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vendredi 18 février 2011

Pour une éthique de la Bienveillance

« La Paix n'est pas l' absence de guerre, c'est une vertu, un état d' esprit, une volonté de bienveillance , de confiance , de justice ».Spinoza
"Pour une éthique de la bienveillance" :
« Bienveillance : disposition affective d'une volonté qui vise le bien et le bonheur d'autrui ». Dans L'angoisse du roi Salomon que Romain Gary publia en 1979 sous le pseudonyme d'Emile Ajar, le héros, Jean ou Jeannot, bénévole à l'association SOS bénévoles, et chauffeur de taxi autodictate, ne manque pas, à chaque occasion, d'aller chercher la définition des mots qui le touchent et l'intéressent dans le petit dictionnaire Larousse. Bien que le vocable bienveillance ne fasse pas spécifiquement l'objet de ses recherches, nul doute qu'il est celui sous lequel ce roman magnifique pourrait être entièrement placé. Par contre, il recherche bel et bien la définition du mot Amour : « disposition à vouloir le bien d'un autre que soi et à se dévouer à lui. » Deux mots, une seule et même définition ou presque. La bienveillance serait ainsi sinon synonyme de l'amour, du moins une modalité de l'amour, de sorte que ni l'un ni l'autre n'auraient leur place dans une réflexion portant sur la morale. Ce n'est que partiellement vrai.
Bienveillance pathologique, bienveillance pratique
Ainsi dans Les Fondements de la métaphysique des moeurs, un des grands textes fondateurs de la philosophie morale moderne, Kant prend soin de distinguer l'amour pathologique, le sentiment de l'amour que l'on éprouve pour quelqu'un, de l'amour pratique, qui est un devoir d'amour. C'est en ce sens seulement, selon Kant, que peut être compris l'injonction évangélique d'aimer son prochain comme soi-même, car s'il ne s'agissait pas d'un commandement de la raison, on voit mal comment quiconque pourrait être obligé d'éprouver un sentiment que nul ne peut produire en soi-même, malgré toute sa bonne volonté. Autrement dit, l'amour pratique ou la bienveillance proprement morale, en tant qu'il s'agit d'un commandement de la raison, ne saurait être fondé dans les élans, les penchants de la sensibilité mais seulement dans un devoir, dans une obligation purement rationnelle qui ne doit rien, qui exclut même, tout ce qui vient de nos émotions, de nos sentiments, de la sensibilité. De fait, avec quoi la morale a-t-elle affaire ? Sinon avec des devoirs et des obligations. En quelle manière pourrait-il y avoir une obligation morale d'agir avec bienveillance, c'est-à-dire de secourir et de vouloir le bien d'autrui, si on n'exclut pas d'entrée de jeu ces déterminations affectives qui sont aussi variables, changeantes, instables, irrationnelles, etc., que les passions humaines ? On se demande cependant quelle serait une bienveillance aussi froide, qui, dénuée de toute affection, aurait la roideur d'un pur devoir ? Eh ! bien selon Kant, elle serait d'autant plus « morale » : « Supposez donc, écrit Kant, que l'âme de ce philanthrope soit assombrie par un de ces chagrins personnels qui étouffent toute sympathie pour le sort d'autrui, qu'il ait encore toujours le pouvoir de faire du bien à d'autres malheureux mais qu'il ne soit pas touché de l'infortune des autres, étant trop absorbé par la sienne propre, et que, dans ces conditions, tandis qu'aucune inclination ne l'y pousse plus, il s'arrache à cette insensibilité mortelle, et qu'il agisse, sans que ce soit sous l'influence d'une inclination, uniquement par devoir, alors seulement son action aura une véritable valeur morale. »
Qu'avons-nous donc ? D'un côté, une conception de la bienveillance comme modalité de l'amour qui enracine la recherche du bien d'autrui dans un sentiment d'affection mais qui par définition n'est pas exigible ? De l'autre, une obligation purement rationnelle qui est d'autant plus morale qu'elle rejette tout ce qui vient de la sensibilité. Peut-on sortir de cette alternative qui dans un cas manque à donner à la bienveillance son caractère proprement moral, puisqu'émanant d'une « pulsion » sensible, elle ne saurait être considérée comme un devoir, et qui, dans l'autre, en fait un impératif de la raison mais dont le défaut est d'être impersonnel et anonyme, les personnes en présence, les situations dans lesquelles elles se trouvent placés, les relations qu'elles entretiennent devant être entièrement mis à l'écart. Or, l'idée que nous faisons de la bienveillance est une certaine manière de désirer et d'agir en vue du bien d'autrui qui réponde à des sentiments appropriés. La volonté de faire le bien – non pas d'autrui en général mais de telle et telle personne particulière - procède d'une attention à cette personne-là qui, à défaut d'être tout à fait de l'amour, relève d'un sentiment qu'à défaut on pourrait appeler avec Alain Caillé « aimance ». Ce qui lui advient à lui, à elle, me touche, m'ébranle et m'affecte, m'oblige à agir, mais ce n'est pas par pur devoir. La bienfaisance pratique, rationnelle, telle que Kant l'entend et qui serait d'autant plus morale qu'elle se déterminerait dans un état d'indifférence ou d'insensibilité totale n'est pas la bienveillance dont font preuve les hommes lorsqu'ils sont portés à s'aider les uns autres. Pour le dire autrement : aider les autres, c'est bien mais encore faut-il y mettre du coeur ! Sans quoi, c'est du général, de l'abstrait, du n'importe qui puisque ni toi ni moi ne comptons. Autre exemple, qui va dans le même sens : la bienfaisance de l'homme (ou de l'Etat) utilitariste qui calcule les biens, les avantages, les profits pour le plus grand nombre des individus mais qui se désintéresse de savoir ce qu'il advient de ceux et de celles qui sont sacrifiés. Une telle bienfaisance générale, manquant de l'intention de faire le bien de tel ou tel individu, mais prenant les individus en bloc dans l'addition des utilités, n'a rien de profondément bienveillant.
