Du Japon, Lepage appelle à un débat sur la sortie du nucléaire en France
De Tokyo l’ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage a appelé à un grand débat sur la politique énergétique et la sortie du nucléaire en France pendant la campagne présidentielle, à l'occasion d'un passage au Japon où elle s'est notamment rendue à Fukushima.
"Il faut un grand débat sur la politique énergétique qui doit aboutir, car c'est notre intérêt économique autant que sécuritaire, à une sortie programmée du nucléaire", a-t-elle expliqué devant des journalistes français à Tokyo, à l'issue d'une visite de trois jours dans l'archipel.
Repartie vendredi pour la France, elle s'est dit marquée par sa rencontre avec l'association des mères de Fukushima, la capitale de la préfecture du même nom (nord-est du Japon), située à une soixantaine de kilomètres de la centrale Fukushima Daiichi, accidentée depuis le 11 mars.
"J'ai vécu Tchernobyl (en 1986, ndlr) et j'ai l'impression de revivre la même histoire", a déploré Mme Lepage, évoquant le manque d'informations et de moyens dont disposent les riverains pour évaluer les risques pour leur santé.
"L'Etat japonais fait ce qu'il peut mais on est dans l'expérimentation. Ce qu'on voit avec Fukushima, c'est qu'aucun gouvernement ne peut payer pour protéger les gens et les indemniser après un accident nucléaire", a-t-elle souligné.
La députée européenne, présidente du parti Cap21, en conclut que la France doit dès maintenant envisager une sortie du nucléaire en arrêtant de construire de nouvelles centrales.
"C'est un problème économique: cette industrie ne supporte pas son coût. Si le système du pollueur-payeur imposé aux autres industries s'appliquait au nucléaire, vous n'auriez plus d'énergie nucléaire !", a-t-elle souligné, évoquant la facture du démantèlement des centrales et de la gestion à long terme des déchets radioactifs.
Mme Lepage souhaite qu'à l'heure où les Etats sont grevés de déficits, l'impact sur la dette publique française de la poursuite du nucléaire soit précisément évalué.
"A force de tout miser sur un secteur qui va avoir de plus en plus de difficultés, à refuser d'investir dans l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables, nous allons manquer le train de la réindustrialisation et du réemploi en France", s'est-elle inquiété.
Elle a donné en exemple l'Allemagne, dont les ambitions dans l'énergie solaire, éolienne et géothermique permet la création de près de 400.000 emplois.
L'ancienne candidate à l'élection présidentielle de 2002 a assuré ne pas écarter de se lancer de nouveau en 2012. "Ce qui est sûr, c'est que je ne soutiendrai pas le président sortant, pour le reste nous verrons", a-t-elle conclu.
APL
Le climat peut se passer de l’atome
La lutte contre le gaspillage et le développement du courant vert permettraient de se passer du nucléaire sans renoncer à réduire les émissions de CO2.
Renoncer à l’atome, assurer un approvisionnement suffisant en électricité et lutter contre l’effet de serre: mission impossible? Les études montrent que ces défis énergétiques actuels ne sont pas inconciliables. Ils supposent toutefois des politiques volontaristes pour réduire le gaspillage, développer les énergies vertes et en finir avec certaines aberrations écologiques. Tour d’horizon des principaux enjeux.
Coupler chaleur et courant
Les Chambres fédérales se sont prononcées pour une réduction de 20% des émissions de CO2 par rapport à 1990. Mais le débat sur la sortie du nucléaire a remis la question sur le tapis. Y a-t-il incompatibilité entre l’abandon de l’atome et la protection du climat? «C’est totalement faux», tranche Bernard Lachal, responsable du Groupe Energie de l’Institut Forel, rattaché à l’Université de Genève.
Ce professeur estime qu’il ne faut «pas se laisser enfermer dans le débat du nucléaire», mais envisager la politique énergétique dans son ensemble. La priorité consiste à lutter contre le gaspillage, en traquant les installations à faible rendement. Les moteurs à essence en font partie; une électrification de la mobilité individuelle profiterait donc au climat. La question du trafic aérien doit aussi être abordée. «Il est aberrant de vouloir en même temps imposer des centrales nucléaires et permettre les vols low cost», critique-t-il.
