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jeudi 9 septembre 2010

Exode urbain ou Exil rural...


Pauvres périurbains...

A partir d’un exemple concret pris dans le Monde Diplomatique, les plus optimistes déchanteront sur les bienfaits supposés de l’étalement urbain et sur le goût des plus modestes pour les périphéries lointaines d’une grande agglomération méditerranéenne : Montpellier.

L’enquête de Gatien Elie, d’Allan Popelard et de Paul Vannier dans le Monde Diplomatique d’août 2010 porte un titre ambitieux : Exode urbain exil rural. Les trois auteurs ont centré leurs recherches sur le département de l’Hérault, et plus précisément sur une petite ville de quatre mille habitants située à trois quart d’heures de voiture au nord de Montpellier : Ganges. La ville se situe sur les premiers contreforts des Cévennes, entre 200 et 500 mètres d’altitude. C’est un long article étalé sur six colonnes, comme de coutume dans le mensuel. Cette pleine page permet au trio de ne pas survoler le sujet. Et même si l’on ne partage pas l’opinion des auteurs selon laquelle le marché porte une responsabilité centrale dans l’exil des citadins pauvres, on ressort de la lecture de cet article compatissant vis-à-vis des accablés de la périurbanisation. Les témoignages illustrent le propos à bon escient.

« Originaires de la banlieue montpelliéraine, Bernard et Christine, jeunes retraités, sont arrivés en 2008. Lui travaillait chez Nicollin, l’entreprise de nettoyage urbain. Elle faisait des ménages dans les collèges de la région. Le passage à la retraite a entraîné une diminution brutale des revenus du couple. Ils tentent alors de solder les crédits à la consommation contractés pendant leur vie active, mais n’y parviennent pas. Surendettés, ils ne peuvent plus faire face à l’augmentation de leurs dépenses. La hausse des impôts locaux les contraint finalement au départ. » La conclusion ne s’impose pas logiquement. Bernard et Christine partent de Montpellier parce qu’ils ne reçoivent ni primes ni compléments de salaire. Ils ont quitté le monde des actifs. Dans la même situation, certains retraités de fraîche date arrondissent leurs fins de mois en accomplissant de menus travaux, dans l’entretien des espaces verts, ou dans les services domestiques. Pour regrettable qu’il soit, le couperet de la retraite ne tombe pas à l’improviste. Il surprend qui ne s’y prépare pas plusieurs années auparavant.

« Trois cantons ruraux sur quatre ont ainsi affiché un solde migratoire positif au cours des années 1990. […] Le repeuplement des espaces ruraux n’est pas le monopole des classes moyennes et supérieures, de ces jeunes cadres à la recherche d’un mode de vie plus agréable qui accèdent à la propriété pavillonnaire avec leur famille. Il existe aussi un exode urbain des classes populaires qui a contribué à modifier la sociologie des campagnes, si bien que leur population est actuellement constituée à 60 % d’ouvriers et d’employés [Christophe Guilluy et Christophe Noyé / Atlas des nouvelles fractures sociales en France / Autrement, Paris, 2006, p.38] » Les auteurs n’exploitent pas assez cette donnée révolutionnaire, jugeant plus utile d’établir un parallèle avec l’exode rural des classes laborieuses lors de la révolution industrielle. Dès lors, ils effacent le facteur premier de l’exode : la difficulté pour les intéressés de se loger en fonction de leurs moyens, parce que les prix de l’immobilier dépassent leurs moyens dans la métropole. Non seulement les auteurs ne mettent pas en valeur l’argument, mais ils le desservent en l’accolant à un autre, lui très contestable : « Si le phénomène [de l’exode urbain] est lié à la crise du monde agricole, il s’explique aussi par l’arrivée de néoruraux pauvres. » Ce n’est pas parce que les mineurs ont cessé d’extraire du charbon qu’à Hénin ou à Lens des gens se sont installés dans le Nord. Quant à la question agricole, elle ne se résout pas à l’équation déclin des exploitations = vente de terrains agricoles. L’agglomération bordelaise s’est étendue sans se soucier de l’une des appelations les plus prestigieuses de la région (appelation Pessac – Léognan), même au moment où le prix des meilleurs crus s’envolait [voir Le cru bourgeois gentilhomme…].

Sylvie, vit dans le nord du département, dix ans après avoir perdu son travail à Paris. Ganges lui avait plu en été. Au départ, elle a sous-estimé les obstacles futurs. Ceux-ci se sont multipliés lors de son installation définitive, transformant le séjour estival dans la petite ville en un cauchemar toute saison. Elle a d’abord jubilé en comparant le niveau des loyers de la capitale avec ceux de la petite ville de l’Hérault, sans prendre le temps de considérer la vétusté et l’absence de confort de son logement… Au sud du Massif Central, l’hiver est rigoureux. Tant que l’anticyclone du golfe du Lion repousse loin les perturbations, la pluie se fait rare. Mais lorsque l’été se clôt, le parapluie se referme, laissant passer les nuages chargés d’humidité océanique. Le logement de Sylvie est mal isolé. Elle n’est pas la seule dans ce cas, et bénéficie de toutes façons d’un différentiel thermique appréciable par rapport à sa ville d’origine. Les auteurs utilisent l’image du piège qui se referme. Celle-ci sonne juste même si elle généralise indûment la bêtise et l’ignorance des néoruraux pauvres. A n’en pas douter, nombre d’entre eux ne nourrissent aucune illusion. Ils n’ont pas d’alternatives bien qu’ils n’aient pas jaugé toutes les implications d’une installation à Ganges.

