Printemps de rêves en Espagne
Quelque chose de merveilleux a lieu en ce moment en Espagne. Les gens sont descendus dans la rue, se sont emparés des places de plusieurs villes dans tout le pays et clament haut et fort leur parole indignée, une parole qui pendant les quatre années de la crise est restée muette, mais qui depuis quelques jours a explosé dans la bouche de milliers de citoyens. Jeunes, vieux, femmes enceintes, familles, étudiants, chômeurs, travailleurs, anarchistes, démocrates, communistes, libéraux de gauche et de droite... Chacun avec ses problèmes, son idéologie, mais tous unis.
Nous pouvons observer l'étincelle de cette éclosion dans la manifestation du dimanche 15 mai, convoquée par la plate-forme "Democracia Real Ya" et relayée principalement sur les résaux sociaux Twitter et Facebook. Des milliers de personnes, sur tout le territoire national, "indignées" par la situation sociale, économique et politique, ont pris les rues au cours d'une protestation qui ne reçoit l'influence d'aucun parti, sans aucun symbole ni couleur, pas même celle des syndicats. Les médias espagnols ont fait la sourde oreille face à cette initiative et ont décidé de ne pas la relayer. Il n'est point acceptable pour les grands groupes politiques, en pleine campagne électorale des élections régionales et municipales du 22 mai, qu'un collectif de gens de la rue, une insignifiante "poignée de votes", les discréditent.
Les manifestants se sont insurgés contre le chômage, la corruption politique, les banques, coupables d'avoir été à l'origine de la crise, les expulsions, le bipartisme... du fait que ce système de gouvernement ne soit pas une démocratie, car le peuple n'est que numéros figurant sur un registre électoral tous les quatre ans, et celui-ci ne peut prendre aucune décision concernant les problèmes fondamentaux qui ont un impact sur leur vie, leur futur et celui de leurs enfants... Ras le bol ! Indignés ! Ce sont les qualificatifs qui définissent à la perfection l'état d'esprit de toutes ces femmes et ces hommes.
Cependant, cette manifestation semblait insuffisante, au vu de tout ce qu'il y avait à dire. Ainsi, cette nuit là, un groupe de quarante personnes a campé en plein centre ville, face à la Puerta del Sol. Les résaux sociaux ont à nouveau eu une influence sur cette réussite et, en même temps, l'étiquette #acampadasol s'est glissée dans le trending topic (les plus consultés) de Twitter, informant tout le monde de ce qui se passait là-bas en direct. Ils ont été dispersés lundi par la police. En guise de réaction, des milliers de personnes ont adhéré à cette occupation, non seulement à Madrid mais aussi dans tout le reste de l'Espagne, en s'installant dans des villes comme Valence, Barcelone, Grenade, etc.
Murcie, située au sud-est de la péninsule, est une des capitales de province, qui mardi, a décidé spontanément de s'unir à l'initiative. La place de la Glorieta de España, où est situé l'Hôtel de Ville, a été occupée. Suivant l'exemple des autres sites occupés, les participants se sont baptisés "Acampadamurcia" et se sont érigés en forum de débat, de revendication et de proposition de changements.
La première nuit, environ cinquante personnes ont dormi à la belle étoile. L'adhésion n'a pu être contenue : chaque jour le nombre de gens qui campaient s'est multiplié de manière surprenante. Le jour suivant, il y avait plus de quatre cent personnes présentes lors de l'Assemblée. Des commissions de travail ont été créées et le campement a commencé à s'autogérer et à fonctionner de mieux en mieux: communication, logistique, action… "Acampadamurcia" sait s'organiser, sur la base d'un système ouvert de collaboration et de prise de décisions en commun ; tous les campeurs sont égaux et tous peuvent aider dans tout, en commençant par le ménage et continuant par l'information et la collecte de pétitions.
Cependant, la presse continuait d'ignorer tout ce qu'il se passait dans la ville, ou se contentait de relayer des informations incomplètes et peu objectives. Les rares médias qui se sont approchés s'entêtaient ne parler qu'avec les "leaders", mais l'organisation d'Acampadamurcia est complètement horizontale; chaque campeur peut agir en tant que porte-parole du groupe, pour éviter de tomber dans le personnalisme et qu'aucun visage ne se détache vis-à-vis du mouvement.
Il y avait plus de mille personnes à l'Assemblée de jeudi, au cours de laquelle on a défendu ce que l'on voulait et expliqué ce que l'on faisait. A partir de ce moment, et par la volonté du peuple, la place occupée troqua son nom de "Glorieta de España" par celui de "Plaza de la Revolución del 15 de mayo" (Place de la Révolution du 15 mai).
Malgré la pluie à certains moments, les activités et le dynamisme augmentaient jour après jour: performances, occupations d'entités financières, actions afin d'éviter l'expulsion de familles de leur maisons, ateliers qui traitent de la Loi Electorale actuelle… L'objectif est de se mobiliser activement et pacifiquement, et d'être connus des habitants de Murcia. De nombreux citoyens se sont décidés à approcher le campement pour prendre des nouvelles, sympathiser avec le mouvement, montrer leur indignation face à la situation actuelle du pays…
A chaque instant on pouvait écouter des histoires personnelles, certaines d'entre elles déchirantes. La solidarité est toujours présente, et il y a, constamment, des gens qui apportent de la nourriture, du café, de l'eau… Les jeunes -cette génération que l'on avait accusée de dormir sur ses acquis- collaborent dans tout ce qui est nécessaire coude à coude avec les plus ainés, les mêmes qui ont attendu cela tout leur vie; ils parlent entre eux, débattent et les uns apprennent toujours des autres indistinctement.
Cependant, au niveau national, l'Assemblée Electorale a déclaré illégales toutes les réunions qui auraient lieu pendant la journée de réflexion. La menace d'expulsion venant des autorités officielles s'annonce comme l'un des principaux problèmes. Néanmoins les campeurs n'ont aucun doute : on ne les expulsera pas. "Acampadamurcia" commence à se faire connaître, et les gens sont venus en masse pour montrer leur soutien, sachant que les personnes qui étaient là-bas à minuit se comptaient par milliers et qu'elles étaient prêtes à éviter ce qui, par chance, n'a pas eu lieu.
Le printemps sème force et courage dans les cœurs : c'est ce que nous avons appris des jeunes de mai 68, excepté qu'à présent, ils sont parfaitement conscients de ce qu'ils veulent. Dans des centaines de villes à travers le monde, en Europe et en Amérique, les manifestations des espagnols sont accueillies telles une boule de neige d'ores et déjà énorme qui ne cesse de croitre.
Le mouvement et les campements ne vont pas se terminer le 22 mai, après les élections. Au contraire, cette bataille a été la première d'une révolution historique qui va se poursuivre, surtout dans la perspective des législatives de l'année prochaine. Les "indignés" ont la conviction qu'ils vont sortir vainqueurs de cette lutte: "Nous sommes exaspérés, fatigués, indignés, mais plus pour longtemps parce que nous voulons changer cette situation et nous savons que nous en avons le pouvoir."
Ana José Torres Rubio et Matías Valiente, porte-parole du collectif "Acampadamurcia"
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