La voie de la résilience
(Photo : Morro Bay, Californie. Immortalisé par une chanson de Lloyd Cole, ce lieu mythique obsède le narrateur qui a tout perdu).
RECIT Dans «Et rester vivant», Jean-Philippe Blondel parle d’Amérique et revient sur une catastrophe qui a frappé sa famille alors qu’il avait 22 ans. Grave et profond.
«La nonne lève vers moi un regard de nonne plein de compassion, Je suis habitué à ce regard-là. Je l’attire. Je ne réponds pas. Je laisse glisser», écrit Jean-Philippe Blondel dans Et rester vivant. Après La Baby-sitter et G229, l’écrivain français né en 1964 publie cette fois un ouvrage d’autant plus grave et émouvant qu’il se retourne sur son propre passé, sur la rupture survenue lorsqu’il avait vingt-deux ans: le décès de son père, qui a péri quatre ans après la mort accidentelle de sa mère et de son frère. Pareil sujet suscite au premier abord la stupeur. Et de son côté, le romancier précise qu’il a longtemps hésité à aborder ce drame dans un livre: «Je me disais, explique-t-il en préambule, que si je me mettais vraiment à raconter ce qui a eu lieu, personne ne me croirait. Il y a tout de même des limites à la fiction.»
C’est en 1986 que démarre ce récit. Le narrateur, un jeune homme de 22 ans, vient de perdre son père. Un endroit le hante à ce moment-là, un lieu mythique qui va devenir son objectif: Morro Bay, en Californie. Et cela parce que Lloyd Cole évoque cette bourgade sur la côte du Pacifique dans «Rich», l’une de ses chansons: «So waste away in Morro Bay».
C’est en 1986 que démarre ce récit. Le narrateur, un jeune homme de 22 ans, vient de perdre son père. Un endroit le hante à ce moment-là, un lieu mythique qui va devenir son objectif: Morro Bay, en Californie. Et cela parce que Lloyd Cole évoque cette bourgade sur la côte du Pacifique dans «Rich», l’une de ses chansons: «So waste away in Morro Bay».
RENAITRE, APRES...
Du moment qu’un pan entier de sa famille proche a péri en si peu de temps, le narrateur se considère privé d’attaches et quitte la France pour le Nouveau Monde: «Je ne pense pas utiliser le billet retour», songe le rescapé, pour qui cette escapade outre-Atlantique pourrait bien se transformer en un exil définitif. Un fantasme qui se rallumera à plus d’une occasion pendant le trajet: «Je penserai à ce que je vivrai là-bas, dans les années à venir. Aux gens que je rencontrerai. A ceux que j’oublierai. Je vieillirai à Morro Bay.» Pourtant, l’orphelin ne vit pas seul le voyage aux Etats-Unis puisqu’il s’envole avec deux amis, Laure, dont il a été (et est encore un peu) amoureux, et Samuel, le nouvel élu de Laure.
Les trois sillonnent l’Ouest américain en voiture. Los Angeles, Las Vegas, l’Etat de l’Arizona... Et rester vivant prend des allures de récit de voyage ou de road movie, entrcoupé d’allées et venues dans le passé du narrateur. Echos de l’enfance et de l’adolescence ou bribes de projets parentaux totalement anéantis par la suite des événements se succèdent, alors qu’en parallèle la traversée des States suit son cours. On songe à la halte à Mojave, au bord du désert du même nom, dans un motel géré par Rose, une exilée particulière, et à la relation qui prend forme entre cette femme loin de tout et le narrateur; ou aux mots qu’il adresse à Diane, loueuse d’automobiles: «Quand je serai plus vieux, quand j’aurai disons quarante-six ans, j’écrirai un roman et je parlerai de vous.» L’effet de réel est patent, car Et rester vivant recèle aussi une réflexion sur la création, l’imagination. Et l’ancrage de cette dernière prédiction dans le passé, en 1986, fait croire au lecteur que le livre qu’il tient en main avait été promis, prédit. A pareil régime, l’ouvrage mord çà et là la ligne blanche pas si continue que cela séparant réalité, réalisme et fiction.
Les trois sillonnent l’Ouest américain en voiture. Los Angeles, Las Vegas, l’Etat de l’Arizona... Et rester vivant prend des allures de récit de voyage ou de road movie, entrcoupé d’allées et venues dans le passé du narrateur. Echos de l’enfance et de l’adolescence ou bribes de projets parentaux totalement anéantis par la suite des événements se succèdent, alors qu’en parallèle la traversée des States suit son cours. On songe à la halte à Mojave, au bord du désert du même nom, dans un motel géré par Rose, une exilée particulière, et à la relation qui prend forme entre cette femme loin de tout et le narrateur; ou aux mots qu’il adresse à Diane, loueuse d’automobiles: «Quand je serai plus vieux, quand j’aurai disons quarante-six ans, j’écrirai un roman et je parlerai de vous.» L’effet de réel est patent, car Et rester vivant recèle aussi une réflexion sur la création, l’imagination. Et l’ancrage de cette dernière prédiction dans le passé, en 1986, fait croire au lecteur que le livre qu’il tient en main avait été promis, prédit. A pareil régime, l’ouvrage mord çà et là la ligne blanche pas si continue que cela séparant réalité, réalisme et fiction.
«PIEDS ET POINGS LIES A LA VIE»
En Californie, le narrateur veut retarder le moment d’atteindre Morro Bay, qu’il voit comme la séparation annoncée d’avec ses deux amis. L’échéance s’approche. Mais en un ultime zigzag, le protagoniste dévie de la trajectoire initiale. Il s’aperçoit qu’il est «pieds et poings liés à la vie» et, revenu des marges de la mort, comprend qu’il peut émerger: «Je respire à pleins poumons. Il est temps de remonter à la surface maintenant», glisse-t-il.
En somme, il s’est sauvé. Il ne dilapidera pas ses forces à Morro Bay ni ne se coupera définitivement de l’Europe. A présent qu’il a renoncé, en un dernier coup de volant, à une fin éclair à la James Dean, sorte de miroir de l’accident qui a fauché sa mère et son frère, l’orphelin a résisté au désir d’autodestuction. Plus tôt, il commentait: «J’aimerais avoir vingt ans de plus, que tout cela soit derrière moi.» Vingt ans, vingt-cinq même, ont passé, et sur les débris du cataclysme familial a pu germer ce récit. Ainsi se conclut un livre grave, sans concession, non dépourvu de profondeur, écrit dans un langage fluide et jalonné de phrases brèves comme pour aider à respirer. Un opus qui résonne tel un nouveau départ: «J’espère que, désormais, plus aucun de mes livres ne sera un hommage.»
En somme, il s’est sauvé. Il ne dilapidera pas ses forces à Morro Bay ni ne se coupera définitivement de l’Europe. A présent qu’il a renoncé, en un dernier coup de volant, à une fin éclair à la James Dean, sorte de miroir de l’accident qui a fauché sa mère et son frère, l’orphelin a résisté au désir d’autodestuction. Plus tôt, il commentait: «J’aimerais avoir vingt ans de plus, que tout cela soit derrière moi.» Vingt ans, vingt-cinq même, ont passé, et sur les débris du cataclysme familial a pu germer ce récit. Ainsi se conclut un livre grave, sans concession, non dépourvu de profondeur, écrit dans un langage fluide et jalonné de phrases brèves comme pour aider à respirer. Un opus qui résonne tel un nouveau départ: «J’espère que, désormais, plus aucun de mes livres ne sera un hommage.»
Marc-Olivier Parlatano
Jean-Philippe Blondel, Et rester vivant, Buchet Chastel, 2011, 245 pp.
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