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samedi 20 novembre 2010

Nous ne sommes plus représentés du tout.


Démocratie : la dissidence populaire

Pas nombreux, en milieux populaires, les femmes et les hommes qui se sentent représentés par les politiques professionnels ! Pas nombreux ceux qui se déclarent concernés par l’offre politique existante, même si les formes de la distance ou de la défiance varient. Certes, les situations des salariés d’exécution sont diverses (ouvriers ou employés, du public ou du privé, en PME ou pas, actifs, précaires, chômeurs…). Quoi de commun en effet, entre l’employé de préfecture à Nîmes, en habitat pavillonnaire et l’ouvrier de 56 ans, licencié «pour raison économique» à Soissons. L’un «s’est sacrifié» pour quitter les HLM, il «a réussi», il lui reste «peu de moyens» mais sa fille va à la fac. L’autre passera toute sa vie dans 40 m2 à Presles, où ses deux fils «tiennent les murs» et vivent du «bizness».

Il faut appréhender effectivement les milieux populaires dans leur diversité : diversité de revenus (fixes ou aléatoires), d’exposition au chômage (public ou privé, femmes ou hommes), de rapport à l’avenir… Différents entre eux sous ces dimensions, les salariés d’exécution (plus d’un salarié sur deux) le sont aussi dans leurs relations à la culture politique. Il n’empêche que le fait est là, bien présent, global, massif, la «fracture sociale» a généré une autre fracture : la «fracture démocratique». Quelques-uns ont pu voter Le Pen. Ils furent étiquetés «beaufs». Les causes sociales d’un vote qui peut se reproduire n’ont pas assez été analysées. Le chômage de longue durée, la relégation liée à la perte d’emploi, la réclusion en HLM délabrées, la compression des revenus, l’échec scolaire des enfants, rapprochent toujours leur condition de celle des groupes dont ils pouvaient se croire éloignés : les immigrés.

Les citations entre guillemets qui suivent procèdent des travaux d’enquête que nous avons menés dans le cadre de la fondation Copernic. Il faut entendre ensemble l’ex-syndicaliste qui «a voté pour le Front» («Ici, c’est devenu le bas du panier.») et cette femme au sortir d’un supermarché («C’est pas parce que tu vis avec eux que t’es pareil.») pour restituer le sens d’un geste dans l’isoloir. Le bulletin exprime souvent la hantise d’être précipité dans le monde auquel on entendait échapper, une manière de conjurer le déclassement collectif vécu dans l’isolement - en s’écartant symboliquement des plus proches objectivement, les immigrés de dernière génération. L’impossibilité d’échapper à une condition plus dégradée qu’hier avive la guerre des pauvres contre de plus pauvres qu’eux, qui alimente le vote Le Pen. Mais le «premier parti» des classes populaires reste l’abstention. De plus en plus, les salariés d’exécution ne s’inscrivent pas sur les listes électorales, ne votent pas ou ne votent plus. L’abstention, étudiée par Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, a doublé entre 1970 et 2000. Elle est surtout d’origine populaire. Aux européennes de juin 2009, 66 % des employés et 69 % des ouvriers n’ont pas voté; 75 % d’abstention aux Mureaux, 78 % à Stains, 74 % à Bobigny, 73 % à Tourcoing… En mars 2010, aux régionales, idem : 64 % des employés, 70 % des ouvriers s’abstiennent. L’abstention dépasse 65 % à Sarcelles, Vaulx-en-Velin, Roubaix, Tourcoing… Entre 1970 et 1980, le pourcentage de non-inscrits tournait autour de 10 %. Dans la cité des Cosmonautes à Saint-Denis, Braconnier et Dormagen en dénombrent aujourd’hui 25 %. «Les milieux populaires, selon eux, constituent une majorité sociale mais de plus en plus, une minorité électorale».

Progressivement, mais massivement, le sentiment (mélange d’espoirs déçus, d’amertume, de résignation, d’indignation) se fait jour qu’aller voter n’apporte rien. Comment en irait-il autrement quand, depuis vingt-cinq ans, les alternances se succèdent et que les milieux populaires, très largement, n’y gagnent rien ? «On a le sentiment de ne pas compter, j’ai perdu confiance», dit Géraldine, 39 ans, chômeuse du Val-de-Marne. Le pouvoir d’achat baisse. Le chômage devient un passage obligé, l’aide recule, les services publics se défont. Depuis vingt-cinq ans, ceux qui hier espéraient «s’en sortir» rencontrent davantage de mépris : en cascade, à tous les échelons de la vie quotidienne. Mépris pour les familles, présentées comme «parents irresponsables», privés d’allocations si leurs enfants virent «sauvageons».

