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mercredi 21 septembre 2011

Crestois, Diois : Quelle place pour l' habitat mobile ? Après le village des possibles


Enclaves nomades
Habitat et travail mobiles
 « Tandis que la matière égrène les secondes, les prestataires se relaient sous le dôme du bâtiment réacteur, et les agents plus loin en salle des machines ou derrière les écrans de contrôle, les uns nomades, les autres sédentaires, ceux qui prennent les doses et ceux qui organisent, avec souvent entre les deux groupes des rapports compliqués »
Élisabeth Filhol, La Centrale [1]
Depuis la fin des années quatre-vingt, les logements « non ordinaires » : squats, foyers, tentes, caravanes, fourgons, etc. apparaissent de plus en plus fréquemment. Leur présentation médiatique les associe à la grande pauvreté et aux migrations clandestines. Or, l’habitat précaire et mobile est une pratique de groupes professionnels : marchands et industriels forains, travailleurs des transports, salariés du bâtiment et de l’industrie, voire du secteur tertiaire, ou de militaires, autant que de personnes sans emploi ou en situation irrégulière. Ces formes de logements sont perçues comme relevant de l’exclusion, de la marge extérieure, alors qu’elles sont, depuis toujours, impliquées dans des interstices. Elles occupent des espaces reliés à des fonctions, mêmes invisibles, elles ne sont pas « hors jeu ». Ce monde du travail et de l’habitat mobile ou précaire doit être pris en compte pour saisir l’ampleur des changements en cours dans les économies contemporaines. Ce monde est en outre impliqué dans trois autres phénomènes : les migrations, le tourisme, et les fuites hors du salariat.
L’origine de cet ouvrage réside dans une interrogation sur les liens entre les mutations du travail et des villes contemporaines. Cette interrogation est née de la participation à des recherches sur les villes portuaires. Ces villes fonctionnent toujours avec une proportion significative de salariés de passage, qui occupent des espaces spécifiques et discrets. D’autres recherches, et implications militantes autour de la précarité, m’amenèrent à constater que nombre de jeunes précaires passent non seulement d’un emploi à l’autre, mais aussi d’un secteur à l’autre, d’un monde de production à l’autre. Leurs parcours professionnels peuvent s’effectuer à plusieurs échelles territoriales : au sein d’un bassin d’emploi, comme entre plusieurs agglomérations. À rebours de certaines conceptions usuelles en économie du travail, ces précaires, alternant emploi et chômage, loin de constituer un « stock », forment un flux de personnes. Enfin, comme ils circulent et disposent de peu de moyens financiers, leurs logements étaient souvent provisoires, voire de passage, et pour certains, mobiles. Au niveau national, la question des articulations entre précarité et logements est posée via l’angle du devenir des cités de logement social, ces autres aspects apparaissent peu. Les « quartiers sensibles » sont au cœur des interrogations sur les problèmes sociaux, puisque souvent déconnectés spatialement des zones d’emploi et concentrant les chômeurs, ils sont vus comme une cause de la précarité. Ces quartiers subissent en retour une dégradation matérielle et une baisse de leur réputation, comme dispositif d’intégration, à la mesure de l’inemploi de leurs habitants. Car les questions de stigmatisation sociale, par l’adresse, aggravent le problème. Les habitants des quartiers stigmatisés sont défavorisés dans leur recherche d’emploi, ce qui accentue la pauvreté dans ces endroits-là. Ce que ces analyses, au demeurant correctes, oublient, c’est que nombre de salariés, et de précaires, doivent se déplacer de plus en plus loin de ces zones, qui ne remplissent plus leurs fonctions d’habitat proches du travail. Le besoin de domicile, de passage, augmente, en même temps, que des personnes tentent de contourner les risques de stigmatisation par la circulation. Les deux questions, précarité et logements temporaires, se croisent à nouveau. Mais en considérant cette problématique, on constate que le logement temporaire et mobile affronte d’autres discriminations, même si elles sont moins « publiques ». Ces discriminations sont institutionnalisées via des textes et des dispositifs anciens, pour certains datant du XIXesiècle. Travail mobile et habitat mobile ont fait l’objet de nombreuses dispositions visant à les réduire et à les réprimer de la fin du XIXesiècle aux années trente. La renaissance actuelle de ces phénomènes se heurte à la réactualisation de ces mesures répressives et à diverses oppositions culturelles ou politiques. Le poids de ces textes incita à mener une enquête historique, au carrefour de la sociologie et de l’économie, pour comprendre la genèse des situations actuelles.
