Revendications contre l’indiscutable
Mais contre quoi manifestent donc tous ces gens qui se retrouvent dans la rue depuis plusieurs mois ? ( photo : soupe populaire en janvier à Die )
Contre un projet de réforme des retraites, sans doute, mais surtout contre une certaine posture politique qui s’abrite derrière l’indiscutable. La litanie d’Eric Woerth illustre bien cette posture qui récuse par avance tout débat de fond : les 35 milliards de déficit des comptes ne nous laisseraient pas le choix, il faut accepter cette réforme. Les gens peuvent descendre dans la rue, faire la grève, ça ne changera rien : «la» réforme est indiscutable.
Si les gens sont descendus dans la rue, c’est d’abord pour affirmer que cette réforme, comme toute décision politique, est éminemment discutable. Réduisons la discussion à quatre grands points en suggérant pour quoi les gens, jeunes et vieux, pourraient légitimement descendre dans la rue pour y discuter politique.
Reconnaître l’augmentation des besoins sociaux
Tous les gouvernements européens actuels s’accordent à trouver indiscutable le besoin de couper dans les dépenses publiques. Or il s’agit là d’un dogme purement idéologique. Rien, si ce n’est un tabou superstitieux, n’interdit d’augmenter les dépenses publiques : tout nous pousse au contraire à vouloir assurer leur croissance (comme le montre l’exemple des Etats-Unis et de la Chine). Nous avons de plus en plus besoin de dépenses sociales pour financer notre santé toujours mieux soignée, notre éducation toujours plus longue, nos activités de recherche et nos systèmes d’organisation toujours plus complexes. Nous devenons chaque jour davantage les assistés d’un tissu social toujours plus dense, au sein duquel nous passons le plus clair de notre temps à nous assister les uns les autres. Et plus nous sommes «haut placés» (directeurs, ministres, présidents), plus nous sommes «assistés» par tous les «assistants» sans lesquels nous serions impuissants. Discutons donc de comment mieux assister les malades, les précaires, les élèves, les directeurs et les retraités.
Inventer une fiscalité à la hauteur de ces nouveaux besoins
Contrairement au dogme indiscutable de l’assèchement des finances publiques, dotons-nous d’un nouveau type de fiscalité mieux adapté aux transformations profondes de ce qu’est la richesse aujourd’hui. Une très faible «taxe pollen» portant sur toutes les transactions financières (et non seulement sur les mouvements internationaux de capitaux comme la taxe Tobin) permettrait de résoudre tous les problèmes de financement qui rendent actuellement «indiscutables» les coupes sombres opérées dans les budgets sociaux. Un prélèvement très bas et virtuellement indolore (1%, qui pourrait être monté à 2% en cas de crise) suffirait à remplacer la plupart des impôts actuels (coûteux, douloureux et inefficaces dans leur prélèvement), ainsi qu’à financer des politiques proactives en faveur de la santé, de la recherche, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, de la protection de notre environnement et de notre système de retraites. Parce qu’elle serait payée chaque fois qu’un particulier utilise un distributeur de billets, signe un chèque ou opère un versement (à un taux comparable ou inférieur aux frais prélevés par les banques), mais aussi dans toutes les transactions en millions que font entre eux les grands financiers, les boursicoteurs, les banques et les entreprises, une telle taxe bénéficierait d’une assiette très large, modulable en temps réel. Discutons donc (sérieusement) d’une taxe pollen sur toutes les transactions financières.
Assurer à chacun un revenu d’existence de 800 euros, inconditionnel et garanti
En tant qu’impôt proportionnel (et non progressif), la taxe pollen doit s’articuler à un régime de distribution des ressources ainsi collectées qui soit doté d’un fort coefficient redistributif en direction des moins favorisés. Un revenu d’existence d’environ 800 euros mensuels, garanti à chacun et chacune dès l’âge de 18 ans de façon inconditionnelle, permettrait de sortir par le haut des politiques de misère qui engluent tant de jeunes et de seniors dans les affres du «chômage». Après avoir remercié des armées de percepteurs, liquidons tout l’appareil répressif qui surveille (mal) et punit (absurdement) ceux qui sont à la recherche d’un emploi. (Voilà de belles économies pour le budget de l’Etat !). Un revenu d’existence assurerait à chacun une base stable, à laquelle viendrait bien entendu se surajouter le revenu du travail salarié. Les calculs des cotisations et des pensions de retraite seraient à revoir : ils ne porteraient désormais que sur ce revenu salarial «additionnel», qui viendrait en plus d’un revenu foncièrement égalitaire, garanti à tous. Discutons donc, non tant de la faisabilité d’un tel revenu d’existence (déjà démontrée), mais bien plutôt de ses modalités et de ses larges implications sociales.
Repenser le statut du travail dans une perspective de justice et d’égalité
Ce qui «fait problème» dans l’hypothèse d’un revenu d’existence, c’est que des caissières, des infirmiers ou des cheminots s’esquintent pour gagner à peine plus que ce qu’ils obtiendraient avec un tel revenu de base. Ce «problème» manifeste bien l’insoutenable injustice des inégalités qui caractérisent l’échelle actuelle des revenus, écartelée entre les profits éhontés du capital, les hauts salaires de quelques professions gratifiantes et les très bas salaires conférés à des tâches aliénantes. L’opposition à la réforme actuelle des retraites a raison d’insister sur la question centrale de la «pénibilité» : cette question peut certes se résoudre en modulant l’âge de la retraite en fonction des statistiques d’espérance de vie et d’indicateurs de morbidité. Mais, au-delà, ce sont le statut, la valeur, l’intensité, la rétribution et la finalité du travail qui exigent de faire l’objet de larges débats sociaux.
La posture d’indiscutabilité adoptée par le gouvernement doit être battue en brèche par des propositions d’avancées sociales significatives. Augmentation des dépenses sociales, taxe pollen, revenu d’existence et justice face au travail constituent quatre revendications capables de relancer la discussion politique.
Par UN Collectif de rédaction de la revue «Multitudes»
RENDEZ VOUS DEMAIN Mercredi 10 novembre 2010 devant la Sous préfecture de Die de 10 h à 12 heures pour une soupe populaire et des débats.
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