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jeudi 29 septembre 2011

La Grèce...pour sortir des conformismes de la pensée...


Ce que vous n’apprendrez jamais au Festival Est Ouest de Die…
La Grèce… et pourquoi pas l’Ethiopie ou la Somalie ?
Pour défendre l’aide à la Grèce, les arguments sont parfois cyniques, comme savent l’être (souvent) les économistes : c’est notre intérêt disent-ils, car sinon ce sera notre tour… Vision mesquine estiment certains hommes politiques, tel Jacques Delors qui dénonce dans les réticences à s’engager des ministres européens des Finances « un coup terrible à tous ceux qui s’attachent à avoir une vision d’une Europe en paix et d’une Europe prospère » (propos rapportés par Libération, 19/09/2011). Mais qu’on préfère ces accents lyriques, ou la version plus moderniste de tous ceux qui mettent en avant la solidarité européenne, ou qu’on s’en tienne à la notion d’intérêts bien compris, il s’agit toujours d’intérêts ou d’idéaux contenus dans les frontières réduites de l’Europe. Dans le même temps, le fait qu’on peine à rassembler les milliards qui seraient nécessaires pour lutter efficacement contre la famine qui sévit actuellement dans la Corne de l’Afrique ne suscite semble-t-il pas grandes réactions.
Pourtant, ceux qui sont friands de petits calculs devraient s’intéresser à l’effet potentiellement régressif de l’aide aux plus pauvres que soi que pointe dans son dernier livre « The Haves and the Have-not » (Basic Books, 2011), Branko Milanovic, économiste à la Banque Mondiale.  Il  rappelle d’abord que les inégalités entre pays sont telles que dans les cas les plus extrêmes, les habitants les plus pauvres des pays les plus riches sont plus riches que les plus riches des pays les plus pauvres.  Puis il souligne que c’est seulement dans ce cas de figure que  les aides ou transferts d’un pays à l’autre ne peuvent avoir une dimension régressive, en ce sens qu’aucun individu pauvre du pays riche donateur  se trouve mis à contribution pour un habitant d’un pays pauvre de fait plus riche que lui. Ce serait le cas si nous aidions les pays de la Corne de l’Afrique, puisqu’en 2010, le PIB PPA par tête était de 350 dollars en Ethiopie, d’environ 600 en Somalie. Ce n’est pas le cas si nous aidons la Grèce, dont le PIB PPA par tête était (encore) de 27 301 dollars en 2010, car l’écart de richesse moyen avec notre pays (en 2010 : 41018)  est bien plus modéré. A cet écart relativement modéré entre les niveaux de richesse moyen s’ajoute le fait qu’il y a en Grèce un niveau élevé d’inégalités (c’est un des pays les plus inégalitaires de la zone euro), et donc des Grecs bien plus riches que les Français les plus pauvres.
On peut certes juger que ce risque de transfert régressif pèse peu par rapport à nos intérêts immédiats, mais ce jugement me semble valoir à court terme seulement, même si c’est peut-être plus spéculatif… Car si on allonge un peu l’horizon, nous sommes tous, pays les plus riches et pays les plus pauvres, dans le même bateau, tant sur le plan économique qu’écologique. Nous savons pertinemment que nous avons tout intérêt à ce que les pays pauvres deviennent nos clients, même si nous savons aussi que le développement économique de certains pays jadis pauvres a des conséquences directes sur notre environnement commun. Certes, les inégalités mondiales sont moins visibles que les inégalités nationales, et à ce titre, les politiques ne les mettent guère en avant.  Mais le monde devient plus intégré et notre richesse ne peut plus être ignorée des habitants des pays les plus pauvres. Comment n’apparaîtrait-elle pas alors dans tout son arbitraire ?
Dans son ouvrage, Branko Milanovic souligne qu’une part importante de votre revenu (environ 60%) dépend du pays où vous avez la chance ou la malchance de naître ; si on y ajoute les 20% qui s’expliquent par votre origine sociale, il est clair que la place laissée à des facteurs de type mérite personnel est singulièrement faible (au plus 20%), par rapport à cette « prime » dont vous êtes doté à la naissance (ce qu’il appelle la « birth premium »). La solution la plus sûre pour s’élever dans l’échelle des revenus est alors de migrer d’un pays pauvre vers un pays riche : B.Milanovic cite les résultats impressionnants d’une enquête de la Banque Mondiale demandant à un échantillon de citoyens de pays pauvres s’ils seraient prêts à émigrer si cela était possible légalement ; c’est la moitié ou davantage qui répond positivement dans des pays comme le Bangladesh ou la Roumanie…  Rien d’étonnant donc, note-t-il, si les pays riches construisent des murs ou des textes pour essayer de se protéger des migrants venus des pays pauvres !
L’Europe peut-elle être autre chose qu’une forteresse assiégée ? Si le cas de la Grèce remet la question de la solidarité entre les peuples au goût du jour, tant mieux, mais pourquoi la contenir dans le cercle fermé des pays les plus riches ? N’est-ce pas suicidaire pour nos grands principes d’accepter qu’ils soient bafoués hors de nos frontières : ce sont là des interrogations davantage de nature éthique que nous reprendrons dans un prochain post encore plus spéculatif ! 
Marie Duru-Bellat
Marie Duru-Bellat, sociologue spécialiste des questions d’éducation, est professeur à Sciences-Po (Paris) et chercheur à l’Observatoire Sociologique du Changement.
Elle travaille sur les politiques éducatives et les inégalités sociales et sexuées dans le système scolaire, en France et en Europe. Elle s’intéresse actuellement à la perception et la légitimation des inégalités, en France et à l’échelle du monde.
Parmi ses derniers ouvrages, on compte : Les inégalités sociales à l’école. Genèse et mythes, PUF, 2002 ; L’école des filles, L’Harmattan, 2004 ; L’inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Seuil, 2006 ; Le mérite contre la justice, Les Presses de Sciences Po, 2009 ; Les sociétés et leur école. Emprise du diplôme et cohésion sociale, Paris, Seuil, 2010 (avec François Dubet et Antoine Vérétout).


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