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samedi 22 octobre 2011

Le Coran parle d' écologie pos-moderne...


Le Coran nous parle d’écologie post-moderne
Rencontre avec Mohammed Taleb
REQ : Les pays musulmans sont tout aussi pollués que bien d’autres pays du tiers monde : pourtant on n’entend que fort peu parler d’écologie en terres d’Islam. Comment expliquez-vous ce fait ?
Mohammed Taleb : Il y a deux approches pour parler de l’Islam : celle de la tradition spirituelle et celle de la réalité géopolitique, donc un ensemble de sociétés et d’États qui constituent une part importante du Tiers Monde. Il est évident que la crise environnementale s’avère planétaire et touche ces pays du Tiers Monde qui constituent 85 % de la planète. Il est de surcroît évident que dans l’ensemble du monde arabo-musulman existe une crise écologique majeure, citons en vrac : la désertification, le déséquilibre énergie-démographie-ressources, l’émergence de bidonvilles géants à côté des mégapoles, sortes de no man’s land où les gens n’ont plus, ni les structures psychiques de la ruralité, ni celles de l’urbanité traditionnelle, sans oublier les pollutions diverses accrues par le manque de développement.
La problématique "islam et écologie" se révèle donc double, à la fois liée à un type d’exégèse du Coran, socle de son identité croyante, et aussi à un impératif de survie lié à la situation même des sociétés arabo-musulmanes : ce ne peut en aucun cas être une option parmi d’autres. On ne le dit pas assez : la crise environnementale handicape le déploiement des sociétés dans l’avenir, en annihilant les virtualités créatrices qu’elles ont. L’écologie doit s’incarner dans des alternatives concrètes et globales au sein de véritables politiques d’action. Pour cela, il faut que les corps sociaux se mobilisent : il faut que l’écologie n’apparaisse pas comme une sorte de nouveau gadget venu du monde occidental, mais comme un bien local qu’on a ramené à la surface. Si l’écologie ne se marie pas à la culture arabo-musulmane, elle apparaîtra comme une greffe qui sera rejetée. Il faut « endogénéiser » cette écologie.
Au niveau des pratiques il y a certes une universalité des écologies : mais on ne peut pas réduire l’écologie à un environnementalisme doublé d’un catalogue de mesures à prendre. L’écologie doit s’enraciner dans une vision du monde propre à chaque culture. En cela, l’islam a une spécificité, parallèle voire complémentaire à d’autres traditions.
REQ : Cette spécificité, d’après-vous, quelle est-elle ?
M.T. : L’approche de l’Islam s’avère de type pananthéiste. La crise écologique a un rapport avec la crise théologique, celui du dualisme ontologique : c’est le fait d’avoir coupé l’espace du divin et du sacré d’avec l’espace de l’humain et de l’univers physique. Selon la doctrine de la création ex nihilo, Dieu aurait créé le cosmos comme un potier fabrique une poterie, avec une distance physique entre les deux, le créateur et son monde.
Il y a une autre approche, qui est celle du panthéisme et qui assimile le monde et Dieu. L’approche musulmane est différente, pananthéiste, elle voit une inclusion du cosmos à l’intérieur du divin. D’après la théologie musulmane, la vraie tension créatrice n’est pas entre Dieu et l’homme, entre un infini et sa créature-création, mais à l’intérieur même du divin entre deux pôles, deux états (comme on parlerait des deux états de la langue : parlée et écrite), deux dimensions du divin qui sont définies, chez Ibn’Arabi par exemple, comme deux façons de concevoir l’unité de Dieu : ahadiya, l’unité de Dieu principielle non manifestée, c’est l’essence du divin, et wahdaniya, l’unité manifestée, l’unité en acte, c’est le déploiement divin, c’est le Dieu qui est là, partout, en tant que créateur.
L’essence de Dieu est ineffable, l’existence de Dieu, c’est le cosmos. Nous sommes donc à l’intérieur de Dieu, nous somme l’existence même de Dieu. Et ce, sans pour autant que la transcendance divine soit saisissable. Dans la tradition musulmane, cette vision cosmo-humaniste permet de voir qu’il n’y a pas seulement un dialogue intime entre le divin et l’humain, mais aussi entre le cosmos et le divin.
REQ : Le Coran lui-même en parle-t-il ?
