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vendredi 3 septembre 2010

Mémoire vive : les camps d' incarcération de Crest

Quand l’ état incarcérait les Alsaciens Lorrains Romanichels : Un camp à Crest dans la Drôme de 1915 à 1919 .

Un camp de concentration français pendant la Première Guerre mondiale, le mot n’est-il pas trop fort ? C’est cependant le terme qui convient pour ce type d’ incarcération inventé par les Espagnols lors de leur guerre contre Cuba, et repris par les Anglais pour la guerre des Boers.

A Crest, au cœur de la Drôme, ont été internés dans un ancien couvent les Tsiganes alsaciens-lorrains dès le début de la Grande Guerre . Les conditions matérielles de leur internement sont dures, mais non insoutenables, et, pendant quatre années - de 1915- à 1919, bien après l’armistice - se met en place une administration qui doit gérer la vie quotidienne - surveillance, hygiène, école, travail -, tandis que se multiplient les formes de résistance, dont témoignent les correspondances entre familles ou avec l’administration, et les plaintes de la population. On a préféré oublier.

Roms : de l’accueil à l’exclusion

Si en 1427, l’arrivée des Tsiganes aux portes de Paris fait sensation, et leurs talents d’amuseurs les rendent vite populaires. Ils se présentent souvent comme des pèlerins, se donnent des titres prestigieux comme comte ou duc d’Égypte, mangent à la table de grands seigneurs ou sont nourris par les communes en échange de leurs divers talents (musiciens, mais aussi vanniers, maquignons, dresseurs etc.). Ils obtiennent des lettres de protection de monarques, comme les "Bohémiens", un groupe entré en France avec une lettre de protection du roi de Bohême. A la Renaissance, le mystère qui leur était attaché relevait du merveilleux, c’est l’époque de la découverte des Indes occidentales et orientales. A partir du XVIIe siècle, ce mystère les rend dangereux. On les voit comme des voleurs de poules, des voleurs d’enfants, des femmes trop libres. Les dictionnaires diffusent les mêmes clichés populaires. Les danses sont assimilées à une manifestation de lubricité, diabolique comme pour la bonne aventure. Le Code du noir de Colbert est publié en 1685 : Les populations barbares, sauvages méritent d’être des esclaves. Le noir apporte la malédiction au propre et au figuré.

Tous ces clichés surtout dans les campagnes, se renforcent du XVIIe au XIXe, accompagnés d’une répression des autorités : 11 juillet 1682, déclaration du Roi Louis XIV rendue contre les Bohèmes et ceux qui leur donnent retraite ; juillet 1749, en Espagne : les Cortes procèdent à une grande rafle ; tous les Gitans sont arrêtés : 16 000 en Andalousie, Castille, Catalogne. En 1792, les Tsiganes vivant en Alsace-Lorraine sont pourchassés par l’Armée. Au XVIIIe et début XIXe siècle, le mouvement d’exclusion et de persécution se renforce.

L’immigration à plus grande échelle commence dans les années 1860, avec des groupes de Romanichels (Romani Tchave) du Royaume-Uni. Le plus grand nombre d’immigrants viennent au début des années 1900, principalement du groupe kalderash valaques.

La répression légale de la République

Le nationalisme s’accentue au cours du XIXe siècle, surtout après la défaite de la France face à l’Allemagne en 1870 et la perte de l’Alsace Lorraine. A partir du milieu du XIXe siècle, les Tsiganes d’Europe Centrale arrivent avec leur culture (les Roms de Roumanie libérés du servage aboli en 1850). Ils sont nomades.

Toute une campagne xénophobe se développe dans les années 1880 - 1910. L’Etat multiplie les dispositifs pour surveiller, poursuivre et arrêter. La Gendarmerie créée sous la Révolution est consolidée dans la deuxième partie du XIXe siecle.

Un fichage rationalisé commence avec le système d’ Alphonse Bertillon (1851-1914), créateur de l’identité anthropométrique et chef de l’identité judiciaire. Les pouvoirs publics nomment désormais les Tsiganes de nomades.