Il y a en fait intrication entre des logiques économiques et des logiques de domination culturelles. L’habitat mobile, et les travailleurs sans lieu de travail fixe, sont déconsidérés dans un système normatif qui valorise l’ancrage territorial. De façon très symptomatique, un des articles les plus célèbres défendant le revenu universel dans une optique libérale, celui de Van Parijs [2], appuie sa démonstration sur un exemple limite : celui des surfers, auquel le sénateur Yee, de Hawaï, dénie, en 1971, le droit à l’aide sociale. Pour les en priver, il le conditionne à une résidence sédentaire d’au moins un an. La tribu des surfers représenterait le parasitisme absolu, y compris en raison de son nomadisme, et en dépit du fait que les surfers travaillent, même de façon intermittente, et ont produit un style de vie dont le marketing s’est emparé [3]. Dans l’article, leur contribution réelle n’est pas évoquée, il s’agit de défendre le revenu garanti même pour des surfers, adeptes du loisir permanent, au nom de la liberté de choix. Or, le procédé par lequel le sénateur Yee entendait séparer le bon grain de l’ivraie revenait à exclure toutes les personnes de passage, et donc à stigmatiser les modes d’habitat mobile dans leur ensemble. L’exemple du surfer, supposé ne s’adonner qu’au loisir, cachait une distinction entre sédentaires, réputés honnêtes travailleurs, et nomades réputés profiteurs paresseux. Cette double équivalence est si banale qu’elle ne retient plus l’attention. Cependant, les personnes circulant avec des logements hors normes assument une grande part de la fameuse flexibilité du travail, tant recherchée dans les discours officiels. La contradiction n’est qu’apparente. La crainte des « sédentaires » de voir des « nomades » prendre sur eux l’avantage, dans la négociation salariale ou le commerce, par leur capacité de mouvements et de réseautage, est une des raisons de la défiance à leur encontre. En outre, l’habitat mobile a été associé à des groupes minoritaires, les Tziganes et « voyageurs », ce qui entraînait moins de droits politiques pour les personnes ayant ce mode de vie. Cette identification masque l’étendue des personnes et des activités concernées. En effet, on rencontre le monde de l’habitat mobile ou de passage en étudiant comment des usages temporaires de l’espace ont des conséquences durables, en considérant les organisations sous-jacentes à l’échange international, comme à l’organisation de l’intermittence sur les ports, enfin en étudiant les nouvelles formes d’organisation de la production industrielle. Mais l’habitat mobile ne concerne pas seulement la socioéconomie du travail. Il y a une interaction entre ces pratiques d’habitat, la façon dont les autorités les ont considérées, et la mise au point de certains biens, via leur mode de diffusion. Pour les objets de l’habitat mobile bien sûr, (tentes, caravanes, camping-car, etc.) mais aussi pour d’autres, dont les liens avec ces dispositifs peuvent apparaître, de prime abord, plus lointains. Par exemple, nombre de produits nouveaux, sans clients déjà informés, ont besoin d’être normés sur les foires, pour être portés ensuite sur le marché banal. Travail et habitat mobile sont aussi des conditions, souvent cachées, à la réalisation d’innovations, dans les produits ou dans les organisations.
Ce monde « flottant » est donc transversal à différentes sphères de la circulation et de la production. Cet ouvrage vise à reconnaître l’importance de ces dispositifs mobiles dans l’histoire économique et sociale, comme dans les enjeux contemporains. Mais les dimensions culturelles de cette histoire ne sont en rien détachées des évolutions économiques. D’une part l’économique influe sur le statut des personnes engagées dans ces modes de vie, mais d’autre part, l’action de ces personnes, comme celles des institutions visant à les « contenir », ont eu des conséquences sur les dynamiques du marché du travail et des biens, et, in fine, des villes. Ce que nous essayons de dégager, c’est l’influence réciproque entre aspects sociaux, culturels et économiques de l’itinérance professionnelle, dans un cadre politique lui aussi changeant. Il s’agit de critiquer l’influence de l’adjectif « marginal », souvent employé pour qualifier ces personnes et ces pratiques, terme qui donne l’impression d’une extériorité, alors qu’en maintes occasions, elles ont été impliquées dans des processus mettant en jeu des changements globaux de la société. L’hypothèse générale, qui sous-tend notre recherche, est que la question des minorités, culturelles, sociales, la question de la situation économique des minorités doit être modifiée si on s’intéresse à la construction sociale des marchés. Nancy Fraser [4] [5]. Nous souscrivons à cette analyse, nous pensons que la question des