« Après un arrêt maladie, Anne cesse son activité et décide d’aller vivre avec sa fille à Montpellier, ‘mais le prix des logements [les] fait reculer. D’abord quinze, puis vingt kilomètres… et on atterrit à Ganges ». Elle ne se satisfait pas de son CDD à l’école communale (810 euros par mois). Mais au lieu d’élever des animaux et de cultiver quelques fruits et légumes, elle fréquente les Restos du coeur et la banque alimentaire, citadine vivant loin de la ville sans vivre à la campagne. Le taux de chômage de la ville (15 %) dépasse celui du département (13,7 %), qui lui-même surpasse celui de la France (10 %). Huit emplois sur dix découlent de l’activité résidentielle saisonnière et/ou touristique. Qui veut demeurer à Ganges doit en pratique s’accommoder d’emplois précaires et mal rémunérés. L’article se tait sur ce point, mais les deux emplois restants doivent être liés à la mairie (?). Autant dire qu’un nouvel arrivé part avec un handicap par rapport à un habitant bien introduit.

Les offres d’emplois les plus intéressantes se situent à Montpellier, note Anne. Elle a donc parfaitement compris dans quelle impasse elle s’est engagée. A Ganges, elle ne trouvera rien de satisfaisant, mais elle n’a pas les moyens de postuler pour un poste dans la métropole voisine. Même retenue, elle ne pourrait ni se loger à Montpellier, ni parcourir chaque jour la distance de cinquante kilomètres la séparant de son lieu de travail. Comme Anne, beaucoup survivent grâce à des loyers modiques, s’ils sont locataires. Mais les auteurs préfèrent dénoncer ceux qui profitent de la misère, les « marchands de sommeil » qui louent sans entretenir leurs logements, et les « enseignes de hard discount » qui ouvrent des magasins. Ce n’est pas le propre de Ganges. En outre, l’argument se retourne facilement : heureusement que des propriétaires acceptent sans sourciller des locataires démunis. A Montpellier, il faut présenter une fiche de salaire et verser une caution. Et si Lidl, Aldi et Leader Price n’existaient pas, leurs clients se rendraient ailleurs, et achèteraient plus cher leurs chips, biscuits d’apéritifs, confiseries industrielles et autres barres chocolatées…

La commune compte environ trois cents personnes en situation délicate, ayant recours aux services de la Banque alimentaire, selon les estimations du maire. La responsable du Secours Populaire confirme ce chiffre (trois-cent cinquante personnes prises en charge à l’année) en précisant qu’il gonfle sensiblement en hiver pour atteindre le cap des cinq cents. Un groupe hétéroclite composé de travailleurs pauvres, de retraités touchant le minimum vieillesse, d’errants et de paumés… Les auteurs constatent que les périphéries rurales de grandes villes ne s’harmonisent même pas. Car des maires de petites communes ont opté pour d’autres stratégies foncières. A l’heure de la décentralisation, certains ne sont peut-être pas prêts à brader des terrains pour attirer des jeunes couples avec comme objectif de remplir les classes de l’école communale, comme on le voit ailleurs (voir La spéculation a bon dos). Quitte à s’insurger contre des politiques publiques, les auteurs convaincraient davantage en s’attaquant aux causes de la flambée des terrains constructibles dans les agglomérations de Montpellier.

Le peuple est sot, se désespèrent sans oser l’écrire Gatien Elie, Allan Popelard et Paul Vannier. Or les néoruraux ne cherchent pas à embellir les faits. Ils regrettent leur Montpellier. « ’J’ai de bons souvenirs de ma vie dans ma cité. C’était un village, cette tour. On discutait, tout le monde se connaissait.’ La ville se métamorphose en village et le village est souvent décrit comme un ghetto, un terme utilisé par les travailleurs sociaux du canton, qui ne perçoivent pas de différence sensible entre la pauvreté des cités de banlieue où ils travaillèrent autrefois et celle des campagnes qu’ils parcourent maintenant. Parmi les néoruraux, certains en viennent presque à regretter les espaces de loisirs marchandisés et de convivialité scénarisée. ‘On avait notre magasin, notre Auchan. On était bien, à Montpellier.’ » Et alors ? Le texte se termine par une critique acerbe de la gestion de l’agglomération montpelliéraine. Mais je ne vois pas le lien entre l’urbanisme, « assemblage postmoderne de citations formelles antiques » et le « libéralisme municipal qui ordonne l’espace pour le libre déploiement du marché. »

Je fais mien en revanche ce qui suit. « Happés par le tambour de la grande lessiveuse métropolitaine, celle qui fait place nette pour les classes moyennes dans les centres-villes, les plus pauvres débutent leur exode vers les lointains ruraux, chassés de Montpellier, cette ‘nouvelle Athènes’ où seule ‘une minorité de libres citoyens sont possesseurs des lieux sociaux et en jouissent’. » Le constat porterait mieux à mon sens s’il ne recyclait une diatribe contre les rêveurs d’hier. « La critique, par une fraction de la bourgeoisie urbaine, d’un mode de vie inauthentique, standardisé et artificialisé, associée aux luttes de l’écologie politique, entraîna dans les années 1970 un renversement positif des représentations de la vie à la campagne. La récupération de cette critique par le capitalisme l’a inscrite dans le champ de l’idéologie dominante. […] La valorisation marchande du milieu géographique – en particulier dans le cadre méditerranéen – et la mise en scène de la civilisation paysanne dans les grandes cités – marchés de producteurs présentant le folklore de leur métier et l’authenticité de leurs produits – ont sans conteste participé à l’élaboration d’une fiction à travers laquelle les néoruraux pauvres parviennent souvent à sublimer la relégation socio-spatiale dont ils sont l’objet. »

Apis

Exil plutôt qu’exode. Le peuple élu suit Moïse à travers la mer Rouge pour fuir l’esclavage… C’est l’inverse qui se produit entre Montpellier et Ganges.

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