Seule une frugalité drastique pourrait encore nous sauver...
On l’appelle « le poète qui accompagna Cousteau ». À la fois philosophe et scientifique, il a écrit des dizaines de livres merveilleux sur ses voyages dans les plus beaux pays. Mais sa dernière œuvre - "L’humanité disparaîtra, bon débarras !" éd. Arthaud - s’ouvre soudain à la tragédie : c’est le livre noir de la planète ! Si rien ne va plus pour ce sage, où allons-nous ? Pour lui, la seule solution serait radicalement... frugale.
REQ : On vous connaît comme « le poète qui accompagna Cousteau », mais votre dernier livre n’est pas poétique du tout. Ou alors c’est de la poésie tragique : le livre noir de la planète !
Yves Paccalet : J’essaie toujours d’équilibrer. D’un côté j’écris des livres de ballades parmi les belles choses du monde. De l’autre, malheureusement, quand on va se promener sur notre planète, on est consterné...
REQ : Vous n’y allez pas mollo : selon vous l’humain est et sera toujours sexiste, raciste, prédateur, boulimique... Edgar Morin parle d’un Homo demens, vous dites carrément : l’humain est un salopard, au sens sartrien : il sait qu’il fait le mal et le fait quand même.
Y. P. : La base de ma réflexion et de mon désespoir - même si l’on essaie toujours de « positiver » pour reprendre un mot à la mode -, c’est quand même la constatation que les grands idéaux (je fais partie de la génération de mai 68, j’étais dans la rue avec ceux qui voulaient changer le monde), les visions généreuses développées depuis des siècles, sur l’égalité, la fraternité, etc, eh bien que tout cela ne fonctionne jamais. On se demande toujours : « Mais pourquoi ? » J’ai essayé d’y réfléchir, puisque ma formation première est la philosophie - la seconde étant scientifique. Pourquoi les côtés positifs de l’humain n’arrivent jamais à triompher ? Pourquoi après avoir cru au progrès arrive-t-on au nazisme, au stalinisme ou à l’intégrisme ? Mon explication est grosso modo la suivante : l’humain est un animal qui répond à des pulsions de base, dont les trois principales sont le sexe, le territoire et la hiérarchie. Le sexe est traité par beaucoup de spécialistes et je le leur ai laissé, me focalisant davantage sur les pulsions de territoire et de hiérarchie, dont la prégnance est tout aussi forte et insurpassable. Chaque animal veut son territoire, mais chez nous, ça prend des formes extrêmement variées : pour une entreprise, ce sont des parts de marché, pour un sportif, ses records, pour un écrivain ou un chanteur, sa place dans les charts, etc. Les nazis parlaient d’espace vital, mais tous les humains sont concernés. La pulsion hiérarchique nous pousse à monter en grade, au travail comme à l’armée. Nietzsche parle de la volonté de puissance. Ces pulsions animales alimentent chez l’humain des jouissances et des souffrances particulièrement intenses, que la connaissance des neurotransmetteurs commence à nous permettre de comprendre.
À l’inverse, l’humain est le seul animal capable d’empathie, c’est-à-dire capable de se mettre à la place d’autrui et de se dire : « Cet autre pense que... » et « l’autre pense que je pense que... », etc. Il y a donc une notion de projection, qui vient s’ajouter à la capacité d’abstraction et de langage, qui ouvre la possibilité d’une prévision de l’avenir et d’une anticipation des réactions des autres. Cela peut servir à engranger des vivres avant l’hiver, mais aussi, et de plus en plus, à la course à la guerre et aux armements.
Ce mélange de pulsions animales et de capacité à comprendre ce que veut l’autre et à se projeter dans l’abstrait débouche sur une perpétuelle guerre de l’homme contre l’homme. L’humain n’acceptera jamais le partage. Il a toujours peur que l’autre lui tende un piège. Il veut toujours posséder davantage. Il se sert de son aptitude à prévoir l’avenir pour essayer en permanence d’agrandir son territoire, de monter dans la hiérarchie... et ça n’en finit jamais. C’est pourquoi les idéaux de communisme, d’égalité sont proprement impraticables. Nous ne parviendrons jamais aux sociétés idéales que les grandes utopies nous promettent, notamment depuis le XVIII° siècle.
