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mardi 21 juin 2011

Le Dauphiné Libéré est il un jourrnal ?

Pourquoi Le Daubé est-il daubé ?
Grand Feuilleton. Suite et Fin. Episode 6.
Les tentacules d’un groupe presque totalitaire
Bien avant Facebook, Le Dauphiné Libéré a toujours pris soin de se faire beaucoup « d’amis ».
Découvrons comment l’étendue du réseau de partenariats du quotidien local lui permet de consolider sa position d’institution incontournable et incritiquable.
Le Dauphiné Libéré n’est pas un journal. Le Dauphiné Libéré est un « groupe » avant d’être un journal.
Un groupe, c’est-à-dire une entreprise capitaliste dont le but est de faire de l’argent. Comme tout bon groupe, Le Dauphiné Libéré est prêt à tout pour grandir et pour augmenter ses bénéfices. D’une part, on l’a vu dans les épisodes précédents, en modelant sa ligne éditoriale suivant le sens du vent et des ventes ; et d’autre part en développant des activités n’ayant pas grand-chose à voir avec la presse.
La plus vieille et la plus célèbre de ces activités, c’est le Critérium du Dauphiné Libéré. Cette course cycliste fut créée en 1947 par Georges Cazeneuve, un des fondateurs du journal, « dans une perspective exclusivement publicitaire, afin de faire mieux connaître le nom du journal dans toute sa zone de diffusion » (1). Toujours existant aujourd’hui, le Critérium vient d’être revendu par le groupe Dauphiné Libéré à ASO, société organisatrice du Tour de France et de multiples autres épreuves. Mais si le groupe de presse n’a plus à s’occuper du tracé et autres questions logistiques, il reste tout de même partenaire et devrait continuer à bénéficier de la « perspective exclusivement publicitaire », entendu que la course va garder le même nom. Pour expliquer cette cession, Henri-Pierre Guilbert, le P.D.G. du Dauphiné Libéré, parle d’une
«Décision stratégique. Le Dauphiné Libéré souhaite recentrer ses activités sur son cœur de métier » (Le Monde, 7/01/2010). Une explication cachant celle beaucoup plus probable de la perte d’argent (« La course, selon des sources internes au journal, accusait un déficit ») mais évoquant une réalité du Dauphiné Libéré, à savoir que c’est un groupe aux activités éparpillées, souvent bien loin de son « coeur de métier ».
Jugez plutôt :
- Le Dauphiné Libéré organise des salons. Parmi les plus fameux, citons le salon de l’auto, le salon de l’immobilier, le salon de la formation ou le salon « Générations 50+ » (dédié aux plus de cinquante ans), organisés à Grenoble.
Mais aussi le salon du mariage à Chambéry, le salon des sports ou tdoor aux Contamines (Haute-Savoie), le salon des activités estivales de Crest, le salon des transfrontaliers d’Annemasse et le dernier-né, le salon du développement durable, dont des éditions ont eu lieu en 2010 à Grenoble,
Valence et Aix-les-Bains. Le principe est toujours identique : permettre aux professionnels des secteurs concernés de rencontrer des nouveaux clients, c’est à dire de se faire de l’argent. Argent qui sera, échange de bons procédés oblige, en partie réinvesti dans des encarts publicitaires
du Dauphiné Libéré.
- Le Dauphiné Libéré vend des gadgets. Sur son site internet, on peut acheter des « réveils à projection lumineuse », des sacs de voyage ou un « coffret aventure » avec une lampe et un couteau. Mais aussi le DVD de Serge Papagalli, l’humoriste presque officiel du journal.
- Le Dauphiné Libéré distribue des « mallettes nouveaux arrivants » pour accueillir les néo-grenoblois. A l’intérieur, on trouve des plans de la ville, des renseignements pratiques et de la publicité.