inégalités économiques implique des critères qualitatifs et pas seulement quantitatifs. Mais, en outre, ces critères influent aussi sur la définition des produits, la genèse des organisations du travail et des systèmes d’emploi. Les conflits sur les personnes peuvent déborder, plus ou moins involontairement, sur des définitions d’objets (qu’on se rappelle en France les débats sur le voile islamique, sur sa distinction avec le bandana ou le turban, etc.). Ces débats influencent la trajectoire des marchés, qui ne sont pas réellement autonomes car ils ont besoin de toute une série de conventions, d’accords préalables, de dispositifs, de régimes de coordination pour fonctionner correctement. Les luttes politiques et culturelles forment aussi l’économie, elles en modifient certains contours, favorisent la diffusion de certains produits et façons de faire, restreignent la rentabilité de certains autres. Ces luttes ouvrent et referment des possibles, elles influencent aussi l’urbanisme et la forme des villes. L’activité de catégorisation, d’exclusion ou de récupération des personnes en habitat « non ordinaire » en fournit beaucoup d’exemples. Face à cette implication des objets, la lutte pour la reconnaissance, ou simplement la survie, de certains groupes passe par l’innovation politique, mais aussi par l’innovation économique. C’est une des clés d’explication de la dynamique d’adoption du cinéma des origines, mais aussi d’autres nouvelles technologies. La reconnaissance des groupes minoritaires est une des voies de compréhension des évolutions globales, qui sont mal expliquées par la seule considération des modes de vie et de travail dominants, ou simplement moyens. a montré qu’on ne pouvait opposer situations de domination culturelle et économique. La domination culturelle s’accompagne de revenus plus faibles, de parcours professionnels plus contraints. Cet auteur suggère qu’une politique de reconnaissance culturelle seule ne peut modifier véritablement le sort des minorités, car le « marché autonome » accroîtra les inégalités économiques héritées du passé, de la même façon qu’une politique de redistribution, sans reconnaissance culturelle, échouera à modifier les statuts des personnes discriminées en raison de leur appartenance à un groupe subalterne
Pour autant, cette reconnaissance ne débouche pas sur l’introduction théorique de nouveaux acteurs à l’identité fixe, pour assister l’homo economicus standard et « représentatif ». Admettre la pluralité des acteurs ne peut s’effectuer par la création d’autres entités réifiées, ce n’est pas la collection qui permet de comprendre la variété, mais la prise en compte des possibles. Il faut déconstruire l’idée selon laquelle ces modes de vie et de travail itinérants seraient constitutifs en eux-mêmes de groupes spécifiques. Il y a passage entre des mondes professionnels autant qu’entre les lieux, Les frontières elles aussi sont mobiles. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas adopté une approche culturaliste de l’habitat et du travail mobile. Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’éviter la dimension tzigane du phénomène, surtout en France. Cependant, il convient de rappeler que tous les Tziganes ne sont pas nomades : les Roms de Roumanie, comme les Gitans du sud-ouest de l’Hexagone et de la péninsule ibérique, sont sédentaires, et quand ils se déplacent c’est avant tout comme migrants. L’approche par la culture tzigane ne peut donc que recouvrir partiellement ces aspects. D’autre part, des groupes professionnels, par exemple les travailleurs du transport, peuvent partager des pratiques avec les forains manouches, et s’agissant des mariniers, élaborer des institutions avec eux. L’étude ces dispositifs ne peut donc être menée dans une vision a priori centrée sur des cadres cognitifs privilégiant des découpages ethniques qui peuvent manquer les inventions et les évolutions. Il ne s’agit pas pour autant de récuser une approche culturelle du « voyage », même professionnel, approche qui a d’ailleurs été largement développée dans la revue Études tziganes, mais de se concentrer sur les aspects économiques et politiques. Dans cette perspective, la culture est une ressource qui peut expliquer les choix, parfois très résistants aux incitations dominantes, en situation d’incertitude. Elle participe sans doute de l’élaboration de solutions à des problèmes de coordination au sein de certains groupes, encore que dans le cas des interactions marchandes on puisse le mettre en doute : des groupes culturels différents peuvent aboutir à des règles semblables dans ce registre. Nous avons préféré tenter de mettre en lumière des problématiques dépassant les cadres culturels hérités, par la diversité des parties prenantes et la chaîne des interactions en jeu.