REQ : Dans son livre Mon manifeste pour la Terre (éd. du Relié), Gorbachev devenu écologiste sur le tard, dit n’avoir finalement rien trouvé d’autre que l’humour noir pour contrer son désespoir... L’une de ses histoires est celle d’une planète bien-portante qui rencontre une planète très malade : “ Qu’est-ce qui t’arrive, ma pauvre ? demande-t-elle. - Bah, lui dit l’autre, m’en parle pas, j’ai attrapé l’humanité. - Oh, rassure-toi, répond la première, j’ai eu cette infection moi aussi. Figure-toi, ma chère, que cette maladie part toute seule : elle se mange elle-même ! ”
Y. P. : C’est exactement ça. Le XXI° siècle est à mon avis extrêmement dangereux, qui pourrait conduire l’humanité à sa fin. Telle qu’elle est partie, j’ai bien peur qu’elle ne passe pas ce siècle. D’abord parce que nous arrivons au bout des possibilités de la planète pour accueillir une espèce aussi proliférante, brutale, transformatrice, consommatrice (en énergie, en matière première, en eau, etc.) que la nôtre. Nous sommes au bout. Il n’y a pas moyen d’aller plus loin. Je suis né en 1945, dans un monde où vivaient quatre milliards d’habitants. Si je meurs à 80 ans, en 2025, il y en aura huit milliards. Dans ma seule petite existence, la population mondiale aura doublé, accroissant sans cesse sa consommation par tête d’habitant. Vu la capacité de l’homme à se détruire lui-même, démontrée sous toutes les latitudes dans des guerres plus barbares les unes que les autres, je ne vois pas pourquoi les futures pénuries, surtout en eau potable et en pétrole, ne vont pas conduire à des guerres mondiales de plus en plus graves. Depuis la fin de l’URSS, on a un peu oublié le spectre de la guerre nucléaire, que l’on avait frôlée d’un cheveu en 1962, on le sait aujourd’hui, au moment de la crise de Cuba. Je pense qu’avec la prolifération qui s’amplifie désormais et s’étend même à de petits pays comme la Corée ou l’Iran, nous nous retrouvons dans la pire des configurations possibles ! Il n’y a plus de « téléphone rouge » comme jadis entre Washington et Moscou. La première cause envisageable de la disparition de l’humanité, c’est donc bien la guerre nucléaire. Même en n’utilisant que le quart des armes atomiques actuellement disponibles, on aboutirait à l’extinction totale !
REQ : C’est une peur qui date des années 50... À l’époque, on ne parlait pas d’écologie. Depuis, les messages des premiers visionnaires, comme René Dumont, ont été confirmés dans les faits. Gorbachev, dans Mon manifeste pour la terre, reprend ça en pire, car le spectacle russe est apocalyptique. Pourtant il a monté une ONG écologique, Croix Verte, pour tenter d’enrayer l’effrayant processus. Vous-même, vous dites que vous avez voulu y croire jusqu’à aujourd’hui...
Y. P. : À la fondation Cousteau, nous avons bien connu les gens travaillant avec cette ONG...
REQ : Or la prise de conscience écologique est récente. Dans les années 60, les « progressistes » se moquaient des agriculteurs bio, qu’ils traitaient de « pétainistes » qui croient que « la terre ne ment pas ». Ils étaient complètement à côté de la plaque, ultra-favorables à l’agriculture intensive.
Y. P. : C’était le progrès à la XIX° siècle. On croyait que la science nous sortirait de toutes les impasses. Alors, je ne suis pas complètement sûr que l’intelligence humaine ne puisse pas trouver des solutions pour échapper à la tragédie - même si je ne vois absolument pas lesquelles. Mais je n’y crois pas vraiment, parce que les problèmes que nous sommes en train d’affronter à présent sont mondiaux. On le sait désormais clairement : au niveau de vie occidental, la Terre est capable de nourrir, de donner à boire et de fournir de l’énergie et des métaux à un milliard de personnes. Pas plus. Or, nous sommes déjà plus de six fois plus ! Il y a donc deux possibilités : ou bien on partage, ou bien c’est la guerre. Partager, cela voudrait dire que, pour le milliard qui vit richement (même s’il y a des inégalités à l’intérieur même des pays riches), il faudrait baisser notre niveau de vie de six fois ! Je ne crois pas que l’on puisse raisonnablement envisager une telle perspective. Personne ne veut partager. On va donc forcément en arriver à des solutions violentes. À la guerre. Prenez la Chine : leur niveau de vie moyen actuel est de plusieurs fois inférieur à celui des Etats-Unis. À supposer qu’en Chine, la croissance économique (un mot que je ne supporte plus) se maintienne au niveau actuel (10% par an), le niveau de vie du Chinois moyen rattraperait celui de l’Américain moyen en 2030. Cela signifierait alors un milliard trois cent millions de voitures en plus, rien qu’en Chine (alors qu’il y en actuellement dans le monde huit cent millions de véhicules), et les Chinois consommeraient alors l’équivalent de toute la production agricole et énergétique mondiale actuelle. On voit bien à quelles absurdités mènent les solutions fondées sur la croissance.
