Fiasco judiciaire annoncé dans l’affaire de la dioxine
Affaire de la dioxine : les politiques échappent au procès
Grâce à une dissolution opportune, qui fait suite à plusieurs non-lieux, aucun responsable politique ne comparaîtra au procès de la pollution à la dioxine liée à l'usage illicite de l'incinérateur de Gilly-sur-Isère entre 1995 et 2001. Il s'ouvrira le 29 novembre prochain.
Battu au premier tour des dernières municipales à Albertville par la liste de gauche, l'ancien maire de cette commune, l'UMP Albert Gibello, « payé » pour les dysfonctionnements de l'incinérateur 63 ans, a ainsi de Gilly-sur-Isère.
Sur le plan judiciaire, cette énorme affaire de santé publique sera jugée les 29 et 30 novembre prochain, sans le moindre élu sur le banc des prévenus, mais avec quelques lampistes. Mis en service en 1984, l'incinérateur n'a jamais fonctionné en conformité avec les normes législatives et réglementaires en la matière.
Depuis 1995 jusqu'à la fermeture de l'incinérateur le 25 octobre 2001 sur décision préfectorale, Albert Gibello était président du Simigeda (Syndicat intercommunal mixte de gestion des déchets du secteur d'Albertville), gestionnaire de l'incinérateur d'ordures de Gilly-sur-Isère. Regroupant cinq communes et cinq communautés de communes, ce syndicat organisait la collecte et le traitement des ordures ménagères pour 66 517 habitants.
80 cancers dans une seule rue
Bien qu'ayant fort prudemment démissionné de ses fonctions de président du syndicat fin 2001, Albert Gibello avait été mis en examen pour « mise en danger de la vie d'autrui » en 2004, avant de bénéficier d'un non-lieu le 26 octobre 2007.
Interrogé par les gendarmes de la section de recherches de Chambéry, Albert Gibello avait reconnu, durant sa garde à vue les 10 et 11 juin 2004, que le Simigeda n'avait pas fait les travaux nécessaires pour la mise en conformité de l'incinérateur pour des raisons tout à la fois politiques (les élections municipales de 2001 approchaient) et financières.
Exploité par Suez-Environnement, l'incinérateur de Gilly-sur-Isère rejetait jusqu'à 700 fois les normes autorisées de dioxine. Cette substance toxique ayant été retrouvée, en 2001, dans le lait des vaches, 6 875 animaux ont été abattus, 2,23 millions de litres de lait et 24 tonnes de produits laitiers détruits, ainsi que 8.500 tonnes de foin contaminé.
Toutefois, une expertise et une contre-expertise judiciaire ont indiqué qu'aucun décès ne pouvait être imputé à ces rejets de dioxine. Cependant, sur son site Internet, Greenpeace annonçait la découverte de 80 cancers dans une seule rue d'une commune riveraine de l'incinérateur, la rue Louis Berthet à Grignon.
L'alerte de Suez-Environnement était restée lettre morte
Conçu pour répondre aux besoins de traitement des ordures ménagères d'une cinquantaine de communes, l'incinérateur de Gilly-sur-Isère, mis en service en 1984, reste une tache indélébile dans la carrière politique d'Albert Gibello.
L'usine se voulait une unité modèle construite dans le cadre des Jeux olympiques de 1992 à Albertville. En réalité non-conforme à la réglementation, l'incinérateur était une pièce maîtresse dans l'organisation départementale. En effet, le site accueillait les ordures ménagères d'une bonne partie des stations de ski de la vallée de la Tarentaise, et les tonnages augmentaient tous les hivers avec le séjour des vacanciers.
La « catastrophe » est arrivée le 25 octobre 2001 : l'unité est fermée par le courageux préfet Paul Girod de Langlade. Il avait constaté un taux de dioxines trop élevé à la sortie de la cheminée de l'incinérateur et dans le lait des vaches des troupeaux aux alentours.
Pendant près de six ans, se cristallisent alors autour de cette usine des débats judiciaires qui la dépassent largement. Finalement, la juge d'instruction Hélène Gerhards-Lastera a ordonné le renvoi du Simigeda et de Suez-Environnement (exploitant de l'incinérateur) devant le tribunal correctionnel d'Albertville.
Le 17 mars 2009, la Cour de cassation a confirmé la décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, rejetant une constitution de parties civiles. Le tribunal correctionnel d'Albertville jugera cette affaire les 29 et 30 novembre 2010.
Le problème principal réside dans l'absence de travaux de mise aux normes de cette usine à l'époque des faits et donc dans sa non-conformité. Suez-Environnement n'avait aucun pouvoir pour engager de tels travaux sur une installation qui ne lui appartenait pas. Ce groupe avait exercé son devoir d'alerte auprès du Simigeda et de la préfecture sans parvenir pour autant à ce qu'un arrêté de mise en demeure soit adressé au titulaire de l'arrêté préfectoral, le Simigeda, lui enjoignant de réaliser les travaux.
Par ailleurs, Suez-Environnement n'était pas autorisée, par le code des marchés publics, à cesser d'exécuter le marché qui lui avait été confié pour assurer le fonctionnement de l'usine.