M.T. : Oui, il y a ainsi un très beau passage du Coran où Dieu veut proposer le dépôt de la connaissance absolue. Il va voir d’abord le ciel, les montagnes, la terre. Et, après leurs refus successifs, il va voir l’homme, et celui-ci accepte. Les théologiens musulmans n’insistent que sur la deuxième partie de l’histoire, l’homme qui accepte de porter la connaissance ultime, ce qui fonde l’humanisme en Islam. Mais on oublie la première partie, ce dialogue divino-cosmique qui fait que du point de vue de Dieu, la terre, les montagnes, le ciel, sont des partenaires dans un dialogue. Dans une autre sourate du Coran, qui s’appelle "Le tremblement de terre", où il est dit d’abord qu’un jour la terre secouera son fardeau et racontera son histoire, il est écrit, juste après : « Celui qui a fait un atome de bien le verra, celui qui a fait un atome de mal le verra ». Ce dit de la terre est donc lié à un rapport vivant, subtil entre le Créateur, l’humanité et la terre. Soit dit en passant, il n’est pas dit que la conclusion de cette histoire soit forcément en faveur de l’humain !
Il y a donc dans le Coran une dimension à la fois cosmique et écologique qui a rarement été actualisée et montrée. Si elle l’était, elle permettrait deux choses : d’abord la fondation d’une théologie musulmane de la libération, et parallèlement, une théologie cosmique - dans la mesure où la libération de l’humanité oppressée est intimement liée à la remise en cause des structures d’oppression de la terre elle-même. Parce que l’injustice sociale et l’injustice écologique procèdent de la même racine : celle, depuis 400 ans, d’un mouvement historique de la société capitaliste occidentale dont le cœur, qui est plutôt un cœur durci, n’est pas uniquement l’exploitation des hommes (car tous les systèmes préexistants ou capitalistes ont été aussi des systèmes d’exploitation des hommes), et pas non plus l’accumulation du capital et des richesses, car c’était aussi le cas précédemment, mais dont le cœur (ou l’absence de cœur) se trouve dans ce que l’on appelle en philosophie, la réification ou bien l’objectivation marchande : c’est à dire la transformation en objet de tout ce qui existe, les femmes, les hommes, les enfants et la nature. Et cette réification fait advenir des figures monstrueuses : la nature objet d’un côté, l’Homo economicus de l’autre.
Donc la référence à l’islam nous permet de réfléchir à une approche holistique, nous libérant de l’approche marxiste classique, qui réduisait souvent le capitalisme à un mode de production économique et renvoyait dans les superstructures tout ce qui relevait du culturel, du politique ou l’idéologique et du spirituel. Alors qu’aujourd’hui, on découvre une approche plus intéressante, qui consiste à penser le capitalisme comme un phénomène multidimensionnel affectant bien sûr l’économie avec la vision libérale du marché, mais affectant aussi l’agriculture, avec un modèle chimico-intensif, affectant l’architecture, avec un modèle fonctionnaliste, affectant les sciences avec un modèle scientiste et positiviste, etc. Le capitalisme se déploie partout : d’où l’importance de penser son alternative de façon holistique.
On a ainsi besoin d’alternatives : des économies solidaires, des architectures vernaculaires et de l’écohabitat, de nouveaux paradigmes scientifiques qui remettent en cause le scientisme borné, des médecines parallèles, etc... Il faut articuler justice, économie, écologie et spiritualité, comme le font bien des penseurs du Tiers Monde. Une figure comme la grande Vandana Shiva qui, dans les milieux altermondialistes occidentaux, est juste perçue comme une héroïne des anti-OGM, est en fait d’abord une grande philosophe des sciences. Elle a travaillé, entre autres, sur la responsabilité du scientisme du 19e siècle dans le chaos du monde contemporain. C’est une grande féministe, qui essaye de dépasser le modèle occidental, en réconciliant féminité, écologie et justice sociale. C’est vraiment dans cette dimension que je voudrais que l’Islam contemporain puisse s’intégrer au-delà de l’impasse réductrice de l’Islam libéral et normé à l’occidentale et, bien sûr, au-delà des démons de la logique fondamentaliste. Une troisième voie se dessine là, qui pourrait être celle d’une "éco-théologie de la libération", où on ne confondrait pas la politique et le religieux, mais où on ne les séparerait pas non plus de façon absolue, comme dans l’intégrisme laïc. Ce serait une voie où on pense à l’interaction du divin, du cosmos et de l’humain.
Sur cette souche là une véritable écologie musulmane pourrait alors prendre son essor et rejoindre ses alliés dans le combat pour sauver la planète et l’humanité.
Mohammed Taleb est intervenu aux Rencontres Régionales de L’ Ecologie à Die (REQ) lors de plusieurs conférences et une formation de six mois sur « Ecologie et Philosophie » au Tchaï Walla.  

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