Les guerres à venir (atomiques, bactériologiques, chimiques) risquent d’être d’une intensité jamais vue. Sans parler des incidences de tout cela sur l’environnement et sur l’épuisement des sources énergétiques fossiles, avec empoisonnement des sols, déforestation, désertification, changements climatiques se soldant par des bouleversements bien pires que tout ce qu’on imagine à l’heure actuelle. On parle toujours de projections hautes et de projections basses, par exemple dans la montée des eaux et le déchaînement des tempêtes. Je suis persuadé que nous allons droit vers les projections les plus hautes ! Dans ce cadre apocalyptique, je vois encore moins comment les hommes partageraient les ressources restantes. Mon pessimisme est donc profond. La science permettra-t-elle, par une sorte de miracle génétique ou atomique, de nous arracher à ce cauchemar in extremis - par exemple en découvrant une source d’énergie abondante, non polluante et bon marché ? Voilà quarante ans qu’on nous annonce que la fusion nucléaire va jouer ce rôle. On ne voit rien venir. Et tout ce tissu de contradictions se resserre. C’est comme si l’humanité avait inventé toutes sortes de nœuds coulants et que ceux-ci étaient en train de se serrer autour de nous. On ne voit pas quel Zorro pourrait venir trancher ces nœuds-là !
REQ : Mais alors, sur le fond, vous pensez donc que l’humain n’est tout simplement pas viable ? Vous rappelez-vous cet auteur anglo-hongrois qui s’appelait Arthur Koestler ? Il pensait que l’humain avait un défaut de fabrication, un bug de base, parce que son néocortex s’était développé trop vite, sans assurer de passerelles suffisantes avec ses cerveaux plus primitifs (ceux justement qui gouvernent le sexe, le territoire et la hiérarchie). Mais d’autres gens, comme Teilhard de Chardin ou Peter Russell, parlent de l’émergence dans l’urgence. Selon eux, les grands sauts de l’évolution, qui demeurent mystérieux et inexpliqués par le darwinisme, ne se seraient produits que sous la pression d’une urgence terrible. On sait que le vivant est déjà passé par de grandes crises - par exemple celle d’il y a un milliard d’années, quand les bactéries, nos ancêtres, ont failli disparaître, tuées par leur déchet n°1, l’oxygène. Or, c’est de cette crise qu’est sorti un genre de vie radicalement nouveau, les cellules à noyau, qui consomment au contraire l’oxygène rejeté par les bactéries. La création ne se faisant que sous pression, ne serions-nous pas à la veille de ce type de mutation ? Après tout, la plupart des grandes inventions humaines ont d’abord été guerrières, même de la part d’un Archimède ou d’un Léonard de Vinci !
Y. P. : On sait effectivement aujourd’hui, en particulier grâce au magistral Stephen Jay Gould, que les grandes phases de l’évolution ne se sont pas faites comme l’imaginait Darwin, par une très lente transformation progressive, mais plutôt par le fait de certains petits groupes, isolés par le hasard des choses, qui mutent pendant des crises extrêmement violentes. Cela fut en effet le cas quand sont apparues les cyanobactéries, ces algues bleues primitives, qui ont inventé la photosynthèse et repoussé vers des endroits perdus et cachés les bactéries anaérobiques, qui vivaient depuis trois milliards d’années du gaz carbonique de la planète et avaient rejeté l’oxygène comme un déchet, changeant totalement la donne planétaire. C’est par cette révolution qu’a commencé ce qu’on appelle l’ère primaire. Nous vivons incontestablement les prémisses d’une révolution de cet ordre. Le problème, c’est que, pour nous, le temps est astronomiquement court ! Le passage des procaryotes aux eucaryotes s’est étalé sur des centaines de millions d’années. Nous, nous devrions faire face à un défi comparable en un siècle !