Michel Barnier mis en cause
Membre de la Drire (Direction régionale de l'industrie, de la recherche et l'environnement pour la Haute-Savoie et la Savoie), Vincent Ruguet y a été chargé de novembre 1996 à août 1999 de la surveillance des installations classées dangereuses et donc notamment de l'incinérateur de Gilly-sur-Isère.
Auditionné par le juge d'instruction le 18 novembre 2005, ce fonctionnaire n'a pas hésité à mettre en cause son supérieur hiérarchique, Alain Vallet (mis en examen le 4 juin 2004 avant de bénéficier d'un non-lieu), et Michel Barnier, tout à la fois à l'époque, ministre de l'Environnement et président du conseil général de Savoie :
« Monsieur Vallet m'a expliqué que le problème des quatre usines d'incinération de la Tarentaise était politique, c'est-à-dire en étroite relation avec le préfet. A l'époque, les quatre usines n'étaient pas aux normes.
En 1997, j'étais chargé de suivre le dossier d'extension de l'usine d'incinération d'ordures ménagères de Gilly-sur-Isère et de préparer le plan de fermeture des trois autres sites à Valmorel, Tignes et Saint Martin de Belleville.
J'avais rédigé un rapport, contresigné par Monsieur Vallet, dans lequel il était précisé que la mise en conformité de l'usine de Gilly-sur-Isère serait envisagée lors de la reconstruction de l'usine en 2002. »
Dans son audition, Vincent Ruguet déclare que son supérieur Alain Vallet « lui avait indiqué qu'il était inutile de faire un rapport au préfet sur les dysfonctionnements de l'usine de Gilly-sur-Isère et de proposer ainsi des suites administratives et pénales, parce qu'il y avait des négociations politiques en cours ».
Deux des préfets de la Savoie, Paul Girot de Langlade et Pierre-Etienne Bisch, seront mis en examen en tant que témoins assistés dans le dossier avant de bénéficier d'un non-lieu.
Toujours devant le magistrat instructeur, Vincent Ruguet confirme ses déclarations faites devant les gendarmes :
« Michel Barnier, ministre de l'Environnement, avait réuni les Drire en leur demandant de ne pas accentuer leurs actions concernant les non-conformités des usines d'incinération d'ordures ménagères. »
Entendu le 15 février 2006 en qualité de témoin par le juge d'instruction, Michel Barnier indique ne pas avoir été avisé du cas de Gilly-sur-Isère, en tant que ministre. Toutefois, il admet l'avoir été… en tant que président du conseil général de Savoie de 1982 à 1999. Confronté aux déclarations de Vincent Ruguet, il s'inscrit en faux, les qualifiant « d'invraisemblables ».
En 2005, l'inamovible procureur d'Albertville, Henri-Michel Perret (toujours en poste) qui déjeune régulièrement à l'époque (sans se cacher le moins du monde) avec le maire d'Albertville, demande à ce que l'instruction soit transférée à Marseille, ville qui vient de se doter d'un pôle spécialisé dans les questions de santé.
Hélène Gerhards-Lastera refusant de se dessaisir du dossier, le procureur saisit la Cour de cassation, qui tranche en faveur de la jeune femme. Une juge trop indépendante, mais qui manque cependant cruellement de moyens : elle change sans cesse de greffière ; l'ordinateur de son bureau n'est pas assez puissant pour rédiger l'ordonnance de renvoi de l'affaire devant le tribunal correctionnel ; le remplacement de certaines ampoules dans son cabinet d'instruction prend des mois…
Les politiques échappent au procès
De moyens et de relations, Albert Gibello ( photo avec Michel Barnier) et ses amis n'en manquent pas. Le 16 décembre 2009, la sous-préfète d'Albertville, Dominique Conca (en poste depuis le 2 décembre précédent) prononce par arrêté la dissolution du Simigeda, dont Albert Gibello a été le président jusqu'en 2001.
Dès le lendemain, les cinq communautés de communes et cinq communes de ce syndicat créent « Savoie Déchets », syndicat de traitement des déchets à l'échelle du département, c'est-à-dire de 343 000 habitants sur 415 000 au total.
Dans les statuts de ce syndicat, l'article 2 indique : « gestion de la crise de l'incinérateur de Gilly-sur-Isère ». La dissolution du Simigeda permet à son dernier président Lionel Dugit-Pinat, maire de Venthon, de ne pas comparaître les 29 et 30 novembre 2010 devant le tribunal correctionnel d'Albertville, en tant que personne morale.
Il devait y être jugé aux côtés du représentant de Suez-Environnement, pour « délit d'exploitation non-autorisée par personne morale d'une installation classée pour la protection de l'environnement ».
Pour les dirigeants du Simigeda et Michel Barnier, l'affaire de l'incinérateur de Gilly-sur-Isère n'a jamais existé. Albert Gibello et ses amis peuvent dire merci à madame la sous-préfète Dominique Conca.
Photo du Haut : l'incinérateur de Gilly-sur-Isère, en Savoie, en août 2007, par Jyoccoz
Yvan Stefanovitc
Apis et LyonCapital
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