ans. Ainsi, à Roubaix, sur les 159 arbres que comptait la ville en 2001, cinquante seulement ne présentent pas de signe de cette maladie. Le chancre suintant est encore plus meurtrier que la mineuse.
Les marronniers atteints par la mineuse sont indirectement menacés de disparition, puisque les villes « peuvent faire le choix de l'abattage pour des raisons esthétiques ». En effet, les marronniers malades sont « moches six mois de l'année sur douze », rappelle Jean Mahaud.
Depuis les années 2000, la plantation de marronnier connaît un ralentissement remarquable. Il faut dire que leur espérance de vie a chuté en dix ans. Jean Mahaud :  « Un marronnier vivait 120 à150 ans, aujourd'hui, en milieu urbain, il survit trente ans. »
Dans les cours d'école, les directeurs d'établissement se montrent de plus en plus réfractaires aux marronniers, « dont les feuilles tombent, qui bouchent les gouttières et qui font de l'ombre », raconte Jean Mahaud. « On se bat tous les jours pour que les cours d'école ne ressemblent pas à une zone autoroutière. » Les faveurs des directeurs et des paysagistes vont vers les rosacés, comme les poiriers et les pommiers.
Importé des Balkans au XVIe siècle
Le marronnier s'est imposé en France au XVIIe siècle, il a été importé depuis les régions montagneuses des Balkans. Arrivé par Vienne en 1576, le marronnier a progressivement conquis tous les espaces : les allées, les châteaux, et les cours d'école françaises.
Planté à des fins ornementales, il n'a jamais représenté le moindre enjeu économique. A Paris, le baron Haussmann en a planté pas moins de 20 000. Les marronniers, comme les tilleuls, ont séduit nos paysagistes car ils poussent rapidement et occupent un beau volume. « Les marronniers, ça marchait à tous les coups », se souvient Jean Mahaud.
Un arbre du patrimoine culturel français
S'ils disparaissaient, les marronniers laisseront une trace, puisqu'ils appartiennent désormais au patrimoine culturel français. Outre l'inconscient collectif, marqué par les souvenirs d'enfance de batailles de marrons des cours d'école, les marronniers ont aussi une place de choix dans la littérature.
Dans « La Nausée » de Jean-Paul Sartre, c'est le marronnier qui déclenche par exemple l'étonnement philosophique du personnage de Roquentin :
« Donc j'étais tout à l'heure au jardin public. La racine du marronnier s'enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'était une racine. Les mots s'étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. […]
Le marronnier se pressait contre mes yeux. Une rouille verte le couvrait jusqu'à mi-hauteur ; l'écorce, noire et boursouflée, semblait de cuir bouilli. »
Chez Marcel Proust, la référence aux marronniers est récurrente. L'arbre du jardin de Combray est propice à l'introspection et à la lecture :
« Et ne voulant pas renoncer à ma lecture, j'allais du moins la continuer au jardin, sous le marronnier, dans une petite guérite en sparterie et en toile de fond de laquelle j'étais assis et me croyais caché aux yeux des personnes qui pourraient venir faire visite à mes parents. »
Remèdes
Les marronniers trop atteints peuvent être remplacés par des espèces plus résistantes comme le marronnier rouge ou par des espèces hybrides moins sujettes à la maladie. Pour Jean Mahaud, l'urgence est de diversifier les espèces plantées. Les espèces les plus souvent plantées sont les plus touchées.
Pour l'heure, les scientifiques de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) recherchent des ennemis naturels à la mineuse. Ils ont inventé un piège sexuel, qui vise à attirer les mâles [quels ballots ! note du rédacteur en chef] pour les tuer, afin que les femelles ne puissent plus être fécondées. Mais les expériences menées à Lille et à Bordeaux n'ont pas été tout à fait concluantes.
Pour l'instant, l'amer constat de Jean Paul Sartre dans « La Nausée » triomphe : les marronniers « continuaient d'exister, de mauvaise grâce, parce qu'ils étaient trop faibles pour mourir ».
Noémie Buffault, journaliste.

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