Birmanie, une farce électorale
Les citoyens de Birmanie voteront demain. Ni libre ni équitable, la campagne pour ces premières élections depuis vingt ans n'a laissé aucune chance à l'opposition. Quelque trente-sept partis sont en lice.
Certaines rues de Hlaing Thaya sont en si mauvais état que les piétons se déplacent plus vite que les véhicules. Mais cela est en passe de changer. La ville entreprend des travaux. Sous la pluie battante de la mousson, Aung* s'est réfugié dans un taxi. Ce jeune habitant de cette banlieue pauvre de Rangoon, la plus grande ville de Birmanie, recense les routes que l'USDP, le Parti pour le développement et la solidarité de l'Union, a rénovées ces dernières semaines. «Vous voyez, cette route, là, elle a été reconstruite par l'USDP. Ce parti politique, soutenu par la junte, essaie ainsi de gagner des voix», explique-t-il, assis sur la banquette arrière du véhicule. L'allée en question est bétonnée sur son côté gauche. Des gamins jouent au ballon sur le ciment tout lisse. Mais l'autre côté de la rue est toujours rempli de nids de poules. L'USDP attend que les riverains lui apportent ses voix pour terminer les travaux. Du chantage électoral.
D'après Aung, ce parti, en fait le bras politique de la junte militaire, a déjà réparé plusieurs centaines de routes rien qu'à Hlaing Thaya. Ce système d'achat de voix amuse le jeune Birman. Car il estime que les habitants de sa ville, des migrants économiques peu éduqués, ne sont pas stupides au point d'ignorer la grossièreté de cette tactique électorale. «La plupart des gens n'ont pas confiance en l'USDP», poursuit-il. Le parti a racketté des riverains, à hauteur de leur salaire mensuel, pour financer les infrastructures qu'il construit. Les gens ne sont pas formellement obligés de contribuer. Mais s'ils ne le paient pas, des dizaines de tracasseries administratives les empêcheront de rester à Hlaing Thaya, où beaucoup ont un emploi dans une usine textile.
Aung est inscrit sur les listes électorales de cette ville. Mais il ne sait pas encore s'il ira voter demain. Dans sa circonscription, huit partis sont en lice pour conquérir des sièges au nouveau parlement bicaméral ainsi qu'à la chambre régionale. A Hlaing Thaya, la campagne n'est guère passionnante. Les partis d'opposition se contentent de distribuer leurs tracts dans les rues. Leurs militants n'arrivent pas à engager la conversation avec les électeurs. Les citoyens ont peur de s'afficher aux côtés de personnalités d'opposition qui sont surveillées par des policiers en civil. Dans cette dictature féroce dirigée depuis 1962 par des généraux, la politique est considérée comme une activité forcément révolutionnaire qui ne peut attirer que des ennuis. Les électeurs, eux aussi, font l'objet de contrôles récurrents de la part des autorités. «Des policiers de la branche spéciale sont venus chez moi pour demander à quel parti politique j'appartenais», raconte Aung.
Une élection jouée d'avance
L'USDP fait campagne sur le budget de l'Etat. C'est interdit par la loi électorale. «Le parti obtient les autorisations pour organiser des discours dans les monastères et les écoles, témoigne Phyo*, un jeune homme proche de l'opposition démocratique. Aucune autre formation politique ne peut faire cela. La commission électorale laisse faire tous ces abus.» Phyo voulait se présenter. Il s'est ravisé quand il a compris que l'élection ne serait qu'une parodie de démocratie.
Les partis d'opposition n'ont eu que deux semaines pour trouver des candidats dans tout le pays et les inscrire auprès de la commission électorale à Naypidaw, la capitale politique du pays située à plus de quatre cents kilomètres de Rangoon. Ils ont dû débourser 500 dollars par tête pour enregistrer leurs prétendants. Beaucoup de modestes formations politiques n'ont pu rassembler suffisamment de fonds à temps. «J'ai vendu un bijou pour payer mon inscription», rapporte une candidate du Parti démocratique Myanmar.
