Depuis que Hegel a dessiné le portait métaphysique de la Belle Ame, la conscience malheureuse et nostalgique de cette figure a condensé, deux siècles durant, toute l’énergie de la contre-identification qui a servi à nourrir l’impavidité du Logos et la valeur du héros rationnel qui le représente dans le mythe. La Belle Ame est l’envers de la raison. Le Logos ne connaît que la puissance et par-dessus tout, la puissance du Logos. Le Logos doit s’éprouver en portant, inébranlablement, le fer et le feu dans les concepts qui ont épousé l’histoire : la Nation, l’Etat, le Capital, le Peuple, le Science, le Progrès et la Raison elle-même. Die schöne Seele est la figure qui, dans l’esprit hégélien et peut-être pour la modernité toute entière, marque la plus complète inadéquation d’une conscience à cette temporalité qui se précipite en avant au rythme de l’expansion de la puissance. Elle est une figure dévaluée de l’âme romantique pour celui qui a en fait la critique et l’on a dit que Hegel aurait pensé à Novalis ainsi qu’au mysticisme de ses propres écrits de jeunesse
dont il s’éloigne de toute la hauteur de la Raison. Par ce motif, Hegel combat en lui aussi bien l’inspiration de Hölderlin que de Schelling. Il est possible qu’au-delà de la critique du romantisme historique, la contemption de l’âme sensible ait été récurrente dans la culture légitime parce que la cible s’est renouvelée dans une forme de vie et une forme de pensée dont l’incongruité se dessine comme une ombre que voudraient voire disparaître les lumières de la modernité.
(Portrait de Novalis )
Dans les aventures dialectiques de la conscience humaine racontées par Hegel, la Belle Ame apparaît au moment ultime. Elle correspond aux derniers pièges que constituent la quête de la transparence intérieure et le refus de l’action avant le passage de la conscience dans le concept du monde. Nous découvrons ainsi la douloureuse passion de cette figure de la conscience : « La conscience vit dans l’angoisse de souiller la splendeur de son intériorité par l’action et l’être là, et pour préserver la pureté de son cœur, elle fuit le contact de l’effectivité et persiste dans l’impuissance entêtée, impuissance à renoncer à son Soi affiné jusqu’au suprême degré d’abstraction, à se donner la substantialité, à transformer sa pensée en être et à se confier à la différence absolue. L’objet creux qu’elle crée pour soi même la remplit donc maintenant de la conscience du vide. Son opération est aspiration nostalgique qui ne fait que se perdre en devenant objet sans essence, et au-delà de cette perte retombant vers soi-même se trouve seulement comme perdue ; -dans cette pureté transparente de ses moments elle devient une malheureuse belle âme, comme on la nomme, sa lumière s’éteint peu à peu en elle-même, et elle s’évanouit comme une vapeur sans forme qui se dissout dans l’air » [1]. Cette âme est une conscience psychologique qu’on suppose abîmée dans la contemplation de sa pure intériorité et qui, parce qu’elle se tient totalement détachée du monde se déréalise jusqu’à se transformer en vapeur comme l’affectivité qui faute d’objet se consume elle-même en perdant son ancrage dans la sensibilité. C’est une histoire édifiante que celle de la Belle Ame dépérissant par son obstination à se refuser à la raison qui lui dicte d’épouser le monde réel.
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Abdoulaye Fall
26340 Saillans
[1] HEGEL (G. W. F.), La phénoménologie de l’Esprit, Tome 2, Traduction de J. Hyppolite, Paris, Aubier-Montaigne, 1941, p. 189.
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