Mépris pour les jeunes, contrôlés au faciès dès qu’ils prennent le RER, suivis par les vigiles dès qu’ils entrent au supermarché. Mépris à Pôle Emploi quand on vous propose des métiers déqualifiés, des salaires de débutant, des «stages qualifiants» après vingt-cinq ans de carrière. Mépris, quand les loyers augmentent (même en périphérie des grandes villes) et qu’une fois les charges réglées, «il ne reste rien». Mépris, quand dans les tours HLM, l’ascenseur n’est pas réparé, «depuis quand, on ne sait plus». Mépris quand, à la limite du surendettement, EDF ou Gaz de France exigent (une fois de plus) que les factures soient réglées «sans attendre sous peine de coupure du service». Alors que «payer la cantine des gamins, le mois prochain, je peux pas» - et que ces «gamins», parfois, ne mangent vraiment qu’une fois par jour, à l’école.

Ces situations éparses devraient au contraire pousser à voter ? C’est ignorer combien les vivre, toutes emmêlées, décourage, écœure, «fout la rage» contre tout ce qui peut sembler «corps constitués», «gardiens de l’institution», représentants de l’ordre établi. Quand «la France nous fout la honte», entre jeunes sans horizon scolaire, entre potes («les potes, c’est ma famille», dit José de Livry-Gargan), prévalent les «combines», le coude-à-coude, et l’indifférence, voire l’hostilité pour l’«en-dehors». «Les autres nous chassent, alors nous, on fait pareil», dit Manu.

Plus la précarité s’éternise, s’étend, plus l’action collective devient difficile. L’idée même que la solidarité permet de s’en sortir finit par s’estomper. Avec l’atomisation des collectifs de travail, l’explosion des CDD et de l’intérim, la flexibilité, la coexistence de CDD et de CDI dans le même espace, l’intensification du travail et des contrôles, les conditions de fabrication d’un intérêt commun sont de moins en moins réunies. Comme le soulignent Stéphane Beaud et Michel Pialoux, l’accentuation de la compétition en début de vie active pour les plus jeunes, en CDD, condamnés au zèle dans des PME en sous-traitance, décourage la contestation, favorise le chacun pour soi. L’indifférence envers les plus proches, devenus rivaux dans la lutte pour les places, s’installe, et avec elle ce sentiment d’impuissance qu’observe Gérard Mauger.

L’intensification de la concurrence dans et pour le travail engendre des situations où la mise en cause de la concurrence est devenue objectivement et subjectivement hors d’atteinte. Alors, dans le privé en particulier, les adhésions syndicales sont encore plus rares. Les ouvriers et les employés sont parmi les salariés les moins syndiqués (6 % contre 15 % pour les cadres supérieurs). Or, la sociabilité syndicale, la sociabilité au travail simplement, les pots entre collègues, l’entraide, le tour au café avant le retour à la maison constituaient pourtant des moments où s’imposait l’impression de faire partie du même groupe, d’avoir des préoccupations voisines, des choses communes à défendre.

Pouvait s’imposer l’impression d’être «tous ensemble», d’être ainsi plus forts, et l’on pouvait le montrer y compris par la voie du vote. Les influences entre «copains du boulot», les micropressions sur les moins politisés, incitaient aussi à voter et à faire voter. Hier, dans les banlieues de Paris ou les quartiers nord de Marseille, L’Humanité était distribuée dans les immeubles chaque dimanche. Les copains de sections se mettaient en quatre pour aider un locataire. On vendait Rouge ou Lutte ouvrière devant les usines, militants et salariés discutaient. La baisse des effectifs militants fait son œuvre, ces pratiques microscopiques semblent d’un autre siècle.

Cela ne signifie pas qu’en milieu populaire, on ne fait pas de politique. Aux Cosmonautes, Samira se bat pour la Palestine. Au Moulin Roux, à Laon, un immeuble cache une famille de sans-papiers, comme tant d’autres le font en France. A Garges-lès-Gonesse, Abdou et Kevin rappent leur rage sur le parvis, contre «Sarkozy-Kärcher, qui préfère Bettencourt». Aux Dervallières, à Saint-Herblain, des jeunes filles montent un nouveau collectif contre le viol. De l’action politique, il y en a. Elle contourne la délégation électorale et s’en détourne.

Par la Fondation Copernic

Créée en 1998, trait d’union entre le mouvement social et la gauche anticapitaliste, la fondation Copernic entend «remettre à l’endroit tout ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers».

Par WILLY PELLETIER sociologue (Université de Picardie), CLAIRE LE STRAT politologue, université Paris-Ouest-Nanterre, JOSIANE BOUTET professeure de sociolinguistique (IUFM Paris-IV), BERNARD LACROIX professeur de science politique (Institut universitaire de France), CAROLINE MECARY avocate au Barreau de Paris, STÉPHANE GUILLEMARRE professeur de philosophie (académie de Versailles)

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