En Mars 1895, les Tsiganes sont recensés dans tous les départements. Clemenceau, ministre de l’Intérieur, Crée des brigades mobiles de police (Brigade du tigre) en 1907 pour surveiller le territoire et les frontières. Ces brigades commencent à ficher les Tsiganes à partir de 1907. Elles établissent le carnet anthropométrique d’identité (mensurations, photographies, empreintes digitales) pour les adultes et les enfants. En 1912, la loi du carnet est votée, elle l’institutionnalise. Il doit être visé à l’entrée et à la sortie de chaque commune. Chaque Tsigane doit avoir un carnet individuel dès l’âge de 13 ans, plus un carnet collectif pour le chef de famille. Ce carnet a été obligatoire de 1912 à 1969.

Après la défaite de l’Allemagne en 1918, l’Alsace-Lorraine redevient française et la méfiance à l’égard des Alsaciens (46 ans allemands) est à son comble. Différences culturelle, linguistique... Les Bohémiens nomades "Zigeuner" présents sur le territoire sont arrêtés et envoyés avec les civils dans des dépôts de l’ouest et sud-est, accusés d’être des espions.

Le camp de Crest (photo Sauvageon)

Le camp d’internement de Crest est créé. En Juin et juillet 1915 arrivent de la majorité des Tsiganes au camp de Crest (Drôme). Ils ne seront libérés qu’ un an après la fin de la guerre !

Les camps d’internement, généralement associés à la seconde guerre mondiale, ont pourtant vu le jour sous cette dénomination, de 1914 à 1919 sur le territoire français : 70 en tout, dont celui de Crest. Selon le discours officiel, la finalité de ces camps est strictement militaire : priver l’ennemi de combattants potentiels et éliminer toute entrave à l’effort de guerre.

« Le camp de Crest est le seul en France à héberger une population essentiellement tsigane. Avec la mobilisation générale, ils deviennent la cible privilégiée des autorités civiles et militaires. Le 17 juillet 1915, un télégramme du préfet au maire de Crest institue cette création. Dès le 23 juillet, vers 9h30, arrivent par train 112 Alsaciens romanichels. Puis les arrivées se succèdent, portant la population jusqu’à 170 personnes, population caractérisée par son hétérogénéité et son extrême jeunesse.

Un règlement précis et détaillé gère le fonctionnement du camp, permettant par exemple à certains de sortir, dans un rayon déterminé, pour chercher du travail. Le poste de garde et le commissaire de police en sont les principaux contrôleurs. » explique l’ historien Hervé Mauran.

La « mise au travail » des internés s’intensifie avec la pénurie des travailleurs ; un certain nombre d’internés exercent leur artisanat à l’intérieur du camp, d’autres participent à l’entretien des locaux. Mais très vite ces facilités seront réduites, puis supprimées, prenant prétexte d’abord de certains débordements de quelques individus, mais surtout de la peur manifestée par la population surtout féminine des campagnes.

Les interventions extérieures d’inspection des conditions matérielles suscitent plus de rapports que de résultats concrets. Le principal soutien des internés vient de la solidarité familiale.

Le camp de Crest

Les sorties définitives du camp sont motivées par des « promotions » (rapatriement, rapprochement) ou des sanctions. Les évasions se produisent surtout dans les années 1918-1919, dues à l’impatience des internés et peut-être aussi à la diminution des effectifs de gardiens. Le camp ferme définitivement et officiellement en novembre 1919

En 1939 on ré-ouvre les camps : Les camps d’internement de la guerre de 1939-1945.

L’histoire recommence. Les mêmes fantasmes apparaissent : danger social, source d’insécurité, marginal, criminogène, espion... La République de 1940 décide d’assigner à résidence tous les Tsiganes dits nomades, voyageurs. Après sa défaite de juin 1940, la France est occupée par les Allemands. Début octobre, le gouvernement nazi ordonne d’ouvrir des camps pour y interner les Tsiganes. L’ordre est allemand, la réalisation est française, du ressort de l’administration de Vichy. Entre juillet et novembre 1933, des Tsiganes sont stérilisés, d’autres envoyés dans des camps de concentration comme asociaux. Ils portent le triangle noir, symbole des asociaux ou vert, symbole des criminels, parfois marqué de la lettre Z pour Zigeuner. Entre 250 000 et 500 000 Tsiganes, sur les 700 000 qui vivaient en Europe, ont été exterminés pendant la seconde guerre mondiale par les nazis et leurs alliés. Ce génocide souvent oublié porte le nom de Samudaripen .

