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samedi 4 septembre 2010

Après la fin de l' art


Est-ce qu'il y a un art après la fin de l'art ?

Les situationnistes avaient annoncé dans les années cinquante et soixante le «dépassement» et la «réalisation» de l’art. Pour eux, l’art avait perdu sa raison d’être et son histoire était terminée ; et Guy Debord a réaffirmé en 1985 que cette proclamation n’était pas exagérée, parce que «depuis 1954 on n’a jamais plus vu paraître, où que ce soit, un seul artiste auquel on aurait pu reconnaître un véritable intérêt» [Guy Debord, préface à Potlach 1954-1957, éditions Gérard Lebovici, 1985].
- Si l’on prend au sérieux les thèses situationnistes — et il est devenu difficile de ne pas le faire — alors surgit inévitablement cette question : comment se poser aujourd’hui face à la production artistique qui a continué dans le demi-siècle qui nous sépare de la fondation de l’I.S., et dans des proportions auparavant inimaginables ? La condamner en bloc est assurément très cohérent, mais n’offre aucune explication de ce qui est advenu, c’est-à-dire l’échec du projet historique de réaliser l’art dans la vie. Le dépassement de l’art tenté par les situationnistes a été en vérité un projet de sauver l’art, une dernière grande déclaration d’amour pour l’art et la poésie, jugés trop importants pour être laissés aux artistes et aux institutions culturelles. Ce n’était pas la créativité artistique que les situationnistes considéraient comme périmée, mais la fonction sociale de l’art, devenu incapable de contenir les richesses possibles de la vie humaine.
- On doit admettre — et Debord lui-même l’a fait — que la réalisation de l’art n’a pas eu lieu. L’assaut du ciel est retombé sur terre, la société capitaliste spectaculaire, sérieusement ébranlée autour de 1970 (et il n’y avait pas que des révolutionnaires exaltés pour l’affirmer — il suffit de lire les rapports du patronat de l’époque [Par ex. en Luc Boltanski/Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard 1999, p. 249]) a réinstauré son règne sans partage, qui voit pointer à son horizon non plus la révolution, mais la chute définitive dans la barbarie généralisée. Dans cette situation, l’art qui, dans les années soixante, pouvait aux yeux des esprits les plus «avancés» sembler trop peu par rapport au «grandiose développement possible» [Internationale situationniste no 8 (1964)], ferait aujourd’hui figure de dernier refuge de la liberté. S’il n’est pas la richesse humaine réalisée, il pourrait être au moins ce qui en tient lieu, le souvenir, l’annonciation de sa venue possible. Ce serait mieux que rien. On pourrait donc finalement donner raison aux thèses de Theodor W. Adorno avec une argumentation «situationniste».

Texte d’Anselm Jappe, auteur de Guy Debord. Essai, Denoël (2001) et Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël (2003).

Critique radicale de la valeur

(Lire la suite sur notre blog débat :

http://mediascitoyensdioisdebats.blogspot.com/2010/09/apres-l-art.html

2 commentaires:

  1. Très intérressant, merci d'envisager ces questions sur MCD.
    Pas le temps maintenant d'aller sur blogspot lire la suite, mais j'irais dès que possible.
    Et l'illustration est magnifique de justesse. Inspirée, Arty à souhait, et en lien avec la question climatique. Bravo.

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  2. Lu l'article en entier ce week end. Je me demande ce que les peintres aborigènes australiens (par exemple)penseraient de ce texte. (il est vrai que le nom de Duchamps pour eux ne signifie pas grand chose.)
    Perso j'envisage l'art contemporain comme un alibi, un masque concédé à l'époque dans une logique de guerilla. Rien qui valent en soi.

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