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jeudi 4 août 2011

"Il a dit la vérité ...il doit être exécuté...."


25 Juillet 1914 : à Vaise, l’ultime discours de Jaurès contre la guerre, cinq jours avant son assassinat.
Cinq jours avant son assassinat, Jaurès vient à Lyon, le 25 Juillet 1914, aider Marius Moutet qui sollicite les électeurs de Vaise pour un mandat de député. Il vient donc le soutenir mais, dans son désarroi, notre tribun oublie cette tâche [1], pour crier le mélange de tristesse, d’angoisse et d’espérance qui l’étreint à la veille de la guerre : cette guerre qui se profile, et qui, il le sait, va écraser toute une jeunesse et avec elle une partie de l’espérance des peuples. Dans un souci pédagogique, Jean Jaurès expose à son auditoire certaines des causes du conflit mondial qui s’annonce, et l’engage à tout faire pour s’opposer à cette guerre. Cela va devenir un véritable texte de référence à contre-courant.
« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! »
Voici donc le dernier discours de Jean Jaurès, et celui-ci fut prononcé dans une salle de Vaise pleine à craquer, salle au 51 de la rue de Bourgogne qui n’existe plus aujourd’hui ; il n’y a plus qu’une plaque pour le garder en mémoire.
Cinq jours après, Jaurès était assassiné au café du Croissant, à Paris. Trois jours plus tard, la guerre était déclarée... et les socialistes faisaient tout le contraire des propos qu’avait prônés Jaurès.

« Citoyens
Je veux vous dire ce soir que jamais nous n’avons été, que jamais depuis qua­rante ans l’Europe n’a été dans une situa­tion plus mena­çante et plus tra­gi­que que celle où nous sommes à l’heure où j’ai la res­pon­sa­bi­lité de vous adres­ser la parole.
Ah ! citoyens, je ne veux pas forcer les cou­leurs som­bres du tableau, je ne veux pas dire que la rup­ture diplo­ma­ti­que dont nous avons eu la nou­velle il y a une demi-heure, entre l’Autriche et la Serbie, signi­fie néces­sai­re­ment qu’une guerre entre l’Autriche et la Serbie va éclater et je ne dis pas que si la guerre éclate entre la Serbie et l’Autriche le conflit s’étendra néces­sai­re­ment au reste de l’Europe, mais je dis que nous avons contre nous, contre la paix, contre la vie des hommes à l’heure actuelle, des chan­ces ter­ri­bles et contre les­quel­les il faudra que les pro­lé­tai­res de l’Europe ten­tent les efforts de soli­da­rité suprême qu’ils pour­ront tenter.
Citoyens, la note que l’Autriche a adres­sée à la Serbie est pleine de mena­ces et si l’Autriche enva­hit le ter­ri­toire slave, si les Germains, si la race ger­ma­ni­que d’Autriche fait vio­lence à ces Serbes qui sont une partie du monde slave et pour les­quels les slaves de Russie éprouvent une sym­pa­thie pro­fonde, il y a à crain­dre et à pré­voir que la Russie entrera dans le conflit, et si la Russie inter­vient pour défen­dre la Serbie, l’Autriche ayant devant elle deux adver­sai­res, la Serbie et la Russie, invo­quera le traité d’alliance qui l’unit à l’Allemagne et l’Allemagne fait savoir qu’elle se soli­da­ri­sera avec l’Autriche. Et si le conflit ne res­tait pas entre l’Autriche et la Serbie, si la Russie s’en mêlait, l’Autriche ver­rait l’Allemagne pren­dre place sur les champs de bataille à ses côtés.
Mais alors, ce n’est plus seu­le­ment le traité d’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne qui entre en jeu, c’est le traité secret mais dont on connaît les clau­ses essen­tiel­les, qui lie la Russie et la France et la Russie dira à la France : « J’ai contre moi deux adver­sai­res, l’Allemagne et l’Autriche, j’ai le droit d’invo­quer le traité qui nous lie, il faut que la France vienne pren­dre place à mes côtés. » A l’heure actuelle, nous sommes peut-être à la veille du jour où l’Autriche va se jeter sur les Serbes et alors l’Autriche et l’Allemagne se jetant sur les Serbes et les Russes, c’est l’Europe en feu, c’est le monde en feu.
Dans une heure aussi grave, aussi pleine de périls pour nous tous, pour toutes les patries, je ne veux pas m’attar­der à cher­cher lon­gue­ment les res­pon­sa­bi­li­tés. Nous avons les nôtres, Moutet l’a dit et j’atteste devant l’Histoire que nous les avions pré­vues, que nous les avions annon­cées ; lors­que nous avons dit que péné­trer par la force, par les armes au Maroc, c’était ouvrir l’ère des ambi­tions, des convoi­ti­ses et des conflits, on nous a dénon­cés comme de mau­vais Français et c’est nous qui avions le souci de la France.