De la crise sortiront évidemment des solutions, d’abord sous la pression économique. On ne voit pas, par exemple, comment l’industrie automobile pourrait se prolonger. Le pétrole se raréfiant et devenant de plus en plus cher, quels que soient les carburants alternatifs géniaux que l’on pourrait découvrir, je ne vois pas comment la planète pourrait faire face au déferlement des besoins humains tels qu’ils sont définis par cette idéologie qu’est la croissance, du toujours plus, du encore encore encore, de l’invasion de la technologie et de la marchandise dans les derniers recoins sauvages de la planète. Le moindre petit coin où vous trouvez encore un peu de mer propre, quelques coraux, une forêt tropicale, voit immédiatement débarquer les prospecteurs de pétrole, de bois, de poissons, sans parler des touristes, qui se ruent actuellement sur les derniers bouts de nature intacte, une foule de gens aux intérêts divergents et parfois opposés. Je ne vois pas comment la planète pourrait y résister. La solution théorique serait de répéter ce que les Européens ont fait quand ils sont partis vers l’Amérique, à la Renaissance. Mais je ne sais pas s’il serait possible de financer une immigration vers d’autres planètes.
REQ : N’y aurait-il pas pourtant l’équivalent d’un germe de Renaissance ? Une enquête menée aux États-Unis dans les années 90 montrait que 25% des Américains avaient muté sur quatre critères : féminisme, écologie, solidarité et introspection. Des expériences comme le microcrédit de la Grameen Bank de Mohamed Yunus reposent sur la fiabilité des femmes des villages du Bengal Desh... L’Homo demens, le « salopard » dont vous dites qu’il faut l’entendre au sens sartrien, n’est-ce pas seulement un mâle ? Les femmes ne sont-elles pas différentes ?
Y. P. : Il est possible que les systèmes de valeur soient légèrement décalés chez les femmes. Elles roulent moins des mécaniques. Leur façon d’exercer le pouvoir est moins démonstrative et moins violente. Il est clair qu’elles sont plus douces et font plus de place à la négociation et aux arrangements. Mais je ne me fais donc pas trop d’illusion tout de même de ce côté-là... J’y avais beaucoup réfléchi après 68. Il y avait à l’époque toutes sortes de groupes, maoïstes, trotskistes, anarchistes... et partout, malgré l’esprit supposé libertaire, dès que des chefs étaient nommés, les pulsions animales - sexe, territoire, hiérarchie - refaisaient immédiatement surface, avec des bagarres pour le commandement, en parfaite contradiction avec les grands idéaux égalitaires et humanitaires proclamés avec ostentation par ailleurs. Mais quand j’allais voir ce qui se passait dans les réunions féministes, c’était exactement la même chose, malgré le fait que les militantes ont moins de testostérone que les militants ! Elles fonctionnaient comme les hommes. C’est d’ailleurs la même chose chez les grands singes. Chez les bonobos ou les chimpanzés, il règne une hiérarchie implacable entre les femelles comme entre les mâles et la bagarre pour le poste de chef est aussi virulente que chez les mâles.
Selon moi, pour avoir une civilisation plus calme, plus pacifique, il n’y a que la décroissance qui puisse être efficace. L’inverse exact de la sacro-sainte croissance que nous portons gravée dans nos croyances et qui nous mène, à brève échéance, à la catastrophe. Il faut réfléchir sérieusement au partage et à la décroissance. La difficulté, c’est que pour arriver à une décroissance, il faut le faire dans l’esprit. Faire décroître notre sentiment de besoin. L’inverse exact de ce que nous faisons aujourd’hui, où nous voulons toujours plus. Prenez même l’univers d’internet, où règne parfois une mentalité de partage et d’échange, eh bien, nous voulons que ça aille toujours plus vite, avec toujours de plus gros débits. Nous sommes encore loin d’avoir en tête l’idée que l’on peut être plus heureux en possédant moins ! C’est pourtant une évidence. Mais nous n’y croyons pas. Pour une raison notamment, c’est que nous procédons par comparaison : nous voulons ce qu’a l’autre. Si nos intelligences et nos technologies étaient mises au service de productions beaucoup moins gourmandes en énergie, en matières premières, etc., je me demande si...
Les papous, aujourd’hui, sont transformés à toute vitesse en prolétaires vêtus des caricatures de la société de consommation - costumes des équipes sportives occidentales !
L’explosion démographique humaine n’a pu avoir lieu que parce qu’on a réussi à maîtriser l’énergie - d’abord animale et végétale, puis d’origine fossile, charbon, pétrole... Mais s’il n’y a plus d’énergie et si cette énergie coûte plus cher, l’agriculture intensive par exemple, deviendra impossible. Mais je ne sais pas comment on réussira à mener plusieurs révolutions culturelles simultanées - féminine, agricole, anticonsummériste... Ouh là là, ça fait beaucoup de choses !