L’indifférence persiste après l’installation du gouvernement provisoire de la République.

En décembre 1944, cinq camps sont toujours en activité. Ceux qui sont libérés manquent de tout, ils rentrent à pied chez eux et démunis, dépossédés de leurs biens. Les Tsiganes libérés sont aussitôt assignés à résidence avec interdiction de quitter la commune jusqu’à la loi du 10 mai 1946 portant fixation de la date légale de cessation des hostilités. La presse, les manuels scolaires, l’Etat ont choisi l’amnésie. Les Tsiganes sont restés marginaux dans la mémoire collective française.

Les camps d’internement : un chaînon manquant de l’histoire de la Drôme

La France a installé, dès 1939, des camps de "concentration" pour y accueillir les "étrangers indésirables". Dans le département de la Drôme, deux camps, Loriol et Montélimar, ont été ouverts de septembre 1939 à mars 1941, dans d’anciennes usines.

Le camp de Montélimar était un centre de rassemblement non gardé ayant rassemblé 550 hommes, femmes et enfants.

Le centre de Loriol était un centre gardé, aux conditions d’ hébergement assez précaires, où sont passés environ 400 internés. Les internés étaient surtout des Allemands, des Autrichiens, des Espagnols, des Italiens etc, dont de nombreux Juifs et antifascistes. De janvier à mars 1941, des communistes, des syndicalistes drômois y ont été enfermés. Max Ernst a fait un court passage au camp de Loriol. Des recherches inédites sur ces camps ont été conduites par Jean Sauvageon.

Un camp d’étrangers à Crest 1941 - 1945

De 1941 à 1945, environ 600 hommes de 13 nationalités (Tchèques, Espagnols, Allemands et Autrichiens antinazis ) ont été internés dans le 352ème Groupement de Travailleurs Etrangers (GTE) installé dans une usine désaffectée de Crest. Considérés comme étant "en surnombre dans l’économie nationale", ils fournissaient une main d’ oeuvre bon marché à l’agriculture et aux coupes de bois.

Le GTE alimentait aussi les chantiers du mur de l’Atlantique. Beaucoup de ces hommes avaient participé à la guerre d’Espagne ou aux combats de mai 40 aux côtés des Français. Dans des conditions de vie difficile, sous-alimentée, ils subissent les sévices d’un chef de camp odieux. Parce qu’ils étaient juifs ou communistes, socialistes, anarchistes ou antinazis, ils vivaient sous la menace constante des rafles. D’autres sont morts dans la Drôme, fusillés ou tués dans les affrontements de 1944.

Nombreux en effet sont ceux qui s’évadent, vivent dans la clandestinité, s’engagent dans la Résistance française, les organisations clandestines ou les maquis d’Allemands antinazis. Beaucoup continueront ce combat dans les guérillas puis dans l’armée française jusqu’à l’écrasement du Nazisme. « Ils ne seront guère récompensés de ces souffrances et de ces sacrifices. » explique Robert Serre

La législation actuelle

Les lois dites “Lois Besson” des 31 mai 1990 et du 5 juillet 2000 relatives à “l’accueil et l’habitat des gens du voyage" ont pour objectif de "parvenir à une cohabitation harmonieuse de toutes les composantes sur le territoire national et créer un équilibre satisfaisant entre la liberté constitutionnelle d’aller et venir et le souci également légitime des élus locaux d’éviter les installations illicites qui occasionnent des difficultés de coexistence avec les administrés".

Elles prévoient la réalisation de schémas départementaux pour les secteurs d’implantation des aires d’accueil sur les communes de plus de 5 000 habitants. Elles subordonnent l’interdiction de stationner en dehors des emplacements prévus à la réalisation des aires. En 2006, un tiers des départements français n’ont pas encore établi de schéma. Les places régulières dans les aires d’accueil sont largement insuffisantes.

Or une directive du 9 septembre 2005 aux préfets de France permet de solliciter les forces de police et de gendarmerie pour expulser les gens du voyage en stationnement illégal !