Voilà, hélas ! Notre part de res­pon­sa­bi­li­tés. Et elle se pré­cise, si vous voulez bien songer que c’est la ques­tion de la Bosnie-Herzégovine qui est l’occa­sion de la lutte entre l’Autriche et la Serbie et que nous, Français, quand l’Autriche annexait la Bosnie-Herzégovine, nous n’avions pas le droit ni le moyen de lui oppo­ser la moin­dre remon­trance, parce que nous étions enga­gés au Maroc et que nous avions besoin de nous faire par­don­ner notre propre péché en par­don­nant les péchés des autres.
Et alors notre minis­tre des Affaires étrangères disait à l’Autriche : « Nous vous pas­sons la Bosnie-Herzégovine, a condi­tion que vous nous pas­siez le Maroc » et nous pro­me­nions nos offres de péni­tence de puis­sance en puis­sance, de nation en nation, et nous disions à l’Italie : « Tu peux aller en Tripolitaine, puis­que je suis au Maroc, tu peux voler à l’autre bout de la rue, puis­que moi j’ai volé à l’extré­mité. »
Chaque peuple paraît à tra­vers les rues de l’Europe avec sa petite torche à la main et main­te­nant voilà l’incen­die. Eh bien ! citoyens, nous avons notre part de res­pon­sa­bi­lité, mais elle ne cache pas la res­pon­sa­bi­lité des autres et nous avons le droit et le devoir de dénon­cer, d’une part, la sour­noi­se­rie et la bru­ta­lité de la diplo­ma­tie alle­mande, et, d’autre part, la dupli­cité de la diplo­ma­tie russe. Les Russes qui vont peut-être pren­dre parti pour les Serbes contre l’Autriche et qui vont dire : « Mon cœur de grand peuple slave ne sup­porte pas qu’on fasse vio­lence au petit peuple slave de Serbie. » Oui, mais qui est-ce qui a frappé la Serbie au cœur ? Quand la Russie est inter­ve­nue dans les Balkans, en 1877, et quand elle a créé une Bulgarie, soi-disant indé­pen­dante, avec la pensée de mettre la main sur elle, elle a dit à l’Autriche : « Laisse-moi faire et je te confie­rai l’admi­nis­tra­tion de la Bosnie-Herzégovine. » L’admi­nis­tra­tion, vous com­pre­nez ce que cela veut dire, entre diplo­ma­tes, et du jour où l’Autriche-Hongrie a reçu l’ordre d’admi­nis­trer la Bosnie-Herzégovine, elle n’a eu qu’une pensée, c’est de l’admi­nis­trer au mieux de ses inté­rêts.
Dans l’entre­vue que le minis­tre des Affaires étrangères russe a eu avec le minis­tre des Affaires étrangères de l’Autriche, la Russie a dit à l’Autriche : « Je t’auto­ri­se­rai à annexer la Bosnie-Herzégovine à condi­tion que tu me per­met­tes d’établir un débou­ché sur la mer Noire, à proxi­mité de Constantinople. » M. d’Ærenthal a fait un signe que la Russie a inter­prété comme un oui, et elle a auto­risé l’Autriche à pren­dre la Bosnie-Herzégovine, puis quand la Bosnie-Herzégovine est entrée dans les poches de l’Autriche, elle a dit à l’Autriche : « C’est mon tour pour la mer Noire. » - « Quoi ? Qu’est-ce que je vous ai dit ? Rien du tout ! », et depuis c’est la brouille avec la Russie et l’Autriche, entre M. Iswolsky, minis­tre des Affaires étrangères de la Russie, et M. d’Ærenthal, minis­tre des Affaires étrangères de l’Autriche ; mais la Russie avait été la com­plice de l’Autriche pour livrer les Slaves de Bosnie-Herzégovine à l’Autriche-Hongrie et pour bles­ser au cœur les Slaves de Serbie. C’est ce qui l’engage dans les voies où elle est main­te­nant.
Si depuis trente ans, si depuis que l’Autriche a l’admi­nis­tra­tion de la Bosnie-Herzégovine, elle avait fait du bien à ces peu­ples, il n’y aurait pas aujourd’hui de dif­fi­cultés en Europe ; mais la clé­ri­cale Autriche tyran­ni­sait la Bosnie-Herzégovine ; elle a voulu la conver­tir par force au catho­li­cisme ; en la per­sé­cu­tant dans ses croyan­ces, elle a sou­levé le méconten­te­ment de ces peu­ples.
La poli­ti­que colo­niale de la France, la poli­ti­que sour­noise de la Russie et la volonté bru­tale de l’Autriche ont contri­bué à créer l’état de choses hor­ri­ble où nous sommes. L’Europe se débat comme dans un cau­che­mar.