- Le Dauphiné Libéré édite des livres. Comme le journal, ils parlent de tout (De Mélusine à Minatec, Henri Michel, l’ami du Président ou Les métiers d’autrefois à Romans-sur- Isère...) mais surtout de fait divers (60 ans de fait-divers) et de sport (Les heures de gloire du FCG, Les Alpes et le tour,
60 ans d’exploits, L’album du sport ou 60 ans de montagne).
Le journal développe également une collection « Pays en Rhône-Alpes », qui regroupe des recueils publicitaires pour le pays viennois, le pays de Gex ou la Maurienne ; et une collection « Les Patrimoines », des petits livres historiques sur des événements précis (Les ciments de l’Isère,
Les Allobroges, Arméniens en Rhône-Alpes ou Avignon au temps des papes).
- Le Dauphiné Libéré vend des billets pour des spectacles culturels ou sportifs, sur son site internet.
- Le Dauphiné Libéré organise des jeux et des concours : grand jeu « DauphiCash », Concours de nouvelles, trophée « La femme qui fait bouger la région ».
Liste non exhaustive.
A relever : ces activités extra-presse sont toutes réalisées avec des partenaires. Communes, banques, structures publiques, entreprises... Toutes les institutions se pressent pour voir leur logo affiché à côté de celui du Dauphiné Libéré. « DauphiCash » est sponsorisé par Carrefour. Les « mallettes nouveaux arrivants » sont distribuées avec la
Métro (communauté d’agglomération grenobloise) et le S.M.T.C. (syndicat des transports en commun). Le trophée « La femme qui fait bouger la région » est une initiative du Crédit Lyonnais. Le concours de nouvelles est soutenu par la Ville de Grenoble et la Fnac. Les livres de la collection « Pays en Rhône-Alpes » sont réalisés avec les éditions Glénat. Les salons sont organisés avec les chambres de commerce et d’industrie et les collectivités locales.
Les « journées portes ouvertes » des entreprises iséroises sont issues d’une coopération entre la chambre de commerce et d’industrie, le conseil général de l’Isère, la Banque Populaire des Alpes et Le Dauphiné Libéré. Le forum « Entreprise & Savoir », organisé par le groupuscule ultralibéral « Grenoble Ecobiz » est soutenu par Le Dauphiné Libéré, mais aussi par la Caisse d’Epargne, le Conseil Général de l’Isère, l’AEPI (Agence d’Études et de Promotion de l’Isère), Schneider Electrics, la Banque Populaire des Alpes, la Banque Rhône-Alpes, la CIC Lyonnaise de Banque, le Crédit Agricole Sud-Rhône-Alpes, la Métro, Minatec Entreprises, Orange, le GF 38, la G.E.G., Prémalliance, Siemens Transmission, Sogeti, Soitec, etc.
Dans tous les secteurs, Le Dauphiné Libéré multiplie les collaborations avec les institutions locales. C’est le partenaire officiel des grands clubs de sports de la région : GF 38 (football), F.C.G. (rugby), Brûleurs de Loups
(hockey). « GF 38 - Dauphiné Libéré : c’est reparti pour une saison. (...). “Nous sommes ravis de reconduire ce partenariat de fidélité. Être partenaire avec le plus grand média local, c’est une évidence et une obligation. Le partenariat suppose de nombreux échanges entre les deux parties et chacun s’y sent bien” explique Pierre Mazé, directeur général du
GF 38 » (Le Daubé, 4/12/2006).
Le quotidien s’allie également avec les grandes écoles ou les instituts publics. « G.E.G. [N.D.A. : Gaz Électricité de Grenoble] et Le Dauphiné Libéré ont signé une convention de partenariat qui va permettre de communiquer à travers nos colonnes sur “la maîtrise de l’énergie et le développement des énergies renouvelables”, maître mot de G.E.G. »
(Le Daubé, 18/01/2006). « L’Institut d’Études Politiques de Grenoble partenaire du Dauphiné Libéré. Une convention signée hier offrira des stages aux étudiants et permettra à nos lecteurs de bénéficier de la richesse des travaux menés au sein de l’institut. Ces liens sont désormais formalisés à travers la convention qu’ont signée, hier, Henri-Pierre Guilbert et Henri Oberdorff, un véritable partenariat qui prendra corps dès la rentrée prochaine » (Le Daubé, 26/06/2002). Devinez avec quel esprit critique on parle du Dauphiné Libéré aux étudiants de Sciences Po ?