REQ : Le bien finit par devenir synonyme de « vivrier » et le mal de « exportation ». Sans être anti-mondialiste (la mondialisation a des aspects formidables), il y a quelque chose d’abominable dans le fait de transformer les terres du monde en plantations destinées à l’étranger. Les Papous que vous décrivez ne mangent plus de poissons, mais massacrent des tas de requins, juste pour vendre leurs ailerons aux Chinois...
Y. P. : On les a intégrés au circuit général du commerce général... Enfant, je rêvais des Jivaros dans la forêt vierge. Quand je les ai vraiment vus, ils étaient en loques, ou en shorts adidas, virés de leurs territoires et regroupés dans des villages de barraquements, où ils crevaient de paludisme, parce que des compagnies étrangères avaient trouvé chez eux du pétrole ! La vie primitive, que j’ai partagée avec ces gens pendant mes voyages, je l’ai vue partir en fumée ! Avec Cousteau, nous avons pu assister à l’agonie de beaucoup de cultures primitives - nous vivions ce tournant historique. De même, dans mon hameau natal des Alpes, j’ai connu l’agriculture du XIX° siècle, avec le mulet, les vaches traites à la main - et trente à quarante familles vivaient sur des lopins minuscules, ce qui leur interdisait un accroissement démographique important. Il y avait équilibre entre capacités naturelles et besoins. Aujourd’hui, ces cadres ont explosé... et le retour en arrière est impossible.
REQ : N’y a-t-il pas des tabous qui vont devoir sauter, comme par exemple la conviction que la nourriture doit être bon marché ? Quand les aliments deviennent édulcorés, dévitalisés, voire empoisonnés, ne faudrait-il pas renverser cette certitude ? Le blé pas cher pour que le peuple puisse manger, on comprend. La bouffe pas chère, pour faire tourner les usines à poulet, on se révolte... Mais le dire relève du tabou !
Y. P. : Cela fait précisément partie des arguments que je défends. Et de nouveau, la bouffe pas chère, ça ne marche que s’il y a du pétrole, indispensable pour les fertilisants, les insecticides, les machines agricoles, les installations d’irrigation - le problème de l’eau va d’ailleurs devenir crucial. Autrement dit, la crise du pétrole ne remettra pas seulement en cause les automobiles, mais aussi toute l’agriculture et aussi la pêche : les océans sont actuellement pillés et les poissons vendus pour rien pour la simple raison que de gros bateaux peuvent aller très loin avec des carburants peu chers. Mais le vent tourne. Certains pêcheurs ne peuvent plus partir en mer. Certains paysans mettent leurs champs en friche, parce que le fuel et les engrais sont de plus en plus chers. Certains recommencent donc à se dire que le blé ou la pomme-de-terre devraient être revalorisés.
REQ : Les fruits de la terre redeviennent précieux !
Y. P. : Oui, qu’on le veuille ou non. Parce que je ne vois pas comment, avec la demande croissante de pétrole, avec les nouveaux pays émergeants et vu qu’on a déjà épuisé la moitié du pétrole disponible, la moitié la plus facile à pomper, on va bientôt atteindre le pic au-delà duquel le baril de pétrole coûtera plus de cinq cent dollars - dans dix à quinze ans. Des pans entiers de nos économies se retrouveront alors dans d’énormes zones de turbulence.
REQ : Mais vous nous décrivez donc un énorme mécanisme d’autorégulation !
Y. P. : Il y a de toute évidence des circuits d’autorégulation, notamment par le pétrole et l’eau, qui interdiront cette agriculture folle. Mais je crains que ces régulations ne soient extrêmement brutales et que la nécessité dans laquelle les gens vont se retrouver, ne mène à la guerre. Et là, c’est l’existence, bien réelle, d’armes à destruction massive - aux USA par exemple, et non en Irak ! - qui risquent de faire que l’humanité s’entretue avec une intensité encore jamais connue.
REQ : Le mal est en nous-même, surtout en nous, modernes individualistes. Du temps des société autoritaires, tribales, coercitives, ces questions ne se posaient pas. Aujourd’hui, on ne peut pas faire marche arrière...
Y. P. : Le problème philosophique que l’humanité n’a jamais résolu, c’est l’aveuglement qui nous fait croire que le bonheur est dans le toujours plus. Certains l’ont bien dit - St François d’Assise par exemple. Mais nous basons notre bonheur sur la comparaison et ne sommes heureux que si nous avons plus que nos voisins, sur tous les plans.
