Armand Gatti, aux sources de sa résistance en Corrèze
A 86 ans, Armand Gatti se retrouve là où a commencé sa vie d'homme : en Corrèze, sur les terres du maquis qu'il a rejoint à 16 ans, en 1941. Depuis le 5 juillet, il dirige à Neuvic une vingtaine de jeunes gens venus d'Europe, mais aussi d'Algérie et du Canada, dans un stage qui aboutira, les 23, 24 et 25 août, à la présentation de sa nouvelle pièce, Science et Résistance battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un destin d'oiseau des altitudes. Comme toujours chez Gatti, ce titre aux allures d'envolées annonce des histoires qui s'emboîtent. Mais elles ont un point de départ : Tarnac, à soixante kilomètres de Neuvic.
C'est dans ce village, bruyamment entré dans l'actualité, en 2008, avec l'affaire dite des "terroristes" suspectés d'avoir saboté des lignes SNCF, que se trouve la forêt de la Berbeyrolle, où Armand Gatti s'est caché dans un trou avec trois camarades de la Résistance.
Le père Elie, qui avait une ferme juste à côté, les a ravitaillés et protégés, jusqu'au jour où ils ont été arrêtés, sur dénonciation. A celui qui l'interrogeait, à la mairie de Tarnac, et lui demandait ce qu'il était venu faire, Armand Gatti a répondu : "Je suis venu faire tomber Dieu dans le temps."
Déjà, pour lui, les mots portaient la révolution. Ils lui ont permis de tenir, dans le camp de concentration de Neuengamme, dans le nord de l'Allemagne, où il a été déporté en 1942, et où il a vécu une autre expérience fondatrice : celle de la première pièce de théâtre qu'il ait vue. Elle était jouée par les juifs baltes et tenait en trois phrases : "Ich war" (j'étais), "Ich bin" (je suis), "Ich werde sein" (je serai). Gatti n'a jamais oublié cette tentative de construire un homme à travers la temporalité. Elle est devenue une matrice de son théâtre, et, aujourd'hui encore, les stagiaires de Neuvic la font leur, dans le gymnase du lycée agricole où ils répètent.
Ces jeunes gens viennent d'horizons différents : lycéens, étudiants, chômeurs. La plupart avouent qu'ils ne savaient rien ou presque de la Résistance, surtout de la Résistance rurale. Gatti leur a raconté. Il leur a parlé de ces femmes de Corrèze qui se sont vêtues de noir et sont allées au cimetière, le jour où les Allemands ont ordonné à un maire d'enterrer à l'aube des combattants alsaciens du maquis qu'ils avaient tués.
Chacune de ces femmes se tenait devant la tombe de sa famille, selon l'usage de la région. Elles ne connaissaient pas les morts, mais elles étaient venues. André Malraux leur a rendu hommage dans le discours qu'il a prononcé pour l'entrée de Jean Moulin au Panthéon, en 1964.
Dans la pièce, la scène se situe à Tarnac. Il n'est pas dit qu'elle eut lieu dans ce village. Mais "il y a la vérité historique, et la vérité gattienne", comme le dit en souriant Gilles Durupt, un fidèle, qui travaille avec Gatti depuis 1991. A Neuvic, le vieil homme rejoint les stagiaires l'après-midi, après les séances de kung-fu et de musique du matin. Mercredi 18 août, avant de faire un premier filage, ils reprennent Le Chant des marais (Moor-soldatenlied), composé par les prisonniers du camp de Börgermoor, en Basse-Saxe. "C'est très important, pour moi", leur dit Gatti.
Assis à une table, immobile, il ressemble à un de ces arbres qu'il aime tant. Le temps l'a rendu fragile, mais il porte quelque chose d'indestructible : cette force qui l'a fait s'évader du camp de Neuengamme, et retourner dans le maquis, en suivant, sans le savoir, le trajet de Hölderlin.
Depuis, il a traversé avec les mots les combats du XXe siècle, d'abord comme journaliste (couronné par le Prix Albert-Londres en 1954), après la guerre, puis comme cinéaste, et écrivain-metteur en scène autour du monde, d'Amérique centrale en Asie en passant par Dublin, l'Allemagne, et toutes ses expériences en France avec ses "loulous", ceux dont la société ne veut pas et à qui il redonne une dignité, à travers le théâtre.
A Neuvic, le combat continue, "contre la société spectaculaire et marchande". Aux murs du gymnase sont affichés des textes de Guy Debord, entre les paroles de Des armes, de Léo Ferré, ou du Chant des partisans, de Joseph Kessel. Les stagiaires les ont appris, comme ils ont appris à faire connaissance avec les révolutionnaires et scientifiques de prédilection de Gatti, dont Antonio Gramsci et Jean Cavaillès.
Nulle facilité dans tout cela, qui traverse la pièce et donne des ailes à des jeunes gens d'aujourd'hui, portés par les mots d'un homme appelé Armand, mais dont les prénoms de naissance sont Dante, Sauveur.
Le rôle du maire "rose, rouge, vert et libertaire"
Armand Gatti n'aurait pas pu travailler à Neuvic sans le soutien du maire de la commune, Henri Roy. Ce dernier, clermontois d'origine, né en 1951, a choisi il y a plus de trente ans d'exercer la médecine à Neuvic. En 2001, il a fait campagne en se présentant comme candidat "rose, rouge, vert et libertaire", ce qui lui a réussi. Cet homme fin connaissait Gatti à travers ses lectures, nourries de la pensée anarchiste et révolutionnaire. "Il représente la vie en collectivité telle que je la souhaite, explique-t-il. La présence de Gatti dépasse largement la commune et la Corrèze : elle concerne l'humanité, parce qu'elle incarne une forme de résistance." Henri Roy sourit, avant d'aller soigner ses malades, et gérer sa commune de 2 000 âmes, noyée dans la forêt.
APIS et Armand Gatti.
Science et Résistance battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un destin d'oiseau des altitudes, de et mis en scène par Armand Gatti.
Gymnase du lycée agricole Henri-Queuille,
Neuvic (Corrèze).
Les 23, 24 et 25 août, à 20 h 30.
Entrée libre.
Tél. : 05-55-95-88-78.
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