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vendredi 18 février 2011

La journée de la Femme c'est tous les jours

Le 23 décembre 1942, Berty Albrecht s’évade du Vinatier
Femme extraordinaire, grande activiste de la Résistance française, Berty Albrecht a fondé avec Henri Frenay le mouvement de résistance Combat. Elle milita contre le fascisme de façon très active, mais aussi pour la contraception et l’avortement dès 1927. En 1941, elle est à Lyon où elle agit sans relâche pour la résistance. Mais elle est arrêtée, emprisonnée à la prison St Joseph, puis au Vinatier d’où elle réussira à s’évader le 23 décembre 1942. Cependant les nazis auront sa peau quelques mois plus tard fin mai 1943.
Berty Wild est née le 15 février 1893 à Marseille de parents luthé­riens d’ori­gine suisse. Elle a grandi dans la haute société pro­tes­tante au cœur du vieux Marseille. Elle fait des études clas­si­ques au Lycée Montgrand de Marseille, puis à Lausanne, en Suisse. En 1911, elle entre­prend des études d’infir­mière. Jeune diplô­mée, elle part pour Londres comme sur­veillante dans une pen­sion de jeunes filles. Après le déclen­che­ment des hos­ti­li­tés de la guerre de 1914-1918, Berty rentre à Marseille où elle joue un rôle impor­tant en tant qu’infir­mière de la Croix-Rouge dans des hôpi­taux mili­tai­res.
Après l’armis­tice, fin 1918, elle épouse à Rotterdam un ban­quier hol­lan­dais, Frédéric Albrecht. Ils ont deux enfants, Frédéric et Mireille. Ils habi­tent en Hollande, puis à Londres à partir de 1924, où là elle ren­contre de nom­breux intel­lec­tuels, et elle com­mence à s’inté­res­ser à la condi­tion fémi­nine.

Elle écrit à son mari : « La vie ne vaut pas cher, mourir n’est pas grave. Le tout, c’est de vivre confor­mé­ment à l’hon­neur et à l’idéal qu’on se fait. »
Féministe, anticonformiste, antifasciste
Elle se sépare de son mari à partir de 1931, mais Frédéric Albrecht conti­nue à lui assu­rer une vie cossue. Elle s’ins­talle à Paris, consa­cre son temps aux droits de l’Homme. et se lie avec Victor Basch, pro­fes­seur à la Sorbonne et co-fon­da­teur et pré­si­dent de la Ligue des Droits de l’Homme. En 1933, elle crée alors une revue fémi­niste, Le pro­blème sexuel, dans laquelle elle milite pour le droit des femmes à la liberté de contra­cep­tion et d’avor­te­ment. Cette revue, à laquelle ont tra­vaillé aussi les méde­cins Jean Dalsace et Georges Heuyer, est parue jusqu’en 1935.
Tout des­ti­nait cette petite femme au regard d’un bleu inou­blia­ble à rem­plir jusqu’au bout son rôle unique de mère de famille bour­geoise. Tout sauf son tem­pé­ra­ment radi­cal, incontrô­la­ble, anti­confor­miste. Tout sauf rester dans une tra­jec­toire tracée d’avance. Et puis des ren­contres avec des gens remar­qua­bles, cela peut aider à chan­ger cette tra­jec­toire, et deve­nir surin­ten­dante d’usine, c’est-à-dire assis­tante sociale, pour la cause des femmes ouvriè­res, mili­tante fémi­niste de l’union libre, pro­pa­gan­diste de la liberté sexuelle, com­pa­gne de route du parti com­mu­niste sans jamais y adhé­rer… Elle fonde d’ailleurs avec des intel­lec­tuels com­mu­nis­tes le Comité mon­dial des femmes contre le fas­cisme.