REQ : C’est le « désir mimétique » selon René Girard.
Y. P. : C’est peut-être cela, le mal consubstantiel de l’humanité. Cela rend le bonheur à jamais impossible. Nous sommes condamnés à être éternellement frustrés. Si seulement nous pouvions comprendre où est notre véritable bonheur.
REQ : Cela ne rend-il pas compréhensible le message des grandes sagesses traditionnelles, par exemple de la Bible ? Cette dernière ne parle-t-elle pas des « douze fléaux » qui frappèrent la puissante Égypte, en des termes qui pourraient quasiment s’appliquer au monde actuel ?
Y. P. : Beaucoup de mythes ont promis la malédiction aux hommes qui dénaturaient la terre. Les Grecs étaient ainsi condamnés à mourir de faim pour avoir coupé leurs arbres sacrés. On a l’impression que nous nous condamnons de la même façon. Et comme nous sommes des êtres d’imagination, le délire s’empare de nous et peu de personnes sont capables de réfléchir aux choses de façon à la fois scientifique et philosophique. Les gens sont saisis de fantasmes, dont on a une illustration permanente avec les délires qu’on entend à propos des épidémies ou épizooties. Dans le traitement quotidien de l’information, nous sommes en plein pataquès !
REQ : Les journalistes sont en quête de parts de marché de plus en plus grosses, eux aussi, quitte à semer la panique.
Y. P. : Oui, exactement. Si une chaîne filme un chat qui a attrapé la grippe aviaire, la chaîne d’à côté doit absolument en trouver deux le lendemain ! On aboutit à des délires sans rapport avec la réalité de la menace. Non pas qu’il ne faille pas traiter le problème, mais pas au point de dire n’importe quoi, comme on le fait actuellement. On va bientôt tirer les oiseaux migrateurs au bazooka pour rassurer l’opinion, soit disant par principe de précaution...
REQ : Techniquement, on pourrait pourtant réhabiliter pas mal de choses dans la nature, non ? On ne pourra pas faire renaître les baleines quand on les aura toutes tuées, mais régénérer une rivière ou un paysage, c’est possible...
Y. P. : C’est ce que j’ai expérimenté pendant longtemps. La nature est en effet costaud. La nature a fait la vie, qui est tout à fait capable de repartir sans nous. Dans mon bouquin, je dis que même si l’homme anéantissait les grandes espèces évoluées, la vie redémarrerait d’une façon ou d’une autre. Les religions disent que Dieu a fait la Terre pour l’homme, mais je rappelle que la Terre a vécu pendant quatre milliards d’années sans nous, qui ne sommes là que depuis un ou deux millions d’années ! Repartant de ses bases les plus simples la Terre peut se passer de nous, et peut-être même réinventer l’intelligence, sous d’autres formes que la nôtre. Après tout d’autres animaux sont très intelligents !
REQ : À ce propos, ne pensez-vous pas que la conscience réfléchie - que nous appelons humaine - est un état automatique de la matière, une fois parvenue à un certain degré de sophistication ? Cette conscience existe d’ailleurs certainement ailleurs dans l’univers... même si nous n’avons pas les capacités de la contacter, du fait de la taille gigantesque de l’espace-temps.
Y. P. : Les scientifiques ont radicalement changé leur point de vue là-dessus, ces vingt-cinq dernières années. À l’époque, nombreux étaient ceux qui pensaient que la vie était beaucoup trop aléatoire et compliquée pour pouvoir exister ailleurs que chez nous. La Terre est une planète tellement unique... Alors qu’aujourd’hui, sachant le nombre de planètes que l’on découvre tous les jours et connaissant mieux les lois de l’organisation de la matière, la plupart des chercheurs se disent que la conscience doit exister ailleurs aussi, sous des formes certainement très différentes, mais au moins aussi avancées que nous, sur d’autres planètes. Certes, contacter même les plus proches, à quelques années lumière de nous, pose des problèmes de communication tels que l’on n’arrivera pas facilement à mettre en évidence leur existence. Si nos techniques nous permettaient de recevoir un message, il correspondrait sans doute à une émission très ancienne et le temps que nous répondions, les expéditeurs auraient certainement disparu !
Yves Paccalet est intervenu aux Rencontres de l’ Ecologie au Quotidien (REQ) de Die.
Ecologie au Quotidien
DIE, Rhône-Alpes, France
Le Chastel 26150 DIE
Tel : 04 75 21 00 56
Courriel : ecologieauquotidien@gmail.com
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