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mercredi 6 avril 2011

Les trois gauches....


Les trois gauches
En France, il existe trois gauches : la gauche libérale, la gauche antilibérale, la gauche libertaire. On connaît les deux premières parce qu'elles disposent d'une visibilité médiatique ; on ignore la troisième qui, pourtant, produit plus d'effets qu'on ne l'imagine. La première est dans l'éthique de responsabilité, sans grand souci de l'éthique de conviction une fois au pouvoir ; la deuxième est dans l'éthique de conviction, totalement insoucieuse de l'éthique de responsabilité ; la troisième est une nébuleuse travaillée inégalement par les deux éthiques. Précisons.
La première est bien connue : c'est la gauche libérale. Dans la configuration de la Ve République bipartite, elle est l'alternative à la droite. Son "grand homme" fut François Mitterrand. Venu de la droite réelle et parvenu par la gauche, tout en restant secrètement l'homme de droite qu'il fut dans sa jeunesse, l'avocat de métier a si bien parlé à gauche pendant ses années d'opposition qu'il est arrivé au pouvoir en mai 1981. Dès lors, le monarque qui n'a eu dans la vie qu'une conviction, sa haine du général de Gaulle, qui fut son antipode en tout, a endossé les habits de l'homme du 18-Juin. L'auteur du Coup d'Etat permanent (Plon, 1964) fut un excellent putschiste pendant deux septennats. On lui en aurait moins tenu rigueur si ce coup d'Etat avait été l'occasion d'installer la gauche au pouvoir et non d'asseoir durablement sur son trône un ambitieux qui utilisa la gauche à des fins personnelles.
Car, après 1983, les socialistes ont géré la crise pendant plus de dix ans. Le chômage a augmenté, le racisme aussi, non sans volonté de casser la droite en deux pour assurer des réélections sinon compromises. Le Parti socialiste a épousé les revirements d'un homme qui contraignait les militants à parler à gauche tout en soutenant une gestion de droite - donc la plupart du temps, en faveur du capital. Avec la gauche libérale, l'éthique de conviction disparaît sous le rouleau compresseur de l'éthique de responsabilité.
La deuxième gauche est aussi connue, c'est la gauche antilibérale. Elle est à l'inverse de la première : tout à ses convictions, sans aucun souci des responsabilités. Chez elle, on parle d'autant plus haut et fort qu'on sait le pouvoir inaccessible autrement que par un jeu d'alliances qui fait d'elle un supplétif vite vidé de son sang. Certains jouent ce jeu ; d'autres non.
Pour ceux qui le jouent, l'arrivée de ministres communistes au second gouvernement Mauroy fut emblématique : ceux-ci pèsent modestement sur la politique concrète, mais le strapontin obtenu bâillonne le Parti. Jeu de dupes. Le PCF, défenseur alors de l'URSS totalitaire, renforce en même temps une politique libérale. Cette tension finira par une déchirure. L'éthique de responsabilité a dévoré l'éthique de conviction.
Dans cette deuxième gauche, il existe un courant qui ne joue pas le jeu sous prétexte de préférer la carte dite "révolutionnaire" : Lutte ouvrière avant-hier, hier, aujourd'hui, demain et après-demain, la Ligue communiste révolutionnaire jadis, puis sa formule nouvelle, le Nouveau Parti anticapitaliste. Cette gauche verbeuse souffre du tropisme sectaire. Plutôt première dans son hameau sectaire que seconde dans une Rome unitaire. Insoucieuse du réel, et surtout méprisante à l'endroit de la misère populaire qu'elle n'abolit pas, elle est doctrinaire et idéologique. Le réel compte moins que les idées, le rapport de force moins que les textes canoniques, l'efficacité pragmatique moins que la pureté idéologique.
Le fait que le NPA, porteur dans son projet inaugural d'une grande fédération de mouvements syndicalistes, anarcho-syndicalistes, tiers-mondistes, écologistes, féministes, alternatifs, ait choisi pour drapeau un mégaphone sur fond rouge exprime bien son dessein : parler haut et fort sur fond de révolution... Mais ceux qui souffrent de la brutalité du capitalisme libéral ont envie d'autre chose que de paroles ou de piquets de grève, de tracts ou de banderoles. A vouloir la révolution sinon rien, on n'a rien et surtout pas la révolution... Ici, l'éthique de conviction se fait fort d'ignorer l'éthique de responsabilité.
La troisième gauche est méconnue : il s'agit de la gauche libertaire française. Cette gauche-là est ancienne et a produit des effets : Proudhon et le pragmatisme révolutionnaire, Sébastien Faure et la pédagogie libertaire de la Ruche, Louise Michel et l'action militante, Emile Armand et l'individualisme hédoniste, Emile Pouget, le journaliste truculent, fondateur de la CGT, Georges Deherme, créateur des Universités populaires - et tant d'autres.
J'écris "la gauche libertaire française", car il existe une gauche libertaire... autoritaire, celle de Bakounine par exemple, qui diffère de Marx sur les moyens mais partage les fins messianiques de l'auteur du Capital. Ce courant domine dans cette gauche minoritaire...
Cette gauche libertaire modeste, discrète, a donné les "milieux libres" à la Belle Epoque, les communautés après 1968 : elle est éthique de conviction responsable et éthique de responsabilité convaincue. Elle veut ici et maintenant produire des effets libertaires. Son souci n'est pas de gérer le capitalisme, comme la gauche libérale, ni de briller dans le ressentiment et les mots sans pouvoir sur les choses, comme la gauche antilibérale, mais de changer la vie dans l'instant, là où l'on est.
Je songe à l'aventure autogestionnaire des "Lip" en 1973. Benny Lévy, de la Gauche prolétarienne, avait dit alors : "Je vois dans l'événement Lip l'agonie de notre discours révolutionnaire." Dont acte. Mais tout le monde n'eut pas cette lucidité. Pour ma part, je vois dans l'événement Lip la généalogie d'un nouveau discours révolutionnaire. Celui qui permet d'envisager de faire la révolution sans prendre le pouvoir. A quelques mois de la présidentielle, on peut préférer cette gauche-là...
Michel Onfray

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