Ces restrictions obligent l'opposition à ne présenter qu'un nombre réduit de postulants. L'USDP, lui, soutient plus de mille cent candidats. Dans de nombreuses circonscriptions, le parti soutenu par la junte concourra sans rival de taille. «Tout le processus électoral est biaisé», résume un diplomate occidental à Rangoon. La Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti de la célèbre dissidente Aung San Suu Kyi, toujours en résidence surveillée, a préféré boycotter le scrutin.
Une partie de l'opposition y croit
La junte actuelle s'est installée aux commandes de cet Etat totalitaire en 1988, après avoir mitraillé dans les rues des centaines de manifestants qui réclamaient la liberté politique. Demain, les généraux birmans espèrent légitimer leur pouvoir dont l'assise ne repose aujourd'hui que sur la force. La stratégie n'est pas fine. Mais une partie de l'opposition accepte de participer au scrutin en toute connaissance de cause. «Si nous n'allons pas au bureau de vote, nous devrons rester sous le joug du gouvernement militaire pour de longues années», argumente U Khin Maung Swe. Ce leader de la Force démocratique nationale (NDF), le parti d'opposition qui présente le plus de candidats, plus de cent soixante, estime que l'opposition a perdu deux décennies en s'opposant de manière frontale et systématique à la junte birmane. Le scrutin de 1990 avait été remporté haut la main par la LND. Les militaires perdants n'avaient jamais transféré le pouvoir.
Au siège de la NDF à Rangoon, les militants installent deux enceintes sur le balcon du premier étage. Volume réglé au maximum, ils diffusent leurs musiques de campagne pour en faire profiter toute la rue. Des airs entraînants, dont les refrains sont marqués de nombreux «democracy», prononcés à l'anglaise. Assis dans un bureau voisin, U Khin Maung Swe reconnaît que la junte se sert peut-être de son parti pour donner à ce scrutin les apparences d'une véritable compétition. «Mais qui peut nous montrer un autre chemin vers la liberté pour notre peuple?» questionne-t-il. Il connaît parfaitement la tactique vicieuse des militaires. Lui-même est d'ailleurs victime de nombreuses restrictions qui entravent la campagne de la NDF. Ancien prisonnier politique, il n'a même pas le droit de se présenter. Il ne se fait donc aucune illusion sur l'issue de la consultation de demain. Mais il espère faire entrer une poignée d'élus d'opposition dans le futur parlement pour faire évoluer la dictature depuis l'intérieur de ses institutions.
Un climat de peur favorable à l'USDP
Haïs, les militaires pourraient bien remporter l'élection sans avoir besoin de truquer les résultats comme ils l'avaient fait lors du référendum constitutionnel de 2008. Leur arme ? La peur. «La plupart des gens craignent d'être punis s'ils ne votent pas pour l'USDP, estime Win*, un ancien prisonnier politique. Il y a des rumeurs qui circulent disant qu'il y aura des caméras vidéo dans les bureaux de vote. J'ai beau expliqué aux gens de mon quartier que ce n'est pas possible d'installer des caméras dans quarante mille bureaux de vote, ils préfèrent assurer leur sécurité et voter USDP. La peur est partout.»
En septembre 2007, les bonzes birmans avaient osé manifester dans les rues des grandes villes et protester contre la vie chère. Rejoints par des centaines de milliers de citoyens, leurs cortèges grossissaient de jour en jour. Les militaires avaient mis fin au soulèvement en tirant sur les manifestants. «Notre gouvernement considère parfois les moines comme des ennemis», regrette un jeune bonze de Rangoon. Des policiers, en civil ou en uniforme, patrouillent régulièrement aux abords de son monastère situé à quelques minutes en taxi du centre-ville. Ils ne posent jamais de questions et se contentent d'observer les activités quotidiennes des bonzes. Cette seule surveillance suffit à ramener ce moine à la raison. «Nous ne pouvons rien faire sur le plan politique», se résigne-t-il en regardant la pluie tomber. En 2007, il avait manifesté au péril de sa vie. «Je ne le referai plus jamais, promet-il. Ma vie a beaucoup de valeur.» I
*Ces noms ont été changés par sécurité.
