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lundi 1 novembre 2010

Sortir des manifestations-enterrements


Les nouveaux chemins de la révolte

Actions ciblées, manifs records, initiatives de la base : le mouvement contre la réforme des retraites a rénové le visage de la contestation.

Incontestable décrue. La septième journée d’action organisée depuis la rentrée contre la réforme des retraites a bien connu hier une certaine désaffection. Sur l’ensemble du territoire, les défilés ont attiré entre 30 et 50% de manifestants de moins que le 19 octobre, soit 2 millions de personnes selon les syndicats, et 560 000 selon la police. Vacances scolaires, adoption définitive de la loi par le Parlement, ou tout simplement fatigue des militants : les raisons sont multiples.

Attention, cependant, à ne pas enterrer le mouvement trop vite. Car depuis ses débuts, celui-ci ne cesse de surprendre, par ses modes d’action comme par sa capacité d’adaptation. Un conflit multiforme, qui a l’avantage de conserver le soutien de l’opinion publique, tout en entretenant un haut niveau de défiance envers le gouvernement. Retour sur une contestation qualifiée de «guérilla sociale, durable et pacifique» par l’intellectuel Philippe Corcuff.

la stratégie du coup-de-poing et la lutte interprofessionnelle

Au matin du 13 octobre, l’exécutif s’apprête à pousser un ouf de soulagement. La grève reconductible, brandie par les syndicats dans plusieurs secteurs stratégiques, ne prend pas. Les trains et les métros roulent, les lettres sont triées, les avions décollent : le spectre d’une France bloquée, comme à l’automne 95, s’éloigne pour le gouvernement. Erreur. Car la pagaille qui se met en place aux quatre coins de la France va provoquer, si ce n’est un blocage de l’économie, un bruit de fond insurrectionnel à la fois bon enfant et, pour une des premières fois depuis longtemps, interprofessionnel.

A défaut de grèves illimitées (hormis au sein des raffineries), des actions de toutes sortes se mettent en place. Surtout des blocages de routes, de plates-formes logistiques, de centres commerciaux ou de dépôts de carburants… On se retrouve entre infirmières, instituteurs, routiers ou étudiants, pour une opération péage gratuit, un piquet devant l’aéroport, une occupation de la permanence UMP du coin. On joue au chat et à la souris avec la police, dans un conflit où les militants chevronnés forment les jeunes, les «citoyens» collectent de l’argent pour les grévistes et les syndicats apportent leurs moyens logistiques. Le tout dans un mélange de statuts et métiers rarement observé. «Je n’ai jamais vu autant de professions mobilisées en même temps, témoigne Philippe Martinez, responsable des métallos CGT. Contrairement à 1995, qui était un mouvement de grève par procuration, tout le monde cette fois-ci veut participer.»

C’est même l’échec des formes traditionnelles du conflit social qui va faire le succès du mouvement actuel.«Dans les conflits précédents, beaucoup de gens étaient bloqués par l’idée de la grève générale, et ne trouvaient pas leur place dans la mobilisation, analyse Philippe Corcuff, maître de conférence à Sciences-Po Lyon. Là, les formes d’actions, très transversales, permettent à des personnes de tout âge et de différents métiers, de participer.» Un point de vue partagé par Lilian Mathieu, sociologue au CNRS : «Le fait que la "pagaille sociale" soit limitée, maintenue à un niveau de basse intensité, permet à un large public de l’intégrer.»

Le caractère interprofessionnel du conflit est aussi dû à sa gestion par des intersyndicales locales, et moins par les branches professionnelles des confédérations. «A la différence des mouvements précédents, celui-ci s’est déplacé de l’entreprise vers le territoire, explique Guy Groux, directeur de recherche au CNRS. Alors qu’en 68, on occupait son usine, on va cette fois-ci bloquer celle des autres, ou se retrouver ensemble pour une action coup-de-poing en centre-ville.»

Une participation à géométrie variable

La force du mouvement réside aussi dans la capacité de ses acteurs à se relayer. «Les gens ont compris que pour durer, il ne faut pas griller toutes ses cartouches dès le début, estime Lilian Mathieu. Dans plusieurs secteurs, les salariés s’organisent sur des grèves tournantes, entretenant ainsi une mobilisation continue, mais sans qu’il s’agisse toujours des mêmes.» Comme à la SNCF, «où il y a un wagon de grévistes reconductibles, et d’autres qui montent ou descendent en fonction des jours», observe Philippe Corcuff. Même chose pour les manifs du samedi, «qui permettent d’intégrer ceux qui ne peuvent pas faire grève en semaine, comme les ingénieurs et cadres», témoigne Philippe Martinez, de la CGT des métallos. D’un week-end sur l’autre, également, ou d’une journée organisée en semaine par rapport à la précédente, le public n’est pas toujours identique, selon de nombreux responsables syndicaux régionaux.

La manif comme nouvel étalon

Autre caractéristique de ce conflit : la capacité des contestataires à occuper la rue. «Tout mouvement a ses marqueurs, et pour celui-ci, c’est clairement la manifestation, note Christophe Aguiton, chercheur et militant d’Attac. La grève, qui a longtemps été le mode d’expression classique, en gros de 1936 à 1968, a été supplantée depuis quelques années par le défilé.» Et notamment depuis 1995, avec le phénomène du «Juppéthon». «Auparavant, la manif n’était pas vraiment bien vue. C’était pour les casseurs, les ouvriers métallos, complète Christophe Aguiton. Aujourd’hui, elle a atteint un degré de légitimité supérieur à la grève.» Et comme baromètre du mouvement, elle a, sur ce conflit, explosé les scores. Rarement autant de monde ne sera descendu dans la rue en si peu de temps, les manifs ayant rassemblé entre 1 et 3 millions de personnes en France (suivant les sources policières ou syndicales), à six reprises en un mois et demi.

L’action comme initiation

Dernière particularité, enfin, relevée dans ce mouvement, qui confirme une tendance observée depuis quelques années : le phénomène d’engagement par l’action. «On a noté la présence de nombreux salariés d’entreprise où il n’y avait pas de syndicats, remarque Philippe Martinez. Les gens sortent sans y avoir été invités par des militants, et découvrent leurs droits lors d’une manif.» Un processus «action-organisation-conviction», «totalement inversé par rapport à ce qui existait historiquement jusqu’ici, où l’on était d’abord initié intellectuellement, avant de s’engager, puis d’agir»,relève Christophe Aguiton. Une façon de relancer un engagement social qui pourrait survivre au mouvement.

LUC PEILLON

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