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mardi 9 août 2011

Eloge du conflit...


Miguel Benasayag « Le conflit est vital »
Une société pacifiée et normalisée n’est pas une société vivante. A partir de ce constat, dans un livre paru en septembre Miguel Benasayag regarde de près la place du conflit dans la société contemporaine. Entretien.
De quel constat partez-vous pour écrire ce livre ?
Miguel Benasayag. Nous vivons dans des sociétés qui se veulent pacifiées et normalisées, dans lesquelles n’existe apparemment qu’une seule vérité. Dès lors, tout conflit ou opposition apparaît comme une anomalie. L’épisode des mobilisations contre le CPE nous a beaucoup marqués aux débuts de notre réflexion. A ce moment-là, le gouvernement disait en substance que si les jeunes manifestaient leur colère, cela signifiait que le gouvernement n’avait pas assez bien communiqué ou que les jeunes n’avaient pas bien « compris » le sens de la loi. Sous-entendu, il n’existait qu’une seule vérité, nécessairement acceptable, et l’opposition n’était pas envisageable. Tout conflit, au sens où nous l’entendons, était donc violemment écarté.
A quoi s’expose une société qui, selon vos termes, « refoule » le conflit ?
M.B. Une société qui refoule le conflit, niant ainsi la complexité de cette forme de lien social, se condamne petit à petit à des affrontements de plus en plus violents. Elle s’expose au retour du refoulé sous la forme d’affrontements, un retour à la violence sous des formes sinistres, barbares et non négociables. C’est ce qui se passe par exemple avec des questions liées à l’immigration, ou à son héritage, en provenance des pays arabes. Certains jeunes d’origine arabe ont exprimé un désir d’affirmation et de recherche d’identité, avec le voile ou dans une implication religieuse soudaine. Avec ce phénomène s’ouvraient des portes pour que naissent des conflits multiples. Les jeunes filles qui mettaient le foulard se mettaient dans des situations de contradiction très intéressantes. Elles tenaient un discours de libération, « je mets le foulard parce que je le décide ». Or on a fait obstruction à ce conflit contradictoire. Conséquence : la question du foulard est devenu affrontement. On a voulu croire et faire croire que dix fillettes voilées mettaient en danger l’école de la République. Ces jeunes sont ainsi poussés vers l’affrontement comme seule issue.
Faut-il pour autant, dans cet éloge du conflit, écarter l’affrontement ?
M.B. Non. L’affrontement peut être nécessaire et apparaître comme une dimension du conflit, car celui-ci comprend différents modes de fonctionnement social contradictoires. Le conflit est beaucoup plus large et, à l’inverse de l’affrontement, il est vital pour la vie sociale et individuelle, pas l’affrontement. Les identités n’y sont pas manichéennes, fermées ou sclérosées. Il implique la pensée d’un système, multiple et complexe, contrairement à l’affrontement, où les identités sont claires nettes et précises. Par exemple, la question des OGM, celle des sans-papiers ou des squats sont devenus terrains d’affrontement. Or ces sujets sont extrêmement complexes et donc conflictuels. Ces questions sont aujourd’hui réduites à de simples affrontements manichéens.
Débat médiatique, participation citoyenne ou contradiction semblent pourtant être très valorisés dans nos sociétés. Il s’agit d’une mise en scène ?
M.B. Oui. Nous assistons à débats formatés, dans lesquels les limites de l’opposition sont très claires et cadrées. Le débat existe, mais sur les bases d’un socle très étroit. Ce sont des mécanismes qui nient le conflit, gomment ses différentes dimensions. Nous assistons à une dérive vers une vie sociale spectaculaire qui vide la démocratie de son contenu. L’exemple de l’Italie de Berlusconi est intéressant. On ne pouvait pas nier que l’Italie demeurait sous Berlusconi un pays démocratique. Mais cette démocratie était vidée de tout débat, je veux dire de vrai débat, privée de contradiction et de conflit... L’idéologie de la communication véhicule l’illusion qu’une bonne com peut dissoudre un conflit.
Vous faites aussi le constat d’une mise en scène d’une société de tolérance ?
M.B. Oui. Au-delà de cette apparence, nous sommes au contraire dans une société très intolérante, normative et disciplinaire. Pour être toléré, il faut adhérer à la norme, nier sa singularité et ses différences. On voit l’émergence d’un modèle unique de vie. Idem pour le désir, très normatif, ou l’utilisation du corps : a-t-on le droit de fumer, de boire, etc. La surveillance, le panoptique et le contrôle sont devenus la norme. A l’évocation de cette mutation-là, d’aucuns opposent que la personne qui n’a rien à cacher ne doit pas avoir de souci avec la surveillance. Je pense au contraire qu’une société vivante doit avoir ses opacités, que cela permet les oppositions, les contradictions. La transparence panoptique paralyse le conflit. Parce que le conflit fait bouger les choses, les rend mouvantes et par définition insécures. C’est compliqué de discipliner et contrôler une société contradictoire et conflictuelle. L’insécurité au niveau social sert ainsi la sécurité. Quand on a peur, on accepte tout. La peur est un très bon marché pour les petits et grands tyrans autoritaires de tout poil. Nicolas Sarkozy ? On n’en parle pas dans notre livre parce qu’il n’est pas très central dans cette histoire-là. Il est un épiphénomène et si c’était seulement lui le problème, tout irait bien ! Il est une cheville ouvrière de plus dans une structure plus large.
Rémi Douat
Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, anime le collectif « Malgré tout ». Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, aux Éditions La Découverte : Le Mythe de l’individu (1998, 2004), La Fabrication de l’information (avec Florence Aubenas, 1999), Résister, c’est créer (avec Florence Aubenas, 2002) et La Fragilité (2004, 2007). Eloge du conflit
avec Angélique Del Rey, Editions de la Découverte en 2007.
Nota : Dans les sociétés occidentales hyperformatées, l’idée même du conflit n’a plus de place. Les conceptions de la vie commune tendent vers l’intolérance à toute opposition. Le minoritaire doit se soumettre à la majorité et, de plus en plus, contestataires et dissidents semblent relever de l’« anormal ». Dans cet essai iconoclaste et bienvenu, Miguel Benasayag et Angélique del Rey explorent les racines et les effets délétères de cette idéologie.
En refoulant les conflits, nos contemporains se laissent envahir par l’idéal de la transparence : toute opacité dans leurs relations devrait être éradiquée, car elle impliquerait l’altérité et, donc, l’ennemi potentiel. Une illusion dangereuse, à laquelle peuvent aus-si succomber certains contestataires qui critiquent le système avec ses propres catégories : au lieu de s’affirmer comme des « autres », sujets d’une multiplicité subversive, ils s’en tiennent à revendiquer des droits, confortant l’idée que les « valeurs » de l’idéologie dominante sont nécessairement désirables par tous.
Analysant les différentes dimensions du conflit – entre nations, dans la société ou au sein même de l’individu –, les auteurs mettent à jour les ressorts profonds de la dérive conservatrice des sociétés postmodernes. Ils démontent aussi bien les illusions de la « tolérance zéro » que celles de la « paix universelle » : nier les conflits nés de la multiplicité, ceux dont la reconnaissance fait société, c’est mettre en danger la vie. Le refoulement du conflit ne peut conduire qu’à la violence généralisée, et l’enjeu auquel nous sommes tous confrontés est bien celui de l’assomption du conflit, «père de toutes choses » selon Héraclite.
APL

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