Clitocratie
Caroline de Haas. Salariée du PS, cette représentante d’une nouvelle génération féministe dénonce le sexisme à l’œuvre dans l’affaire DSK.
Elle se déclenche vite, réagit au quart de tour, organise pétition numérique, manif gazouillante ou happening viral, avec une efficacité primesautière et une allégresse au tranchoir. Caroline de Haas, porte-parole et cheville ouvrière d’Osez le féminisme (OLF), s’est emparée de l’affaire DSK pour dénoncer un sexisme résurgent.
Sous couvert de bonnes intentions, les vieux mâles dominants de la gauche morale auraient laissé affleurer leur refoulé misogyne. Tout à leur devoir d’amitié, ils auraient réduit la victime supposée à une simple plaignante à la parole douteuse. Et ce mépris inconscient ne serait que le dernier avatar de la sempiternelle domination masculine. Le piquant de l’histoire veut que De Haas, 31 ans, soit salariée par le PS (2 200 euros mensuels) et collaboratrice de Benoît Hamon, qui n’a jamais été un obligé du camarade FMI.
Sur ce dossier, De Haas et compagnie oublient l’humour qui avait rajeuni leurs actions. Elles ferraillent à l’ancienne, à la classique, en chiennes de garde. Guerre des sexes, énième épisode. Elles négligent la honte ressentie par le camp du progrès, catastrophé d’avoir confié ses espoirs à un possible criminel. Elles zappent la violence du lynchage symbolique commis par l’empire américain, d’autant plus mal vécu par le vassal occidental que celui-ci sait bien que ses velléités d’affranchi ne sont que poudre aux yeux. Voir le chouchou sondagier menotté en direct est vécu comme un crime de lèse-majesté républicaine et comme une décapitation, une castration, de l’exception française.
Au-delà de la dénonciation des violences faites aux femmes, OLF prône classiquement l’égalité des salaires, la parité en politique, ou le maintien des centres d’IVG. En des domaines moins consensuels, OLF veut condamner les clients des prostituées ou interdire la gestation pour autrui. Ce qui tendrait à classer ces trentenaires dans le camp des essentialistes et des puritaines. Plutôt Agacinski que Badinter, pour faire court.
Nous allons voir avec Caroline de Haas que ce n’est pas si simple. Que les positions des nouvelles féministes sont mouvantes, évolutives, hybrides. Que les clivages n’ont plus forcément de structures philosophiques précises. Que le régressif se marie avec le transgressif. Et que parfois, les hésitations affichées pendant l’entretien tiennent du rideau de fumée que déchirera le tranchant des certitudes d’Athéna, à l’heure du combat.
Impossible de l’appeler Caroline, ça fait Ségolène, Martine et autre infantilisation du féminin. Difficile de continuer à la nommer De Haas, vu qu’elle revendique peu cette particule. L’aristocratie flamande des origines se situant à des années-lumière de ses racines lyonnaises et bourgeoises (banquier, chef d’entreprise…). Alors, va pour les initiales. Va pour CdH, comme exista un jour un certain DSK.
Née en 1980, CdH est une incongruité sociale dans une France des familles qui a aussi fait le choix du nucléaire. Cette fille de médecins est l’aînée de huit enfants. Elle en dit, ravie : «Mes parents adoraient les gosses, les tout-petits.» Et elle raconte une vie campagnarde et autonome, où l’on pédale quinze kilomètres pour aller à la ville, où l’on guette les oiseaux au bord des étangs, où la consommation est snobée et où l’on reprend les jupes-culottes des cousines. Son père est généraliste, défenseur des maisons de santé et responsable syndical MG France. Sa mère est gynécologue et échographiste. Il est athée, elle est catholique et peu favorable aux fécondations in vitro, même si respectueuse du libre arbitre. Il est PS, elle est «plus ovni politique», selon sa fille.
Les hésitations de CdH se manifestent dans la variété de ses investissements à la fin de l’adolescence. Hyperactive, d’une énergie soufflante, souvent même «fatigante» insistent ses amis, elle se multiplie à la mesure de ses incertitudes. Elle s’engage à la fois à Amnesty International, aux Petits Frères des pauvres, aux Scouts unitaires, à l’Unef et au MJS, où Hamon tisse sa toile. Bientôt, le caritatif va céder devant le militantisme de gauche. Aujourd’hui, elle se dit laïque. Elle s’oppose à ce qu’une religion puisse interdire l’avortement ou imposer le voile. Surtout, elle déteste qu’on puisse lui imposer quoi que ce soit. Et de claironner : «J’ai fait un énorme chemin pour me libérer de ma morale judéo-chrétienne.» Vu son abolitionnisme en matière de prostitution, son refus de la «marchandisation des corps» et sa dénonciation du porno, il lui reste peut-être un bout de macadam à arpenter…
Le militantisme étudiant sera son école d’efficacité. Elle en ressort championne en organisation, reine de la formation des cadres, star en structuration. Entre deux AG, elle fait du télé-marketing et défend trois mémoires d’histoire. Intitulés : «La spiritualité conjugale sous l’Ancien Régime», «CGT et CGTU, de 1920 à 1936», et «Comment les partis de gauche se sont appropriés l’autogestion de Tito».
CdH ne se prétend pas intellectuelle. Elle surjoue la banalité, cédant à ce classique féminin qu’est la dévalorisation de soi. Elle se dit bonne cliente des «livres en tête de gondole à la Fnac». Avoue qu’en matière musicale, elle s’est arrêtée aux Beatles, ne faisant exception que pour les Fatals Picards. Et, elle prétend adorer cuisiner, «afin de ne plus penser à rien».
Le souci féministe, qui pourrait n’être qu’un moment d’une ambition politique, lui est venu doucement. Elle identifie trois moments clés. 2003 : empaillage sur le voile islamique. 2008 : découverte que le viol est plus répandu qu’elle ne pensait. 2010 : interrogation sur la notion de genre.
Elle vit en couple avec un doctorant en économie, attend un enfant, se dispenserait volontiers des couches lavables décroissantes, et présente tous les stigmates de l’hétérosexualité basique. Ce qui ne l’empêche pas de se définir désormais comme «hétéronormée» et d’ouvrir le champ des possibles pour ses désirs futurs.
Tandis qu’OLF défend benoîtement la liberté sexuelle entre adultes consentants et va faire campagne pour la réhabilitation du clitoris, CdH, elle, s’interroge, entre malice et naïveté, sur la sodomie chez les hétéros. Elle fait valoir que, prostate oblige, le plaisir masculin aurait tout à y gagner. Comme on n’est pas complètement ahuri, on a bien compris que derrière l’argument scientifique, il est question d’inversion des pouvoirs et des passivités. Mais il serait intéressant que la campagne présidentielle se saisisse de débats de ce genre. Cela renforcerait la parité, en permettant des dépôts de plaintes masculines pour rapport anal non désiré. Et, cela ferait grimper le chiffre d’affaires des marchands de sex-toys. En attendant l’arrivée des clitos-bites…
LUC LE VAILLANT
Caroline de Haas, en 6 dates
1980 : Naissance.
2001-2009 : Trésorière, puis secrétaire générale de l’Unef.
Juin 2009 : Création d’Osez le féminisme.
Juillet 2010 : Lancement du site Viedemeuf.
18 mai 2011 : Appel contre le sexisme, à l’occasion de l’affaire DSK.
6 juin 2011 : Campagne «Osez le clito».
(Photo Olivier Roller)
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