Pour analyser ce réseau de places, d’interstices, d’acteurs mobiles, de dispositifs transitoires, l’ouvrage s’appuie sur une conception institutionnaliste et conventionnaliste de l’économie. Nous partons des incertitudes relatives à différents contextes et registres d’action pour comprendre comment les acteurs organisent le travail, la production et la circulation d’informations, de dispositifs et de marchandises. Un « monde de production », notion forgée par Robert Salais et Michael Storper [6], est un ensemble de règles, d’objets, de personnes autour de la construction d’un produit, face à une incertitude spécifique. Le monde de l’industrie du cinéma n’est pas celui de la production automobile modulaire ou des centrales électriques nucléaires. Cette notion de monde de production permet de s’affranchir de l’individu standard ou de la firme représentative pour penser la diversité des situations économiques. C’est dans cette diversité réelle et les entre-deux, productifs ou non, que circulent acteurs et habitats de passage, sans qu’ils puissent le plus souvent accéder à une reconnaissance de leurs contributions. En fait le premier exemple que convoquent Robert Salais et Michael Storper pour étayer leur présentation (p.14) est celui « d’une soudure sur la tuyauterie d’une centrale électrique nucléaire », réalisée non par un employé permanent, mais par un salarié délégué par un sous-traitant (p.16), ignorant des conventions de la centrale et arrivant du travail industriel standard, avec l’habitude de risques moins importants. Cette figure furtive qui doit opérer des traductions et sert à illustrer les différences entre mondes de production, nous allons nous aussi la croiser : c’est le nomade du nucléaire, travailleur mobile apparu dans les années quatre-vingt-dix. Les mondes de production, théoriques et réels, ne peuvent vraiment s’en passer. C’est donc une question implicite, présente et refoulée, des théories de la production, comme de celle de la redistribution, ainsi que nous l’avons vu chez Van Parijs, que nous présentons.
Loin de considérer l’habitat non ordinaire et les formes de travail associées comme des choix rationnels et individuels, nous les tenons pour des solutions, dans des situations données. Ces solutions sont collectives, contingentes et l’histoire passée compte dans leurs genèses. Elles évoluent donc avec les conjonctures économiques, avec des configurations de moyenne durée, dans un contexte politique qui leur est plus ou moins favorable.
Nous ferons référence à des notions des théories micro-économiques, telles les externalités, économies d’échelle, et celles de réseaux. Cependant, ces emprunts au corpus standard seront contextualisés, dans le cadre d’une socioéconomie des conventions. La notion de convention, d’origine keynésienne, désigne une règle plus ou moins implicite pour réduire l’incertitude. Elle nous sert de plusieurs façons.
Elle nous permet d’abord de reconstituer la façon dont des administrations, municipales et nationales, ont tenté de mettre en forme pour mesurer, gérer et marginaliser ces phénomènes. Comme ils cadrent mal avec les représentations dominantes de l’emploi, de l’habitat et de la ville, le traitement a, le plus souvent, abouti à les réifier d’abord pour mieux les rendre invisibles ensuite.
Elle nous permet ensuite de comprendre la place que l’habitat non ordinaire occupe dans une économie du travail élargie aux conditions hors de l’entreprise. Cette compréhension passe par la formalisation des équivalences qui concourent aux statuts et aux salaires. Elle implique de considérer les villes comme des cadres pour organiser la coexistence entre des secteurs et des « mondes de production » différents. Elle nous permet de re-contextualiser certains usages dans les stratégies des grandes entreprises et l’économie urbaine. Néanmoins, ces dispositifs nomades sont aussi, en tant que mode minoritaire, l’expression d’une résistance aux normes dominantes, ou d’une volonté de fuite des places que ces normes assignent à certains acteurs.
L’importance de la notion de convention réside aussi dans l’acceptation de leur caractère en partie non déterminée par les forces productives ou les représentations politiques, elles sont toujours en partie arbitraires, dénonçables et remplaçables.
La distinction entre règles et interprétations permet en effet d’intégrer la capacité des acteurs à infléchir, voire à modifier, même de façon minuscule, ces normes dominantes.
Dans cette théorie émergente, les acteurs ne font pas que suivre des variations de prix, leurs actions découlent aussi de représentations plus larges et sont aussi la résultante des représentations des enchaînements, vision parfois conflictuelles ou faiblement performatives. Toutes les conventions ne sont pas auto-réalisatrices, même quand elles sont partagées par une majorité relative.