La liste des amis du Dauphiné Libéré ne s’arrête pas aux grosses structures. Le quotidien soutient une multitude de petits événements locaux, de la braderie du coin au « Raid Grand’Place », du congrès annuel des maires de l’Isère à la course contre la mucoviscidose du Fontanil-Cornillon, du festival de musique Rocktambule à l’Ekiden (marathon organisé sur la presqu’île grenobloise).
L’appât du gain immédiat n’est pas ce qui motive Le Dauphiné
Libéré à multiplier ces copinages, car ces opérations ne sont que rarement bénéficiaires pour le quotidien.
L’intérêt, c’est de tisser des liens et de faire en sorte que le journal soit incontournable pour tous les acteurs locaux de l’économie, du sport ou la culture. C’est cette même perspective qui a incité la direction du Dauphiné Libéré à lancer Grenews, qui la poussent à éditer les magazines Ski Chrono et Alpes Loisirs ou à vendre avec son édition du dimanche les suppléments TV magazine et Version Fémina (qui sont également diffusés par les autres titres de la presse quotidienne régionale). C’est encore cette perspective qui fait du Dauphiné Libéré une institution locale, au même titre que le ski, la noix ou le gratin dauphinois.
La contrepartie des partenariats tissés par le quotidien est évidente : un respect mutuel et de délicates attentions réciproques.
Par exemple, lors de l’inauguration du salon de l’immobilier 2007 à Grenoble, en présence du patron du journal et d’élus municipaux, « Didier Migaud [N.D.A. : alors président de la communauté d’agglomération, la
Métro] a félicité Le Dauphiné Libéré pour l’organisation de ce “rendez-vous attendu par tous les professionnels”, tandis que le PDG du quotidien, Henri-Pierre Guilbert, a salué “les liens qui unissent tous les participants au salon, ainsi que leur engagement, qui contribuent au rayonnement de notre région” » (Le Daubé, 6/10/2007).
Unis et solidaires, Le Dauphiné Libéré et ses partenaires s’envoient des fleurs, ne se critiquent jamais et se retrouvent généralement sur la même politique, celle de la pensée unique, celle du « rayonnement de notre région », ouplutôt du rayonnement de ses dirigeants. A propos du salon du développement durable, on apprend qu’avec « l’ensemble de ses partenaires, à commencer par les chambres de commerce et les collectivités territoriales et locales, mais aussi avec les entreprises et les artisans, Le Dauphiné Libéré considère que la sauvegarde de la planète est aussi de sa responsabilité » (Le Daubé, 10/10/2009). Ces mêmes institutions –prétendant oeuvrer pour « la sauvegarde de la planète » – organisent quelques mois plus tard les Assises du Béton (appelées « salon de l’immobilier ») et la Fête de la Combustion de CO2 (dénommée « salon de l’auto »).
Mais ce n’est pas une contradiction, ni pour Le Dauphiné Libéré, ni pour ses partenaires, car la « sauvegarde de la planète » et le «développement durable »ne sont que des slogans creux. L’important est ailleurs, dans la sauvegarde de leurs bénéfices et le développement durable de leurs pouvoirs, dans les nouveaux marchés développés et dans les liens créés entre les partenaires.
Et alors ? Vous restez perplexe devant cette énumération de partenariats du Dauphiné Libéré ? Vous ne voyez pas ce qui, dans ce panorama, pose un problème politique ?