APPEL A RASSEMBLEMENT POUR LA LIBERATION D’AUNG SAN SUU KYI
Selon plusieurs sources non officielles, la Lauréate du Prix Nobel de la Paix et opposante birmane Aung San Suu Kyi doit être libérée le 13 novembre prochain. A cette occasion, des associations engagées en faveur des droits humains et de la démocratie en Birmanie appellent à un rassemblement de soutien pour sa libération ce Samedi 13 novembre à 14h45.
La libération effective et inconditionnelle d’Aung San Suu Kyi
La libération effective et inconditionnelle de LA TOTALITE des 2200 prisonniers politiques du pays
La dénonciation du processus électoral et du résultat des élections du 7 novembre dernier, visant à pérenniser et légitimer la dictature militaire au pouvoir, élections qui n’étaient ni libres ni justes, et ne représentaient pas la volonté du peuple
Le maintien d’une pression forte sur la junte jusqu’à une réelle avancée démocratique
La non-reconnaissance de la Constitution de 2008, écrite entièrement par les Généraux et qui garantit aux militaires une impunité qui ne saurait être tolérée
La mise en place d’une Commission d’enquête internationale sous l’égide de l’ONU pour mettre fin à l’impunité dans les cas de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Birmanie
Si Aung San Suu Kyi est réellement libérée, le pouvoir militaire birman voudra sans doute faire passer cette décision pour un geste de bonne volonté. Il n’en est rien. Sa remise en liberté interviendra simplement au terme des 18 mois supplémentaires d’assignation à résidence auxquels Aung San Suu Kyi a été condamnée à l’été 2009, à l’issue d’un procès inique. Il ne s’agit donc pas d’une amnistie ni d’un quelconque geste de mansuétude.
La libération d’Aung San Suu Kyi est attendue de tous et aura une portée considérable. Cependant, il est à craindre que sa liberté de mouvement et de parole soit limitée et qu’elle ne suffise pas à garantir une avancée démocratique significative dans le pays :
Le principal parti d’opposition qu’elle dirige, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), a été officiellement dissous, pour n’avoir pas voulu cautionner le processus électoral du 7 novembre
2200 prisonniers politiques, membres de la LND et dirigeants ethniques, croupissent toujours dans les geôles birmanes en vertu de lois iniques.
Le pouvoir militaire birman espère, en échange de sa libération, un apaisement de la pression internationale et une acceptation du résultat des élections.
Contacts des associations :
FIDH :
Karine Appy / Fabien Maître – 01 43 55 14 12 – kappy@fidh.org / fmaitre@fidh.org
Amnesty International France :
Aurélie Chatelard / Alizée Genilloud - 01 53 38 66 23 / 06 76 94 37 05 – spresse@amnesty.fr
Info-Birmanie :
Isabelle Dubuis – 06 83 37 80 38 – info_birmanie@yahoo.fr
Reporters Sans Frontières :
Alexandre Jalbert – 01 44 83 84 84 – presse@rsf.org
Human Rights Watch:
Jean-Marie Fardeau – 06 45 85 24 87 - fardeaj@hrw.org
La communauté birmane de France :
Htin Kyaw Lwin – 06 31 11 28 62 – htinkyaw9954@hotmail.com
Collectif France Aung San Suu Kyi :
Pierre Martial – 06 13 42 50 15 – pierre-martial@live.fr
Ligue des Droits de l’Homme (LDH) :
Anne Garacoïts – 01 56 55 51 08 – anne.garacoits@ldh-france.org
Alliance des Femmes pour la Démocratie :
Catherine Guyot – 06 85 40 35 66 – catherine.guyot@gmail.com
Femmes Solidaires :
Carine Delahaie – 06 76 71 08 54
Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté (LIFPL) :
Marlène Tuininga – marlenetuininga@dbmail.com
Service Presse : 01 42 76 49 61
http://www.fidh.org/APPEL-A-RASSEMBLEMENT-POUR-LA-LIBERATION-D-AUNG,8712
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire