Dans cet article paru dans le magazine « Dirigeant » du mois de juillet 2011, la chercheur du CNRS, Michela Marzano ( photo), explique que « sans confiance entre les individus, c’est toute la société qui est paralysée ». Comment dans ces conditions morales défavorables envisager l’avenir économique avec sérénité ?
« La perte de confiance, c’est le mal du XXIème siècle ». La philosophe Michela Marzano, chercheur-enseignant à la Sorbonne n’est pas la seule à affirmer ce point de vue lapidaire. De nombreuses enquêtes, et notamment la dernière en date provenant de BVA, montre que les Français sont les plus pessimistes des Européens. La perte généralisée de confiance serait même l’un des traits distinctifs de l’hexagone. Pour la philosophe du CNRS, « sans confiance entre les individus, c’est toute la société qui est paralysée ». Comment dans ces conditions morales défavorables envisager l’avenir économique avec sérénité ?
Son essai « Le Contrat de défiance » (Grasset), tente de répondre à la question. Dans ce livre qu’elle aurait préférer titrer « Oser la confiance », la philosophe s’applique à détailler par le menu les causes historiques d’une méfiance qui s’est installée progressivement dans notre société : de la banqueroute de Law (1720) à la crise du prêt interbancaire (2007-2008), de l’égoïsme libéral au doute systématique des théories du complot, du don de soi dans l’amour à la multiplication des conflits juridiques dans la sphère privée de la crainte de tout perdre à l’éloge de la dépendance.
Pour elle, la confiance est une question complexe et trompeuse, qui a été peu abordé par les philosophes. A quelques rares exceptions près, Locke, Hobbes qui en parlent en termes de rapports entre les citoyens. Depuis le moyen-âge, cette notion a été rattachée à la notion de foi, de loyauté envers l’autre. Mais tout se gâte par la suite. Grosso modo, faire confiance, c’est se plonger dans l’inconnu, avec la crainte que l’autre ne profite de vos faiblesses. Jusqu’à ce que l’avènement de la société capitaliste, à grands renforts de slogans politiques et marketing en fasse une valeur de profit.
Pour elle, la confiance est une question complexe et trompeuse, qui a été peu abordé par les philosophes. A quelques rares exceptions près, Locke, Hobbes qui en parlent en termes de rapports entre les citoyens. Depuis le moyen-âge, cette notion a été rattachée à la notion de foi, de loyauté envers l’autre. Mais tout se gâte par la suite. Grosso modo, faire confiance, c’est se plonger dans l’inconnu, avec la crainte que l’autre ne profite de vos faiblesses. Jusqu’à ce que l’avènement de la société capitaliste, à grands renforts de slogans politiques et marketing en fasse une valeur de profit.
Dans les cinquante dernières années, observe Michela Marzano, la société s’est focalisée sur l’intérêt individuel. « On a ainsi développé les valeurs de confiance en soi au détriment du « faire confiance à autrui ».
L’idéologie de l’autonomie a ainsi mis en avant la nécessité de ne jamais dépendre des autres. De là sont nés, les mythes modernes du self made man, de l’ego triomphant, du gagneur, de l’estime de soi. Le « je » a occupé toute la place. Le « nous » a été négligé. Cette mise à l’écart de l’autre s’est trouvée amplifiée par un ensemble d’incertitudes économiques comme le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la crise du pétrole sans compter un discours dominant qui répète à l’envi que l’avenir sera plus dur. « Certes, avec la crise financière, ajoute-t-elle, on a commencé à entr’apercevoir les limites du volontarisme individuel poussé à l’extrême, de la possibilité de s’en sortir tout seul. Mais pour autant, faire confiance à autrui n’a pas vraiment gagné les mentalités. L’esprit de coopération ne s’est pas encore imposé ».
L’idéologie de l’autonomie a ainsi mis en avant la nécessité de ne jamais dépendre des autres. De là sont nés, les mythes modernes du self made man, de l’ego triomphant, du gagneur, de l’estime de soi. Le « je » a occupé toute la place. Le « nous » a été négligé. Cette mise à l’écart de l’autre s’est trouvée amplifiée par un ensemble d’incertitudes économiques comme le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, la crise du pétrole sans compter un discours dominant qui répète à l’envi que l’avenir sera plus dur. « Certes, avec la crise financière, ajoute-t-elle, on a commencé à entr’apercevoir les limites du volontarisme individuel poussé à l’extrême, de la possibilité de s’en sortir tout seul. Mais pour autant, faire confiance à autrui n’a pas vraiment gagné les mentalités. L’esprit de coopération ne s’est pas encore imposé ».
Comment expliquer pareille situation ? Pour M. Marzano, la particularité française est de confondre confiance et arrogance. Quelqu’un de nuancé n’est pas considéré comme crédible. Pourtant, c’est la nuance qui favorise la mise en confiance. Une bonne partie du problème vient de la coupure de plus en plus forte entre les élites et le peuple. Plusieurs éléments montrent selon elle, que les inégalités sont de plus en plus fortes. La judiciarisation des rapports contractuels en est un bon exemple. Les gens ressentent fortement les différences de traitement selon qu’on est riche et bien portant ou pauvre et malade. De même, les connivences entre la grande presse et le pouvoir politique et financier, souvent montrés du doigt, sont également des éléments de mise en doute de la confiance. Jusqu’au principe de précaution, principe invoqué comme un dogme qui a parfois pour effet pervers de susciter la défiance dans l’idée de progrès. « Le risque est une composante de la vie. Il faut assumer les conséquences de ses responsabilités ».
Selon M. Marzano, la peur de l’avenir reste un sentiment majoritairement partagé. En témoignent les phénomènes de déclassement des couches moyennes. « La perte de confiance est plus grande chez les jeunes qui voient leurs diplômes dévalorisés et leur niveau de revenus bien moindre que celui de leurs parents, au même âge. On leur dit depuis des années que l’avenir sera plus dur, qu’il faut se battre ». Quoi de plus démotivant ! Avec la mise en fiction de la réalité, la recherche de la vérité n’est dès lors plus l’objectif central. Le tout et son contraire cohabitent. « Descartes et l’esprit de raison sont en congé . Même la preuve ne suffit plus à attester qu’une chose est vraie ou fausse », précise-t-elle. Qui dit vrai ? Qui croire ? Cet ensemble de comportements ne sont pas de nature à rassembler les gens. Ni les promesses des gouvernements.
D’après M. Marzano, « les tentatives de réformer le logiciel néolibéral n’ont pas connu le succès escompté. Les résultats promis ne sont pas venus ». Quand bien même, on a promu le contrat de confiance, la défiance est restée ancrée dans les mentalités. « La majorité des Français ne font pas confiance aux hommes politiques pour résoudre les problèmes ».
Et l’entreprise ? « Elle ne fait que refléter ce qui se passe dans la société. Beaucoup de salariés sont démotivés. Les dirigeants de PME traversent aussi des moments de doute sur leur avenir. Le héros en France est celui qui s’en sort seul au détriment des autres. Nous n’avons pas le choix, il faut oser la confiance ». Selon la philosophe, il ne s’agit pas de remplacer l’intérêt individuel par un intérêt collectif rigide. Il faut simplement trouver le juste milieu entre le lien social (faire confiance à autrui) et la liberté d’initiative individuelle (la confiance en soi). Un juste milieu, dont Aristote se faisait le chantre, mais qui a le seul inconvénient de ne pas faire rêver.
Comment alors reconstruire la confiance ? Michela Marzano se veut positive. Pour elle, Face Book est et les réseaux sociaux sont très vivaces. C’est un des moyens de retisser le lien social. Beaucoup de choses se passent dans les universités et dans les associations. Les dirigeants se posent des questions de fond sur le sens du travail. La responsabilité sociale des entreprises, le développement durable dessinent des comportements plus éthiques.
« Nous sommes à la croisée des chemins. On a besoin de construire un nouveau modèle qui rétablisse la confiance dans les autres. La question de la coopération est à l’ordre du jour. On peut tout à fait avoir envie d’être le meilleur, se battre, sans abattre l’autre, créer « avec » et non pas « contre » » Mais rebâtir prend du temps. Selon la philosophe, la reconstruction passe par l’éducation. Il faut se retrousser les manches et se poser les bonnes questions. Une des solutions pour rétablir la confiance est de faire son travail au mieux. « Inspirer la confiance passe par la conscience, qu’elle soit professionnelle ou morale », conclut-elle.
Yan de Kerorguen
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