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dimanche 13 février 2011

Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument...

Dictateurs et addicts : l’exercice du pouvoir comme substance psychoactive
En ces premiers mois de 2011, le nombre de potentats gavés de pouvoir pendant des décennies qui ne peuvent pas décrocher s’accroît sur notre planète. Ils promettent, comme tous les alcooliques : «J’arrête demain !» Mais pas encore ce soir. Malgré le verdict des urnes parfois, ou celui d’immenses foules de manifestants - dont le seul pouvoir est d’aller risquer la mort sur la place publique pour clamer «Dégage !» - malgré les caméras du monde braquées sur leurs systèmes corrompus et leurs pratiques meurtrières, malgré enfin l’évidence d’une histoire collective qui un jour échappe à leur tentative de fossilisation centripète et ensanglantée, ils s’accrochent au pouvoir comme la moule au rocher.
Pourtant ils en ont croûté : ils ont changé les lois pour être président à vie, ils les ont tournées pour mieux placer leurs fortunes usurpées, ils ont truqué les élections, massacré torturé les opposants, dévoré les biens publics, ils ont croulés sous les honneurs qui à chaque fois les ont rehaussés - profil dressé, menton en avant, yeux baignés de l’indicible émotion d’être eux-mêmes… -, ils ont agrandi leur garde-robe et bien placé tous leurs enfants, ils ont appelé «lourde mission» et «sauver le monde» leur action despotique au long cours. Ils ont épousé des créatures aux appétits plus ou moins visibles, des messalines au venin plus ou moins sophistiqué, si belles penchées vers l’enfance sur la photo. Parfois, comme chez nous, les épouses des puissants politiques sont trop exquises, follement délicieuses lorsque, dans un souffle parfumé mais avec le sourire de Batman, elles nous confient sur l’écran oreiller les premiers apophtegmes de l’idéologie des dictatures européennes du XXIe siècle à venir : le frisson épidermique de l’art et de la culture comme masque préféré des politiques de haine.
Revenons à nos vieux dictateurs à l’ancienne : avec le temps et le vieillissement, leur manque à pouvoir tout embrasser se conjugue avec leur haine croissante de toute réalité différente et ils ne travaillent plus qu’à détruire ce qui leur échappe. Puis, tel le pitbull qui, même la tête coupée, ne lâche pas l’os broyé entre ses crocs, ils tombent en serrant les mâchoires sur la croyance fanatique que leur pouvoir, leur position, cela, personne ne peut le leur prendre.
L’expression «ivresse du pouvoir» doit être relue : le puissant politique n’est pas forcément en proie à un orgasme continu, dont les grands spasmes nuiraient à sa communication. Mais plutôt à une intoxication psychotrope, une fois qu’il y a goûté, il est envahi jusqu’à la strate non consciente de la marmite identitaire, là où glougloute l’infâme chiasme entre surmoi et ça, pulsions et dénis, narcissisme meurtrier et mégalomanie fanatique, tout cela enfin, qui travaille dans le corps à faire luire un regard sous une lourde paupière. Se produit alors une puissante dilatation de soi-même, une augmentation de la taille de la majuscule du «je», déployée comme un grand drapeau sur le monde asservi des autres.
La «jouissance» du pouvoir relève de cet érotisme de marbre froid et mortifère que suppose l’exercice des mépris hiérarchiques installé dans la durée d’une bonne position «en haut», quand ce sont les narcissiques meurtriers qui ont gagné. Ils sont les rois du bal des faux-culs et font du mensonge un art intéressant, il faut masquer leur manque total de scrupule dans une surenchère de séductions tactiques. On a beau leur dire : «Tu grimpes Arnophle, mais tu ne montes pas dans mon estime !», c’est trop tard, ils sont «en haut», ne veulent plus quitter la place. Ils accumulent alors frénétiquement les lois et les biens. Parfois, le puissant politique vieillissant finit dans le mauvais goût des vraies orgies, comme certains empereurs romains, avant la sénilité.
On se souvient de cette idée anarchiste que le «pouvoir absolu corrompt absolument». Elle rejoint un vieux cliché circulant dans les romans policiers comme dans les conversations de table. Elle reprend la vieille critique morale de la tyrannie, élaborée avec talent depuis plus de vingt siècles autour de la Méditerranée. Un cumul de vertiges se produit lorsque le puissant politique s’installe au sommet : vertige purement politique de pouvoir signer une décision, influencer les destins, imaginer pouvoir sauver ou ravager la vie d’autrui. Il y a sans doute un certain bénéfice narcissique intime à imaginer pouvoir initier des désastres - surtout pour certaines personnalités dures et perverses, trop nombreuses aux sommets.
Mais aussi et en même temps, l’emphase portée sur le corps du puissant politique, qui a à sa portée tout l’horizon d’époque de ce qui est désirable, les objets du luxe extrême comme les figures des beautés et des talents sur écran, fait du quotidien ordinaire du puissant politique une violente expérience psychoactive. Etre capable de résister à l’addiction de tout cela suppose soit la vertu d’un Auguste, soit l’efficacité des contre-pouvoirs.
VÉRONIQUE NAHOUM-GRAPPE, Chercheure en sciences sociales

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