Plat de résistance
Stéphane Hessel Indignez-vous !
Bon début en bouche. Indignez-vous, chez Indigène. Une maison d’édition fondée à Montpellier en 1996 par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou. Mais Indigènes depuis quatre ans, c’est aussi, on se le rappelle, un film politique de Rachid Bouchareb, dénonçant l’ingratitude colonialiste.
La paronymie publicitaire «indigne»/ «indigène» est en outre belle comme le «I like Ike» dépiauté par Roman Jakobson, et l’injonction fait son effet. L’humain étant un être panurgien, on se précipite sur le livre comme Alice sur le cake qui portait l’inscription «Mangez-moi». D’ailleurs, si l’on demande Indignez-vous ! de Stéphane Hessel dans une librairie, le vendeur vous désigne la pile sur la caisse et, aussitôt qu’on en a saisi un exemplaire, le client suivant fait de même, par curiosité. C’est un livre mince, Hessel n’est pas la moitié d’un inconnu et l’objet ne pèse que trois euros, ce qui est une raison suffisante en soi pour l’acheter : à ce prix, on a l’impression que c’est cadeau.
Puis ça s’ouvre bien : «93 ans. C’est un peu la toute dernière étape. La fin n’est plus bien loin.» Comme dirait Diderot en citant Virgile : Jam proximus ardet Ucalegon. C’est ce qu’on appelle un argument d’autorité. Stéphane Hessel est vieux, donc sage, vous ne voudriez tout de même pas lui faire de la peine en lui désobéissant, non ? En plus, il a une statue du commandeur dans sa manche, au long nez, casquée d’un chapeau étoilé : «De Londres où j’avais rejoint le général de Gaulle en mars 1941…» Critiquer le gouvernement actuel et sa politique sans se faire taxer d’antisarkozysme primaire, ce n’est pas facile. Avoir de l’expérience, la Résistance et De Gaulle de son côté est un plus, comme dirait mon voisin. Hessel gueule donc pour «une société dont nous soyions fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés, pas cette société où l’on remet en cause les retraites, les acquis de la Sécurité sociale, pas cette société où les médias sont entre les mains des nantis, toutes choses que nous aurions refusé de cautionner si nous avions été les véritables héritiers du Conseil national de la Résistance.» Voilà un programme qui, s’il n’est pas celui de l’UMP, est du moins populaire par les temps qui courent. Le livre est en tête des ventes tous azimuts au classement Datalib.
Pour ceux qui ignoreraient qui est Stéphane Hessel, il faut d’abord dire qu’il est la petite fille de Jules et Jim . En effet, les personnages Catherine et Franz, dans le roman de Henri-Pierre Roché, sont respectivement inspirés de sa mère et de son père. Plus sérieusement, c’est surtout un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ulmien, ayant sauté sur les genoux de Calder et de Duchamp, résistant torturé, envoyé à Buchenwald, rescapé par miracle, Hessel devient diplomate après la guerre, en particulier ambassadeur de France aux Nations unies. On connaît ses positions pour l’indépendance de l’Algérie. En 1962, il est le premier président de l’Aftam (Association de formation des travailleurs africains et malgaches). En 1996, on le retrouve chef de file des médiateurs pour les sans-papiers de Saint-Bernard, et en 2006, il signe l’appel contre «cette agression abominable menée au nom d’Israël contre des Libanais et des Palestiniens, agression paranoïaque qui provoque en retour des tirs meurtriers contre des civils israéliens». Il prônera le boycott. On retrouve peu ou prou ces partis pris dans Indignez-vous !, y compris en faveur des Palestiniens.
Hessel en appelle à chacun, pour qu’il se trouve un «motif d’indignation» afin de résister. Même si cela est moins évident aujourd’hui qu’autrefois, puisqu’il a bien vu que le renversement perpétuel des valeurs régit ce qui reste de la politique, elle-même à moitié disparue sous l’économie : «Il n’est pas toujours facile de distinguer entre tous les courants qui nous gouvernent. Nous n’avons plus affaire à une petite élite dont nous comprenons clairement les agissements.» Néanmoins, écrit-il, on peut identifier deux grands défis. Le premier est la lutte contre l’accroissement de l’écart entre riches et pauvres dans le monde. Le second consiste à garder toujours les buts que s’étaient fixés la Déclaration de 1948. Hessel en rappelle l’article 15, spécial déchéance de la nationalité («Tout individu a droit à une nationalité»), et l’article 22, appelant à une répartition juste des richesses : «Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l’organisation et des ressources de chaque pays.»
A un moment, Hessel écrit même que si «on ne peut pas excuser les terroristes qui jettent les bombes, on peut les comprendre». Il plaide néanmoins pour la non-violence et une «insurrection pacifique». Moyennant quoi, il ne finira pas illico en prison, contrairement à Coupat.
ERIC LORET
Indignez-vous ! Indigène éditions, 32 pp., 3 €.
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