Nathalie Kosciusko-Morizet : «Croire que le Grenelle a balayé les lobbys serait naïf»
Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, répond aux accusations de reculades environnementales du gouvernement en pleine polémique sur les gaz de schiste.
Elle a refusé qu’on la prenne en photo. Parce que l’entretien était programmé au petit matin. Parce que «c’est une politique, pas une starlette», dit son entourage. Parce qu’elle a «détesté» son dernier portrait, dans un autre média. Pourtant, Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, sait très bien surfer sur son image. La politique sait affronter les questions gênantes sur les reculades environnementales du gouvernement. La polytechnicienne aligne les chiffres. La ministre de l’Environnement connaît ses dossiers. Y compris ceux qui fâchent. Entretien.
La polémique sur les gaz de schiste enfle. Vous souhaitez une «mission pour évaluer les enjeux» de leur exploitation, est-ce vraiment suffisant ?
Il faut lever une confusion : aucun permis d’exploitation n’a été attribué en France. Seuls des permis de recherche, c’est-à-dire d’exploration, ont été autorisés. Et ceux-ci peuvent s’effectuer par des campagnes de mesures aéroportées ou terrestres. L’exploration utilisant les techniques de forage est soumise à autorisation d’ouverture de travaux. Aucune demande de ce type n’a été déposée pour les gaz de schiste. En revanche, trois permis ont été délivrés en octobre 2010 pour la recherche d’huiles de schiste en Seine-et-Marne. La mission commandée avec Eric Besson porte notamment sur l’évaluation de l’impact environnemental de tels forages. Les industriels concernés seront réunis très prochainement au niveau interministériel pour s’assurer que leurs calendriers sont compatibles avec celui de la mission.
Pourquoi ne pas annuler les permis d’exploration, comme l’a demandé José Bové, rejoint aujourd’hui par Eva Joly dans le Larzac ?
On ne peut suspendre un permis de recherche déjà signé que pour infraction grave ou non-utilisation du permis sur une durée très longue. Aujourd’hui, rien ne nous y autorise. En revanche, pas question d’exploiter les gaz de schiste comme aux Etats-Unis.
Vous êtes prête à vous battre pour cela ?
Complètement ! Pour récupérer les gaz disséminés dans la roche, il faut injecter des produits extrêmement agressifs. Les paysages sont ravagés, l’eau polluée. La sécurité est douteuse, le gaz sort des robinets. Nous disons aux sociétés : «Si vous pouvez faire autrement, montrez-le nous.» Si elles nous répondent «il faut faire à l’américaine, sinon on ne fait pas», nous ne les suivrons pas.
Le Grenelle de l’environnement donne le sentiment d’un échec général…
Non, il reste en forme ! Mais il est vrai que la crise a ralenti sa croissance. Les crises provoquent toujours le retour de ceux qui pensent que l’environnement est un luxe. Le contexte n’a pas aidé. Il y a eu l’échec du sommet climat de Copenhague en 2009. Puis la taxe carbone, qui a focalisé l’attention, comme si la réussite du Grenelle en dépendait. Mais nous avons d’autres projets de fiscalité verte pour 2011, notamment sur le patrimoine naturel.
On a quand même l’impression que l’ambition n’y est plus…
Je ne suis pas du tout d’accord. Les discussions du Grenelle remontent à l’automne 2007. Il y avait des choses faciles à mettre en place : le bonus-malus pour les voitures ou la clause de sauvegarde sur les OGM. D’autres nécessitaient une loi : la loi Grenelle 2 a été votée en juillet 2010. Tout converge donc vers 2011. La mise en œuvre des engagements du Grenelle va demander la rédaction de 200 décrets d’application. Sur des points très concrets, comme la qualité de l’air intérieur. Ou le programme baptisé «Habiter mieux», qui vise à accompagner les travaux d’isolation énergétique de ceux qui n’en ont pas les moyens.
Les politiques n’ont-ils pas mis la barre trop haut, en présentant le Grenelle comme un tournant décisif ?
Il est décisif. Le Grenelle, c’est une révolution. Un outil de transformation de notre société. Certains objectifs sont déjà dépassés, comme dans le photovoltaïque, si l’on s’en tient aux volumes installés. Mais la création d’une filière industrielle ne suivait pas. C’est la raison du gel des nouveaux projets pendant trois mois, décidé en décembre.
Avec 10 000 pertes d’emplois à très court terme et des petits patrons qui appellent au secours…
Mais le système dérivait ! L’Etat devait changer les tarifs de rachat tous les trois mois. Et certains projets portés par des gros acteurs ont servi à de la spéculation financière. La concertation actuelle joue la transparence totale. J’entends les critiques, mais je me suis battue pour que le moratoire dure trois mois et pas quatre. Et pour que les installations de moins de 3 kW, les toitures de moins de 30 m2, puissent en être exclues, pour préserver les petits.
Contre l’avis de Bercy ?
Certains trouvent que le photovoltaïque coûte cher. D’autres, j’en fais partie, pensent qu’il faut qu’une filière se crée vraiment en France, et que l’on exporte du photovoltaïque.
Vous avez lutté contre le ministère de l’Industrie sur l’éolien offshore…
C’est un peu plus compliqué. Il y avait une pression générale pour que l’appel d’offres porte sur une puissance installée de 2 gigawatts. Je me suis battue pour que ça soit 3 gW. Le Grenelle de l’environnement doit créer de l’emploi et donner de la visibilité. Et ces 3 gW doivent nous permettre de devenir leader mondial de l’éolien offshore.
On est à zéro… Vous rêvez !
La France maîtrise ces technologies, les turbines, les matériaux composites. Elle a les capacités portuaires. Les premiers parcs sont pour 2015. L’énergie renouvelable la moins chère, à part l’hydraulique et l’éolien terrestre, ce sera l’éolien offshore. Le Grenelle n’est pas une danseuse, mais une espérance pour tout le monde et pour l’emploi industriel et ouvrier.
Une étude du Trésor évoque un impact négatif du Grenelle. Maintenez-vous le chiffre de 600 000 emplois verts créés entre 2009 et 2020 ?
J’accepte toutes les évaluations. Encore faut-il qu’elles soient sérieuses et de bonne foi. Certaines des études publiées l’automne dernier manquaient parfois de sérieux ou bien restaient anonymes. On lance parfois des calculs sans tenir compte de l’innovation. L’éolien offshore créera par exemple 10 000 emplois directs. Et d’ailleurs, on ne tient pas compte des bénéfices du Grenelle. Nicholas Stern, un véritable économiste, lui, a bien montré ce que la lutte contre le réchauffement rapporte en termes de coûts évités. Si on nie les problèmes écologiques, on peut se dire que le Grenelle coûte cher et ne sert à rien. Mais les maladies associées à la dégradation de l’environnement qui pèsent sur la Sécurité sociale, alors ? L’augmentation du nombre de malformations, de certains cancers, des problèmes de reprotoxicité ?
Kilomètres d’autoroutes en plus, bonus-malus raboté, fret dans les choux… Sur le transport, on a du mal à voir l’apport du Grenelle…
Le fret, c’est dur. Les objectifs ne sont pas atteints. Pour le reste, je ne suis pas d’accord. Il fallait ajuster le bonus-malus, parce que les Français se sont rués vers les modèles moins polluants et qu’il y a eu un déséquilibre financier. Surtout, les constructeurs ont modifié leur gamme. Il était logique d’orienter les crédits vers les véhicules électriques. Quant aux autoroutes, elles étaient déclarées d’utilité publique avant le Grenelle. Je ne suis pas enthousiaste, mais l’accord était obtenu : on ne revient pas dessus.
Dans l’agriculture, les reculades s’accumulent. L’aide de 4 000 euros à la reconversion au bio a été divisée par deux, nuisant aux petits exploitants…
Nous en avons intégré une partie dans les aides européennes. Il y a 2 000 euros forfaitaires et une aide à l’hectare. Les crédits consacrés aux conversions à l’agriculture biologique vont augmenter de 18% entre 2009 et 2010.