Lucide sur la réa­lité du nazisme et hos­tile aux accords de Munich, elle fonde en 1934 un centre d’accueil pour les réfu­giés alle­mands fuyant le nazisme (juifs et oppo­sants poli­ti­ques) afin de leur pro­cu­rer argent, loge­ment et tra­vail. Elle fera de même pour les Espagnols répu­bli­cains réfu­giés de la guerre civile exilés en France. Elle y ren­contre dès 1934 Henri Frenay, et par­ti­ci­pera par la suite à toutes ses ini­tia­ti­ves pour la Résistance malgré leurs diver­gen­ces poli­ti­ques.
En octo­bre 1936, elle entre en for­ma­tion à l’école des surin­ten­dan­tes d’usines (assis­tan­tes socia­les auprès des ouvriers), où elle s’est liée d’amitié avec Jane Sivadon, qu’elle inci­tera plus tard à par­ti­ci­per à la résis­tance. En 1938, elle est affec­tée aux usines Barbier-Bernard et Turenne, fabri­que d’ins­tru­ments d’opti­que pour la Marine.
La guerre, l’Occupation, la Résistance
Berty Albrecht est mobi­li­sée pen­dant la guerre en tant que surin­ten­dante à la manu­fac­ture d’armes de Saint Étienne. En juin 1940, elle entre comme surin­ten­dante aux usines Fulmen à Vierzon et pro­fite de cette situa­tion, dès l’été 1940, pour faire passer la ligne de démar­ca­tion à des pri­son­niers évadés.
Dès l’automne 1940, elle refuse la défaite et ne peut que se rendre en zone libre rejoin­dre son ami Henri Frenay, évadé d’Allemagne, car elle est per­sua­dée qu’il faut agir sans atten­dre, même si tous les deux n’ont pas les mêmes vues poli­ti­ques. En effet, alors que Berty Albrecht, ou Victoria, de son nom de résis­tante, est proche des mili­tants com­mu­nis­tes, Henri Frenay est un mili­taire lyon­nais de la droite catho­li­que et pétai­niste qui, bien qu’ennemi vis­cé­ral des nazis et des col­la­bo­ra­teurs, entre­tient au début des doutes pos­si­bles sur le rôle du maré­chal Pétain lors de la libé­ra­tion. Mais il chan­gera d’avis. Pour Berty, Frenay, de douze ans plus jeune qu’elle, c’est l’amour de sa vie. La déter­mi­na­tion de l’un frot­tée à la convic­tion pas­sion­née de l’autre crée­ront les étincelles qui don­ne­ront Combat, le plus impor­tant mou­ve­ment de résis­tance. Elle est à la fois son bras droit, son ange gar­dien, son ser­gent recru­teur, sa secré­taire, sa fidèle conseillère, sa com­plice intel­lec­tuelle, et son amie la plus intime, même si vivre les mêmes évènements n’impli­que pas de les vivre ensem­ble. Tous les deux réa­li­se­ront ensem­ble suc­ces­si­ve­ment trois jour­naux clan­des­tins Bulletins d’infor­ma­tions et de pro­pa­gande, Les Petites Ailes, puis Vérités, avant de deve­nir les fon­da­teurs du réseau Combat.
Début 1941, elle com­mence à dac­ty­lo­gra­phier les pre­miers Bulletins de pro­pa­gande du Mouvement de Libération Nationale (M.L.N.), créé par Henri Frenay, qui appor­tent des infor­ma­tions brutes sur les actions des occu­pants et sur la pour­suite de la guerre en Europe, infor­ma­tions qui sont obte­nues via la sec­tion alle­mande du 2e Bureau, l’écoute de la B.B.C. et de la radio de Genève. À son bureau lyon­nais de l’avenue de Saxe, Berty recrute pour le mou­ve­ment les pre­miers adhé­rents et col­lecte les pre­miers fonds. Au contraire d’autres mou­ve­ments émergents, le recru­te­ment du M.L.N. s’effec­tue sui­vant un large éventail poli­ti­que et social.
Lyon, Combat, et l’évasion de l’hôpital psychiatrique du Vinatier
En mai 1941 elle emmé­nage cette fois com­plè­te­ment à Lyon, étant char­gée de mis­sion par le Ministère de la Production Industrielle et du Travail pour l’ensem­ble des pro­blè­mes du chô­mage fémi­nin dans le Lyonnais. Berty fait ouvrir des ate­liers de cou­ture pour les chô­meu­ses.