Bernard Lachal prône une approche «thermoélectrique». La chaleur issue de la production d’électricité doit être récupérée. Dans ce contexte, les centrales électriques à gaz ne sont pas forcément rédhibitoires. Mais il s’agit de placer ces installations à proximité des agglomérations, à des fins de chauffage. Bernard Lachal voit d’un bon œil le projet de centrale à gaz à Vernier (GE), contrairement à celui de Chavalon (VS), situé trop loin des habitations. Avec une transition au gaz, on peut sortir du nucléaire «dans cinq ans», estime le professeur.
Réduire le gaspillage
Il est possible de réaliser des économies sans affecter le niveau de confort. Exemples: remplacer les éclairages gourmands en énergie, améliorer le rendement des ventilateurs et réduire le mode veille de certaines installations. Il s’agirait aussi de remiser les chauffages électriques, qui engloutissent plus d’énergie que n’en produisent les centrales de Mühleberg et de Beznau I. Dans une étude publiée en 2010 («Efficacité électrique et énergies renouvelables – une alternative rentable aux grandes centrales»), le bureau de recherche et de conseils Infras avance un potentiel d’économies de 19 TWh, soit l’équivalent de 75% du nucléaire suisse. Cela implique d’imposer des normes plus sévères pour les appareils électriques, d’inciter puis de contraindre les propriétaires à changer les installations énergivores. Le délai de réalisation de ces mesures avoisine dix à quinze ans.
Doper le courant vert
Ces économies risquent d’être en partie compensées, et pas seulement en raison de la croissance démographique. En cas de développement de la mobilité électrique et des pompes à chaleur, la demande de courant croîtrait. Il est donc indispensable de doper le courant vert. L’hydraulique représente déjà 56% de la production électrique du pays, et a une marge de progression plutôt faible. Par contre, l’éolien, le solaire, la géothermie et la biomasse (déchets végétaux) ont un potentiel considérable. Infras estime que les nouvelles énergies renouvelables peuvent fournir 11 TWh supplémentaires d’ici à 2035. La Suisse continuera cependant d’importer du courant en hiver.
Investir coûte moins cher
Un argument avancé par les partisans de l’atome porte sur le prix du courant vert. Un kilowattheure (kWh) d’origine éolienne revient actuellement à 20 centimes environ; le photovoltaïque coûte le double. Les exploitants des centrales nucléaires de Gösgen et de Leibstadt affichent quant à eux des coûts de 3,6 et de 5,1 ct/ kWh. Dans un rapport publié en 2009 («Comment assurer l’approvisionnement électrique de la Suisse?»), le bureau d’ingénieurs Weinmann-Energies parvient à des estimations plus élevées (6,7 et 9ct.). Surtout, ces chiffres ne tiennent pas compte de la gestion des déchets au-delà de la durée de vie des centrales, ni de la couverture des risques. L’énergie nucléaire bénéficie donc d’une sorte de rente indirecte des pouvoirs publics.
D’autre part, le prix de revient du courant vert ne cesse de baisser. «Dans cinq ans, il deviendra intéressant du point de vue économique», assure Charles Weinmann, fondateur du bureau éponyme. Pour stimuler ce secteur, un système de rétribution à prix coûtant du courant a été introduit en 2008. Ses effets sont encore timides: il a augmenté la production de 0,5 TWh selon Swissgrid, l’entité qui verse les subventions. Le potentiel des projets non encore réalisés mais déjà retenus par Swissgrid atteint 3 TWh, soit l’équivalent de la production de Mühleberg.
Selon Infras, le scénario couplant économies d’énergie et production de courant vert nécessite un investissement plus important que la construction d’une nouvelle centrale. Mais il créerait aussi nettement plus d’emplois et de plus-value en Suisse.
Michaël Rodriguez
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