Alors, imaginez. Imaginez un pays qui n’aurait qu’un seul quotidien, en dehors de journaux importés de l’étranger et de publications confidentielles. Imaginez que ce journal, en plus de disposer d’un monopole de fait de l’information écrite, soit le partenaire affiché de l’État, de toutes les instances de pouvoir, des centres de recherche scientifique, des banques et des quarante premières entreprises cotées en bourse. Imaginez qu’il vende les DVD de Bigarpagalli, l’humoriste officiel du pays, qu’il organise une célèbre course cycliste le « Critérium – Tour du Pays », qu’il édite des livres d’Histoire, qu’il donne à tous les nouveaux migrants des petites mallettes d’accueil réalisées avec l’État, qu’il organise des salons dans tous les domaines, qu’il sponsorise la plupart des événements sportifs ou culturels. Si c’était le cas, ce pays serait considéré comme potentiellement totalitaire. Les intellectuels des autres pays s’insurgeraient contre la pensée unique imposée et vilipenderaient le journal, cette Pravda, cet organe de propagande. On parlerait de dictature ou bien de démocratie malade. On pointerait du doigt ce conflit d’intérêt évident, cette collusion entre les pouvoirs et la presse. On dirait que la presse n’est pas le contre-pouvoir qu’elle prétend être.
Mais ce qui est scandaleux pour presque tout le monde à un niveau national ne l’est plus à l’échelon local. Personne ou presque ne s’étonne du pouvoir dont dispose Le Dauphiné Libéré dans notre région. Son emprise sur le fonctionnement de sa zone de diffusion va de soi. Ses relations étroites avec les dirigeants et les chefs d’entreprises paraissent
« normales ». Rares sont ceux qui critiquent Le Dauphiné Libéré, car tout le monde compte sur lui pour faire passer ses idées, ses événements. Et tant pis pour le pluralisme, l’esprit critique, et l’indépendance de la presse vis-à-vis des forces économiques et politiques.
(1) Bernard Montergnolle, La Presse Grenobloise de la Libération. 1944 – 1952, Presses Universitaires de Grenoble, 1979.
Cinq épisodes de ce feuilleton sont parus dans Le Postillon entre mai 2009 (numéro zéro) et février 2010 (numéro quatre). Si vous n’avez pas lu les premiers épisodes, ou si vous voulez garnir votre bibliothèque, une édition revue et augmentée de cet ensemble de textes, avec une introduction
et un épilogue inédits, vient d’être publiée dans un livre aux éditions Le monde à l’envers. Cette maison d’édition associative grenobloise a également publié l’été dernier Sous l’oeil des caméras
- Contre la vidéosurveillance à Grenoble, un ouvrage collectif.
« Ce qui est scandaleux pour presque tout le monde à un niveau national ne l’est plus à l’échelon local »
« Plus surprenant que le Goncourt de Houellebecq, bien plus pétillant que le dernier album de Grand Corps Malade, c’est le cadeau de Noël idéal, à offrir autant à votre grand-père fan des mots-croisés du Dauphiné Libéré
qu’à votre petite cousine qui ne regarde que l’horoscope. »
Louis R., ancien résistant.
Livres disponibles pour 5 euros en librairies, ou en écrivant à
Le monde à l’envers, 15 rue Georges Jacquet,38000 Grenoble. mondenvers@riseup.net
« Si votre oncle vous répète qu’il n’a rien à se reprocher donc rien à reprocher à la vidéosurveillance, alors offrez-lui ce livre pour les fêtes de fin d’année.»
Henri C., ancien commerçant
« Le postillon »
59, rue Nicolas Chorier - 38000 Grenoble
lepostillon@yahoo.fr
L’équipe au grand complet, tentant de soigner sa mauvaise réputation.
De gauche à droite :
Lutopiquant, Sylvain, Larabie, Hortense Grancampo, Jaguar Gorgon, Emile Bazin, Benoît Récens, Mister Brown, Banana et leurs ami-e-s.
Directeur de la publication : Basile Pévin.
Actionnaire principal : Index Corporation.
Tirage : 1500 exemplaires
Le Postillon est édité et diffusé par l’association Le Postillon.
Imprimerie Notre-Dame.
Un glaviot amical pour Pierre, ancien diffuseur du Postillon, dont le sourire et la générosité manqueront à Grenoble. Merde au crabe.

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