Quid du feu vert aux méga-camions de 44 tonnes pour les denrées agricoles ?
C’est un coup de main à l’agriculture et à l’agroalimentaire, c’est vrai. Mais l’accord du Grenelle était : «On autorise les 44 tonnes et, en contrepartie, on crée une redevance poids lourds.» C’est ce que nous faisons.
Et les 74 dérogations accordées en 2010 à des pesticides interdits, alors qu’il n’y en avait pas une seule en 2007 ?
C’est faux. Avant, la France accordait des dérogations mais ne les notifiait pas.
Sont-elles justifiées ?
Elles concernent moins de 3% des surfaces. Souvent des cultures spécifiques, comme le riz ou certaines fleurs, pour lesquelles une homologation n’est pas rentable. D’où les dérogations. Elles sont prévues par la réglementation communautaire et accordées après avis d’expert, pour une durée déterminée. Mais le véritable enjeu du Grenelle, c’est d’arriver à diviser par deux l’usage des pesticides d’ici à 2018 et d’appliquer l’interdiction d’épandage par les airs. C’est une préoccupation de tous les instants.
Un article du Grenelle sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises a été amputé en douce. Et les lobbys patronaux, notamment l’Afep (Association française des entreprises privées), sont à l’attaque pour rehausser le seuil de la taille des sociétés devant produire un rapport…
Croire que le Grenelle a balayé les lobbys serait naïf. Avec la crise, certains d’entre eux reprennent des forces. Ils veulent, par exemple, que les mesures ne s’appliquent qu’aux entreprises de plus de 5 000 salariés. Le Grenelle fixe le seuil à 500 salariés. Je me bats pour que cela soit respecté, j’en ai parlé au président de la République et au Premier ministre.
François Fillon ne passe pas pour un «écowarrior»…
Il est exigeant et attend un discours construit. Le 20 janvier, lors de la réunion sur l’éolien offshore, j’ai pu lui présenter l’ensemble du dossier. Il a jugé, comme moi, que notre pays peut devenir leader mondial du secteur. Le Premier ministre n’est pas contre l’environnement ; il veille sur les finances publiques, c’est tout.
Christine Lagarde veut une conférence sur la politique énergétique. Quelle sera votre place ?
Je ne suis pas en charge de la recapitalisation d’Areva. Mais mon ministère est à 100% en charge du climat. Sur les énergies renouvelables, les compétences sont partagées avec Bercy, y compris en matière tarifaire. Mais c’est nous qui proposons et c’est Matignon qui décide. Par exemple, lors de la réunion sur l’éolien offshore, mon ministère a la main.
Le principe de précaution est de plus en plus critiqué, y compris par votre secrétaire d’Etat Benoist Apparu, qui veut une «nouvelle lecture»…
L’adoption du principe de précaution a été dantesque. Il n’est pas plus polémique qu’avant, loin de là. Pour relancer le Club 89, un ancien think-tank de la majorité, Benoist Apparu a invité Claude Allègre. On en a déduit qu’il était contre le principe de précaution. Peut-être un peu vite ; c’est à lui qu’il faut poser la question.
La France compte-t-elle enfin rallier l’idée, que l’UE propose, de passer de 20% à 30% son objectif de réduction de gaz à effets de serre d’ici à 2020 ?
C’est nécessaire de l’examiner. J’en ai parlé avec mes collègues allemand, britannique et hongrois. La bonne nouvelle, c’est que la Hongrie veut en faire un point majeur de sa présidence de l’Union européenne. Certains pays sont réticents en avançant qu’un tel mécanisme ne serait pas conforme aux règles de l’OMC. Mais la dernière note de la Commission sur le sujet résout ces problèmes juridiques. On avance !
CORALIE SCHAUB, CHRISTIAN LOSSON
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