Parallèlement elle décou­vre au 5 de la rue Mozart à Villeurbanne, ville où se trou­vent les locaux du Commissariat au Chômage, Joseph Martinet, le pre­mier impri­meur qui prend le risque de tirer le jour­nal Les Petites Ailes à 2000 ou 3000 exem­plai­res puis le jour­nal Vérités, à partir de sep­tem­bre 1941.
En 1942, de la fusion de Vérités et de Libertés, organe résis­tant de François de Menthon, naît « Combat », qui se déve­loppe sous la direc­tion d’Henri Frenay avec la par­ti­ci­pa­tion active de Berty Albrecht. Poursuivant sa lutte contre les Allemands nazis, elle établit de pré­cieu­ses liai­sons entre les deux zones au profit du mou­ve­ment. Les bureaux de Villeurbanne devien­nent rapi­de­ment ceux du mou­ve­ment et Berty s’efforce aussi de mettre en place un ser­vice social clan­des­tin de Combat pour venir en aide aux cama­ra­des du mou­ve­ment empri­son­nés et à leurs famil­les.
Les allées et venues dans les bureaux du Commissariat au Chômage atti­rent l’atten­tion de la Police qui arrête Berty Albrecht une pre­mière fois à la mi-jan­vier 1942. Relâchée au bout de trois jours, elle est rapi­de­ment contrainte à la démis­sion.
Arrêtée à son domi­cile fin avril 1942 par la police du gou­ver­ne­ment de Vichy, elle est inter­née admi­nis­tra­ti­ve­ment et arbi­trai­re­ment en mai 1942 à Vals-les-Bains, en Ardèche, avec une partie de l’état-major du mou­ve­ment à la suite d’un coup de filet. Elle n’a droit ni à un avocat, ni à un procès. Elle exige d’être jugée. Devant le refus des auto­ri­tés, elle fait une grève de la faim pen­dant deux semai­nes avec quel­ques-uns de ses co-déte­nus, parmi les­quels Emmanuel Mounier, ini­tia­teur du « per­son­na­lisme » et fon­da­teur de la revue Esprit. Elle obtient alors gain de cause et est trans­fé­rée à la prison Saint-Joseph de Lyon. Jugée au bout de six mois de prison, elle est condam­née par le gou­ver­ne­ment de Vichy au camp d’inter­ne­ment.
L’inva­sion par les Allemands de la zone sud, le 11 novem­bre 1942, risque de com­pli­quer un peu plus encore l’avenir des pri­son­niers poli­ti­ques et résis­tants. Berty Albrecht craint la dépor­ta­tion et décide alors de simu­ler des crises de folie pour faci­li­ter ses chan­ces d’évasion. Elle est d’ailleurs inter­née à l’asile psy­chia­tri­que du Vinatier à Bron le 28 novem­bre. Et elle réus­sira à s’évader du Vinatier le 23 décem­bre 1942 avec le coup de main d’un com­mando des Groupes Francs du mou­ve­ment Combat mené par André Bollier. Elle béné­fi­ciera également pour sa libé­ra­tion de l’aide de sa fille Mireille et de son méde­cin trai­tant. Cet exem­ple d’enga­ge­ment montre aussi tout le cou­rage du per­son­nel soi­gnant de l’hôpi­tal du Vinatier sous l’Occupation, dans un contexte tra­gi­que où, par la volonté nazie et les théo­ries d’Alexis Carrel, de nom­breux mala­des men­taux mou­raient de faim.
Face aux nazis, elle ne dit rien, elle se donne la mort
Recherchée par toutes les poli­ces fran­çai­ses et alle­man­des, refu­sant de passer en Angleterre, elle se réfu­gie dans les Cévennes, à Durfort, puis se cache durant deux mois dans la région de Toulouse, reprend immé­dia­te­ment la lutte ainsi que ses acti­vi­tés clan­des­ti­nes et, au début de février 1943, rejoint Henri Frenay à Cluny, en Saône-et-Loire, au nord de Lyon.