Pour étayer notre propos, nous avons donc recouru aux statistiques, mais moins pour fournir des chiffres, que comme grille de lecture des grandeurs et des constructions administratives. On verra, en effet, que leur fonctionnement et les sanctions qui peuvent y être associées, en font, dans ce cas, une source peu fiable. Nous avons également mené une enquête dans d’autres archives, locales et nationales, que celles des recensements. Ces archives nous ont permis de retracer les périodes, les étapes, les évolutions des marchés des biens et du travail associés à la mobilité du milieu du XIXe siècle à nos jours en France. L’histoire continue à expliquer la genèse de nombre de configurations actuelles dans lesquelles est impliqué l’habitat hors normes. Nous avons enfin conduit des entretiens, pour recueillir des informations et des interprétations de la situation contemporaine. C’est donc une méthode pluridisciplinaire que nous avons suivie pour réaliser cette enquête. Elle était d’autant plus justifiée que le phénomène était dispersé, difficile à suivre, en partie masqué par des représentations le minorant en privilégiant d’autres enchaînements, notamment dans les phases d’innovation de produits ou les évolutions de la planification urbaine. Il fallait emprunter plusieurs voies pour esquisser les contours de dispositifs moins marginaux qu’intriqués dans des mondes divers, marchands et industriels, architecturaux, voire militaires, et dans les replis de l’économie informelle. Accéder aux personnes et obtenir des entretiens, a supposé aussi de participer à des actions menées par des associations de défense des Tziganes, de l’habitat éphémère et mobile, des luttes de précaires. La complexité des interactions en jeu impliquait de participer à ce qui se passait comme unique façon de le comprendre, on ne pouvait s’en tenir à une position d’observateur extérieur. Le soutien de No Vox, d’AC ! et d’Halem nous a été indispensable. Pour reprendre parfois un point de vue plus distancié, nous avons aussi utilisé des outils plus spéculatifs, économétrie et simulation par automates cellulaires. Ces outils ont permis d’envisager les résultats possibles des décisions prises par des acteurs spatialement dispersés et pourtant reliés par des réseaux intra et interurbains. L’enquête de terrain a permis de tester la validité de certaines conjectures, et a été orientée aussi par ces outils.
L’ouvrage suit donc un plan historique en trois parties. La première part des années 1870 et suit une période de relative prospérité de l’économie itinérante, avant une répression et un déclin.
La deuxième partie aborde la situation des travailleurs mobiles au sein du fordisme, de sa marginalisation à sa renaissance. De nouvelles segmentations du travail et de nouvelles ségrégations spatiales en découlent : des enclaves nomades.
La troisième partie portera sur la situation nouvelle dans les villes : fragmentation et défragmentation urbaine au début du XXIe siècle.
Le dernier chapitre revient sur les formes politiques sur lesquelles une reconnaissance de ces formes d’habitats peut, ou non, s’adosser : les conventions, règles, normes que nous recensons sont-elles appuyées sur une représentation formalisable et contenant une certaine part de généralité ? En fait, il s’agit d’éléments pouvant relever, sinon d’une « cité » au sens de Boltanski et Thevenot [7], du moins d’une économie politique anarchiste ayant évolué depuis le XIXe siècle et après une longue éclipse, jusqu’à sa réactualisation dans des versions postmodernes, peut-être en passe de s’intégrer dans un ensemble plus vaste, via les thématiques de l’Économie sociale et solidaire.
Arnaud Lemarchand
NOTES
[1]. Élisabeth Filhol, 2011, La Centrale, Paris, P.O.L.
[2]. Philippe Van Parjis, 1991, « Why surfers should be fed : the liberal case for an Unconditional Basic income », Philosophy and Public Affairs20,
[3]. Gibus de Soultrait, 2005, Le monde du surf, avec le photographe Sylvain Cazenave, Minerva.
[4]. Nancy Fraser, 2011, Qu’est-ce que la justice sociale. Reconnaissance et redistribution, La Découverte.
[5]. Nancy Fraser, 2009, « Reenquadrando a justiça em um mundo globalizado. Lua Nova [online].n.77 [cited2011-06-09], pp. 11-39. Available from : . ISSN 0102-6445.doi:10.1590/S0102-64452009000200001.
[6]. Robert Salais et Michael Storper, 1993, Les mondes de production. Enquête sur l’identité économique de la France, Paris, Éditions de l’EHESS.
[7]. Luc Boltanski, Laurent Thévenot, 1991, De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard.
Arnaud Lemarchand
Auteur :
Arnaud Le Marchand est maître de confèrences en sciences économiques à l’université du Havre. Il collabore à la revue Multitudes, ses recherches portent sur l’économie du travail et l’économie urbaine dans la mondialisation.
Enclaves nomades
Habitat et travail mobiles
228 pages 14 x 20,5 18.50 euros
septembre 2011
Éditions du Croquant, Collection TERRA
ISBN : 978-2-914968-94-2
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