Eh bien ! citoyens, dans l’obs­cu­rité qui nous envi­ronne, dans l’incer­ti­tude pro­fonde où nous sommes de ce que sera demain, je ne veux pro­non­cer aucune parole témé­raire, j’espère encore malgré tout qu’en raison même de l’énormité du désas­tre dont nous sommes mena­cés, à la der­nière minute, les gou­ver­ne­ments se res­sai­si­ront et que nous n’aurons pas à frémir d’hor­reur à la pensée du cata­clysme qu’entraî­ne­rait aujourd’hui pour les hommes une guerre euro­péenne.
Vous avez vu la guerre des Balkans ; une armée pres­que entière a suc­combé soit sur le champ de bataille, soit dans les lits d’hôpi­taux, une armée est partie à un chif­fre de trois cent mille hommes, elle laisse dans la terre des champs de bataille, dans les fossés des che­mins ou dans les lits d’hôpi­taux infec­tés par le typhus cent mille hommes sur trois cent mille.
Songez à ce que serait le désas­tre pour l’Europe : ce ne serait plus, comme dans les Balkans, une armée de trois cent mille hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux mil­lions d’hommes. Quel mas­sa­cre, quel­les ruines, quelle bar­ba­rie ! Et voilà pour­quoi, quand la nuée de l’orage est déjà sur nous, voilà pour­quoi je veux espé­rer encore que le crime ne sera pas consommé.
Citoyens, si la tem­pête éclatait, tous, nous socia­lis­tes, nous aurons le souci de nous sauver le plus tôt pos­si­ble du crime que les diri­geants auront commis et en atten­dant, s’il nous reste quel­que chose, s’il nous reste quel­ques heures, nous redou­ble­rons d’efforts pour pré­ve­nir la catas­tro­phe. Déjà, dans le Vorwaerts, nos cama­ra­des socia­lis­tes d’Allemagne s’élèvent avec indi­gna­tion contre la note de l’Autriche et je crois que notre bureau socia­liste inter­na­tio­nal est convo­qué.
Quoi qu’il en soit, citoyens, et je dis ces choses avec une sorte de déses­poir, il n’y a plus, au moment où nous sommes mena­cés de meur­tre et, de sau­va­ge­rie, qu’une chance pour le main­tien de la paix et le salut de la civi­li­sa­tion, c’est que le pro­lé­ta­riat ras­sem­ble toutes ses forces qui comp­tent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes et que nous deman­dions à ces mil­liers d’hommes de s’unir pour que le bat­te­ment una­nime de leurs cœurs écarte l’hor­ri­ble cau­che­mar.
J’aurais honte de moi-même, citoyens, s’il y avait parmi vous un seul qui puisse croire que je cher­che à tour­ner au profit d’une vic­toire électorale, si pré­cieuse qu’elle puisse être, le drame des événements. Mais j’ai le droit de vous dire que c’est notre devoir à nous, à vous tous, de ne pas négli­ger une seule occa­sion de mon­trer que vous êtes avec ce parti socia­liste inter­na­tio­nal qui repré­sente à cette heure, sous l’orage, la seule pro­messe d’une pos­si­bi­lité de paix ou d’un réta­blis­se­ment de la paix. »
Jean Jaurès
dis­cours pro­noncé à Lyon-Vaise le 25 Juillet 1914
Jaurès a dit aussi : « Nous ne sortirons de l’iniquité qu’en sortant du capitalisme ! »
Notes
[1] Peut-être que ce n’est pas un oubli, on ne le saura jamais...
En tout cas Jaurès et Moutet ne devaient pas avoir les mêmes idées sur la guerre.
En effet, c’est sur ordre du socialiste Marius Moutet, ministre des colonies du cabinet Ramadier, que des renforts de l’armée sont envoyés à Madagascar le 31 mars 1947 (jusqu’à 30.000 hommes) pour une opération punitive qui a fait plus de 300.000 morts !
Au cri de « mort aux cafards », des milliers de civils sont abattus ou massacrés à la baïonnette par l’armée française. La « pacification » de Madagascar est le grand oublié des massacres racistes coloniaux de l’après-guerre, la France y testant de nouvelles armes et sa stratégie anti-insurrectionnelle. La répression, visant à éliminer tout particulièrement les cadres malgaches, est féroce : exécutions sommaires, villages incendiés, suspects lâchés vivants d’un avion en vol sur leur village... Cette guerre, la famine et les épidémies dans les camps feront plus de 300.000 morts (contrairement aux chiffres, qui ne prennent pas tout en compte, dont on a parlés, lors de la visite de Chirac le 21 juillet 2005 à Madagascar).
C’est encore Marius Moutet, qui, envoyé à Hanoï par Léon Blum, le 2 janvier 1947, contrairement à sa mission, a refusé de rencontrer Hô Chi Minh, cédant à la pression de l’amiral d’Argenlieu, alors que venaient de s’ouvrir les hostilités de cette « sale guerre d’Indochine » appuyée par de Gaulle. Si elle avait eu lieu, cette rencontre aurait pu probablement changer le cours de l’histoire. (Raymond Aubrac, « Où la mémoire s’attarde »p.190)

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