Mais le rendez-vous de Mâcon le 28 mai 1943 est le rendez-vous de trop. Le traî­tre Multon l’a donné. Frenay devait s’y rendre mais son réveil n’a pas sonné… : « Berty a été sacri­fiée, arrê­tée à la place de Frenay ». Elle est arrê­tée à Mâcon le 28 mai 1943 par la Gestapo qui s’est invi­tée au faux rendez-vous de l’hôtel de Bourgogne. Elle est incar­cé­rée et tor­tu­rée à la prison du Fort Monluc à Lyon. Mais elle ne par­lera pas. Elle ne fai­blira pas. Cette fois, elle sait qu’elle ne s’en sor­tira pas. Puis elle est trans­fé­rée à la prison de Fresnes, près de Paris, le 31 mai à 0h15. Placée dans une cel­lule du quar­tier des droits com­muns, échappant ainsi à la sur­veillance réser­vée aux « poli­ti­ques », elle se donne la mort par pen­dai­son dans la nuit avec un fou­lard accro­ché à la lumière.
Le 31 mai 1943, les Allemands font connaî­tre à la Préfecture de Mâcon et à l’ambas­sade des Pays-Bas à Londres le décès de Berty Albrecht sans indi­ca­tions sur ses causes. En mai 1945, son corps est retrouvé dans le jardin pota­ger de la prison de Fresnes. Berty Albrecht est alors inhu­mée, et c’est la seule femme, dans la crypte du fort du Mont Valérien, à Nanterre, à l’ouest de Paris, où de nom­breux résis­tants furent exé­cu­tés.
Nous savons aujourd’hui qu’elle s’est bel et bien pendue. Pourtant, dès le début, la rumeur court qu’elle a été déca­pi­tée à la hache dans la cour de la prison. Plus d’un demi-siècle après, elle court encore puis­que nombre d’anciens résis­tants en étaient sin­cè­re­ment convain­cus jusqu’à l’exhu­ma­tion des archi­ves de la prison par sa fille Mireille il y a peu.
La pion­nière de l’émancipation des femmes est morte trop tôt pour cons­ta­ter que sur les 1038 per­son­nes com­bat­tan­tes faites Compagnons de la Libération, de Gaulle n’avait honoré que six femmes !
Dont elle, la résis­tante Berty Albrecht.
Nota :
Débaptisons les rues de Lyon !
Il a fallu attendre le 16 janvier 2006, sur proposition de Jean-Louis Touraine, et suite au combat de la résistante Lily Eigeldinger [1], pour que le conseil municipal de Lyon accepte de retirer le nom d’Alexis Carrel [2] à la voie du 8e arrondissement de Lyon reliant l’avenue Viviani à la rue Professeur Tavernier et de lui donner le nom de rue Berty Albrecht (1893-1943), militante des Droits de l’Homme, héroïne de la Résistance, fondatrice du mouvement Combat, qui officia sur Lyon et Villeurbanne et fut incarcérée à la Prison du Fort Montluc.
Notes
[1] « Rendons hommage à celle qui fut l’animatrice du combat pour faire disparaître le nom d’Alexis Carrel des rues de son quartier : Lily Eigeldinger, responsable de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance. Cette militante du Parti Communiste, fille et sœur de Résistants, épouse de Résistant - Déporté, fit partie des Francs Tireurs et Partisans Français, du Front Uni de la Jeunesse Patriotique, arrêtée par la police française, elle a dû fuir Lyon. Elle fut ensuite chargée d’organiser la Résistance parmi la jeunesse dans les départements du midi de la France. Aujourd’hui, avec ses camarades de combat, elle peut être satisfaite que son action ait porté ses fruits. »
[2] Alexis Carrel : mèdecin raciste pro-nazi, précurseur des chambres à gaz, promoteur zélé de l’eugénisme théorisant un non droit de vie pour les handicapés et les malades mentaux, à l’origine de l’extermination, par la faim, de milliers de malades au Vinatier. La honte de Lyon !

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