Autre motif d’inquiétude, une taxe d’habitation sur les résidences mobiles a été votée le 22 novembre 2005, bien que la caravane ne soit pas reconnue comme une habitation (aucun droit à l’allocation logement, aux aides du Fonds de solidarité ni aux prêts aidés)

Roms : « dégager », encore et toujours , repartir mais pour où ?

Roger Dubien , conseiller municipal à Saint-Etienne, raconte : « Le lundi 27 septembre, Julio aura une histoire à raconter à ses copains de l’école de Tarentaize à St-Etienne. Julio dont la maman s’appelle Rita. Julio qui est Rom. Vendredi, le baraquement qui lui servait de maison a été pulvérisé, réduit en miettes par une sorte de pelleteuse, derrière la gare du Clapier à St-Etienne. Il a fallu récupérer en vitesse une partie de ce qui était récupérable, et le porter un peu plus loin... ». Sur le terrain, il ne reste que deux baraques des Houillères, occupées par des familles, juste à l’entrée, on ne sait pas pour combien de temps, il leur a été dit de partir...

Au bord du "boulevard urbain", la gare du Clapier est dans un état de crasse indicible. Essayez d’y entrer... Depuis combien de temps ? 5 ans, 10 ans ? 15 ans ?... A St-Etienne, le "renouvellement urbain" prend son temps. Ce qui urgeait, par contre, pour l’esthétique, c’était de dégager les Roms qui, après la démolition d’autres squats (rue de la Montat, rue Sheurer-Kestner...), étaient venus là depuis 15 jours - 3 semaines. Il semble que le problème le plus important ne soit pas qu’il y ait un problème, mais qu’il soit visible. Des Roms se sont installés là. Ça se voit. Il faut que ça cesse , il faut qu’ils dégagent.

Rendre la détresse invisible !

Une "cellule de crise" a été mise en place à propos des Roms. Il faut ce qu’il faut. Objectif : l’expulsion.

Mais la machine a dû patiner à cause du mouvement de solidarité et des diverses interventions. D’ailleurs, plusieurs cadres et élus n’ont pas caché leur agacement, et encore au CCAS mercredi soir l’adjointe aux "affaires sociales", Mme Peycelon, qui "ne comprend pas pourquoi le problème des Roms n’est toujours pas réglé ! "Entendre : pourquoi on ne les a pas encore virés !

Dès le lendemain de la mise en place de la "cellule de crise", quand même, sont apparus les camions et les premiers tas de terre. Et les visites policières - pas sans efficacité - pour intimider et inciter au départ. Deux reconduites à la frontière ont récemment eu lieu, sur décision du Préfet. Le jugement d’expulsion a donc quand même commencé à être mis à exécution...

Au CCAS, ce qui est "scandaleux", c’est que les Roms n’aient pas encore été virés, et qu’"on laisse faire". Et "il n’est pas question d’entretenir" cette situation.

A part ça, la ville de St-Etienne est parait-il "l’amie des enfants". D’ailleurs, au "Parc de l’Europe", il y a une "allée des droits de l’enfant". Combien de Roms y a-t-il à St-Etienne en ce moment ? Probablement aux environs de 200. Dont 70 enfants. Une cinquantaine squattent donc maintenant des garages désaffectés avenue Augustin Dupré, en face de la gare du Clapier.

« Le matin du 27 septembre, Julio, Romina, David, Alexandre, Claudiu et Florin sont sortis du garage dans lequel ils sont entassés pour se tenir chaud, et partis vers l’école de Tarentaize. Un en maternelle. Les 5 autres en primaire. C’est pas grand les mômes, mais c’est courageux. A midi, ils mangeront un repas, à la cantine de l’école. Combien de temps encore pourront-ils vivre - sans travailler ! - dans ce luxe qui est une injure à l’Occident ? » conclut Roger Dubien aussi membre du conseil d’administration du CCAS.

Expulsions actuelles

Leur nombre des expulsions pour les neuf premiers mois de l’année 2008 dépasse celui de toute l’année 2007, a annoncé Brice Hortefeux mercredi 29 octobre 2008. L’an dernier, ce chiffre avait été de quelque 23.200 éloignements, en dessous de l’objectif de 25.000 pour 2007, porté à 26.000 pour 2008. Combien y a-t-il de camps de rétention en France ? Attention cela n’a rien à voir.

Claude Veyret

2009

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