Mais alors à quelle condition pourrait-on parler une bienveillance morale ou, pour reprendre le sujet de notre exposé, d'une « éthique de la bienveillance » ?
Conditions pour une éthique de la bienveillance
Que les hommes ne soient pas seulement de fieffés égoïstes, ou, dans une vision plus sophistiquée, uniquement des calculateurs rationnels qui cherchent toujours à maximiser leurs intérêts ou leurs préférences de sorte qu'on ne peut jamais leur prêter la moindre motivation désintéressée ou altruiste - est un fait qu'atteste ne serait-ce que la relation des parents avec leurs enfants. Car ce n'est pas pour des raisons strictement égoïstes que nous élevons et prenons soin de nos enfants. C'est leur bien que nous voulons et nous le voulons pour lui-même, là est notre bonheur. Mais que nous trouvions dans leur bonheur notre bonheur ne signifie pas que ce soit pour cette raison-là que nous oeuvrons à les élever du mieux que nous pouvons. Il y a bien de la différence entre trouver de la satisfaction dans le bonheur des autres (par exemple de nos enfants) et vouloir celui-ci pour nous-même, ce qui en réalité n'a pas de sens et n'aboutit jamais au résultat escompté. Ou, comme le dit Gary, le bénévolat, ce n'est pas résoudre ses problèmes « sur le dos des autres ».
Fort bien, mais nous ne considérons pas que la volonté de faire le bonheur de nos enfants, de nos proches ou de nos amis, d'être bienveillant à leur égard, soit à proprement parler « morale ». Cela, nous le considérons comme « allant de soi », comme « normal ». Quiconque dérogerait à ces « obligations » n'agirait pas comme il convient, conformément à ce qui est attendu, selon la disposition requise. Rien n'exige cependant que cette disposition à la bienveillance ne s'adresse qu'à la sphère étroite de nos proches, selon ce que Hume appelait « la générosité restreinte », bien que ce soit généralement le cas. Il est des situations, en effet, où cette disposition, qui relève d'un sentiment de sympathie ou de compassion, de « commisération » disait Rousseau, se manifeste et nous pousse parfois à agir en faveur d'êtres qui ne nous sont rien. Mais que faut-il pour qu'elle se mette en branle ? Tout d'abord ceci : que ce qui arrive aux autres nous touche et nous affecte, et nous affecte d'une manière ou d'une autre avec une intensité suffisante pour nous pousser à faire quelque chose, à ne pas rester là les bras ballants, dans la simple position du spectateur conscient mais impuissant ou complice. Prenez la mobilisation générale après des catastrophes naturelles, comme Haïti ou le tsunami, pourquoi faudrait-il y voir une espèce de manipulation des bons sentiments ? On s'est souvent gaussé de ces engouements de masse pour des causes portées par les médias. Une affaire de « bonne conscience », de « bons sentiments ». Mais, dites-moi, qu'ont-ils de si ridicules ces « bons sentiments » lorsqu'ils nous poussent à dénoncer l'oppression, les injustices, le malheur des hommes, etc. et à faire ce qu'on peut pour ne pas laisser les choses en l'état, comme si de rien n'était ? Chuck, l'ami de Jean, ne cesse pas de tourner en dérision avec cynisme la bonté de Mr Salomon qui, avec ses largesses dispendieuses, veut donner des leçons à Dieu, de même qu'il ironise sur cette conception de la bienveillance qui conduira Jean à devenir l'amant d'une diva de l'avant-guerre de soixante-cinq ans parce qu'il n'y a pas de raison de lui laisser croire qu'à cet âge-là on n'a plus droit à l'amour. « Chuck dit que la sensibilité est une des sept plaies de l'Egypte. » Mais le cynisme n'est dans son cas rien de plus qu'une posture de l'intelligence, et ce n'est pas à elle que revient le dernier mot. La bienveillance, si présente dans les romans de Romain Gary, se rapporte à une authentique protestation contre la cruauté de l'ordre du monde, la brutalité imbécile des hommes et le silence incompréhensible de Dieu (...)
Michel Terestchenko,
Maître de conférences de philosophie à l'université de Reims et à l'IEP d'Aix-en-Provence, est l'auteur de plusieurs ouvrages de philosophie politique (Les violences de l'abstraction, Puf, 1992 ; Philosophie politique, 2 vol., Hachette, 1994, 4è éd. 2007) et de philosophie morale (Amour et désespoir, Points-essais, Le Seuil, 2000 ; Un si fragile vernis d'humanité, banalité du mal, banalité du bien, rééd. La Découverte/Poche, 2007). Il a également publié Les Complaisantes : Jonathan Littell et l'écriture du mal, avec Edouard Husson (éd. F.-G. de Guibert, 2007) et Du bon usage de la torture, ou comment les démocraties justifient l'injustifiable (La Découverte, 2008). Ses ouvrages ont été traduits en russe, espagnol et allemand.Enseigne à distance de l'université de Reims.
sead@univ-reims.fr
Tel : 03 26 91 36 10

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